La première tournée européenne du chef du gouvernement congolais, nommé le 9 mai 2012, avait bien commencé. Cet économiste de 48 ans, au look de premier de la classe, cadre de la Banque centrale avant de devenir ministre des Finances en février 2010, a engrangé un succès diplomatique. Entre le 22 et le 25 octobre, il aura vu tout le monde, ou presque, à Bruxelles et en Allemagne. Ni le président du Conseil de l’Union européenne (UE), le Belge Herman Van Rompuy, ni le premier ministre belge Elio di Rupo, ni Guido Westerwelle, le chef de la diplomatie allemande, ne lui ont trop rappelé le mauvais souvenir de l’élection présidentielle contestée de novembre 2011. Pour Kinshasa, c’est la fin du purgatoire.
La mission visait aussi à projeter une autre image de la République démocratique du Congo (RDC) que celle d’un pays en perpétuelle insécurité. Celle d’un État qui aura connu un taux de croissance du PIB de 7,2 % en 2012, auquel le FMI prédit un taux de 8,4 % pour 2013. Auprès de quelque 250 hommes et femmes d’affaires belges assistant au déjeuner-conférence du 23 octobre, organisé en son honneur, Augustin Matata Ponyo a fait passer d’autres messages : le franc congolais (FC), dont le cours entre début 2010 et octobre 2012 a évolué de 923 à 919 pour un dollar, est une monnaie stable. Dans la foulée, il a annoncé des mesures de « dédollarisation ». À compter de janvier 2013, les salaires seront payés uniquement en monnaie nationale. Et bientôt, le Trésor ne réglera plus les fournisseurs de l’État qu’en francs congolais.
Selon Augustin Matata, la RDC est sortie du cycle des déficits budgétaires et un « programme sans merci de lutte contre la fraude et la corruption » a été lancé. Au ministère des Finances, le système des pourcentages et des commissions a été supprimé. Concédant que les réformes suscitent l’opposition de ceux qui profitent de rentes de situation, le premier ministre a ensuite annoncé la suppression des taxes illégales, l’introduction de la TVA en janvier 2012, qui remplace le système archaïque de l’impôt sur le chiffre d’affaires, le « remodelage » du code minier, ainsi que l’introduction d’une nouvelle loi sur les marchés publics, naguère systématiquement conclus de gré à gré, et la bancarisation de la paie des fonctionnaires. En octobre, cette mesure a commencé à être appliquée aux officiers de l’armée et de la police. Augustin Matata a aussi promis avec hardiesse que l’on pourrait bientôt se rendre en voiture ordinaire de Kinshasa à Lubumbashi d’ici à deux ans.
Le Congo ne se résume donc pas aux marches de l’Est et à leur tragédie. Mais la réalité a quand même rattrapé le premier ministre. Lors d’une conférence de presse à Bruxelles, réagissant au rapport onusien qui accuse Kigali et Kampala d’armer et de soutenir les rebelles du M23, il a fait part de ses réserves sur le projet de déploiement d’une force neutre des pays membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) décidée lors du sommet de Kampala des 7 et 8 août 2012. « Quel peut être l’apport d’une solution régionale lorsque, dans cette même sous-région, ceux qui sont censés apporter la solution sont impliqués ? C’est pour cela que la RDC pense qu’il faut imaginer la solution d’une Monusco, car c’est une force des Nations unies, renforcée, remodelée, redéployée avec des capacités pour pouvoir établir l’intrusion des forces étrangères qui viennent déstabiliser la RDC », a-t-il déclaré, accusant sans les nommer le Rwanda et l’Ouganda d’être « impliqués dans la consolidation du problème ».
Mais cette réaction a déplu à Kinshasa. Augustin Matata a été rappelé « pour raison d’État » en pleine tournée en Allemagne et a dû annuler une conférence qu’il devait donner au ministère des Affaires étrangères belge le 26 octobre. Selon un officiel congolais, « Matata a trop parlé ». En fait, sa prise de position est tombée juste avant l’adoption le 25 octobre, par les ministres de la Défense des pays de la CIRGL, du plan d’opérationnalisation de la Force internationale neutre décidé par le sommet régional du 8 octobre. Et le président congolais, Joseph Kabila, n’a pas voulu être pris en porte à faux.
Ce n’est pas la première fois que la question de l’Est suscite des dissensions à Kinshasa. L’ex-président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, avait perdu son poste en 2009 pour avoir reproché à Kabila de n’avoir pas consulté le Parlement avant d’autoriser l’opération conjointe des armées rwandaise et congolaise contre les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
Mais contrairement à Kamerhe, Matata a fait le gros dos. Du coup, il est rentré en grâce et a pu répéter son numéro de séduction à Paris à la mi-novembre, auprès des hommes d’affaires français. Et comme il l’a fait en Belgique, il a demandé à ce que Paris renforce sa coopération militaire, suscitant la perplexité au Quai d’Orsay où l’on s’étonne qu’après les différents échecs essuyés face aux rebelles du M23, Kinshasa croie encore à la possibilité d’en découdre par la force… Sentiment sans doute renforcé le 18 novembre avec l’arrivée des rebelles aux portes de Goma…