« Ce général, il faut le surveiller comme de l’huile sur le feu. Il est dangereux », conseille un officier malien à la retraite à sa hiérarchie, au sujet du général de brigade Sékouba Konaté, l’ex-chef de l’éphémère junte guinéenne. Comme cet officier retraité, de nombreux Maliens ont accueilli avec réserve et méfiance la nomination, fin octobre, du général guinéen comme Haut Représentant militaire de l’Union africaine (UA) par la présidente de la Commission de cette organisation panafricaine, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Peu après son départ du pouvoir en décembre 2010, l’UA l’avait déjà nommé à la tête de la Force africaine en attente d’opérationnalité.
Les plus critiques envers Sékouba se trouvent, surtout, du côté de la partie de la population et de l’armée qui soutient le chef de l’ex-junte malienne, le capitaine Ahmadou Sanogo, mis à la marge par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), deux semaines seulement après avoir perpétré son coup de force contre l’ancien président Ahmadou Toumani Touré. Pour ces pro-Sanogo, la mission de Sékouba ne serait qu’un paravent. Officiellement, il doit coordonner avec l’armée malienne les actions à mettre en œuvre pour récupérer le Nord du Mali occupé par des factions islamistes. Mais pour ses détracteurs, Sékouba aurait pour mission secrète d’achever la mise à l’écart du capitaine putschiste, murmure-t-on à Kati, fief des soldats fidèles à Sanogo.
Il faut dire que dans cette garnison, le passé putschiste de Sékouba Konaté inquiète. « Il est perçu comme un spécialiste des coups bas, vu la façon dont il a évincé son “ami” Moussa Dadis Camara, alors chef de la junte guinéenne au pouvoir, pour prendre sa place », souffle un caporal-chef rencontré à Kati. « S’il a pu faire une chose pareille à son ami, cela veut dire qu’il est prêt à tout, donc qu’il est un homme dangereux. Qu’est-ce qui nous garantit que sa mission se limitera à nous aider à reprendre le contrôle du Nord ? », s’indigne un autre soldat. À côté de lui, un autre camarade de troupe y va de son couplet : « Alors qu’il se trouvait à Ouagadougou où réside son ancien ami toujours convalescent après la balle qu’il avait reçue à la tête, Sékouba n’a même pas daigné se rendre à son chevet. Il a continué son chemin comme si de rien n’était. » Interrogé plus tard sur les raisons d’une telle attitude envers son compagnon d’armes, le général guinéen a répondu : « Ce n’était pas ma mission d’aller rencontrer Dadis Camara. »
Sékouba Konaté tente, comme il peut, de dissiper ce climat de méfiance. Dans une interview accordée à une radio de grande écoute de Conakry, il a fait savoir qu’il n’avait rien contre le capitaine Sanogo. Lorsqu’il l’a rencontré, il l’a encouragé à lui faire part de toutes ses doléances, qu’il transmettrait volontiers à l’Union africaine, la Cedeao, et au département d’État américain. Pas moins.
Pour l’instant, Sékouba Konaté, s’est plutôt concentré sur les aspects militaires et stratégiques de la libération du Mali, de concert avec les officiers maliens et les chefs d’état-major des pays de la Cedeao. Lors d’une rencontre en octobre dernier à Bamako, un plan a finalement été concocté et soumis à la Cedeao qui l’a avalisé lors de la conférence extraordinaire des chefs d’État d’Abuja, au Nigeria. La longue et lourde procédure pour le déploiement d’une force internationale au Mali semblait ainsi s’acheminer vers son aboutissement. Toutefois, le flou entourant la composition de la force, ainsi que la stratégie elle-même, nourrissent les commentaires les plus aigres à Bamako. « Cette force que Sékouba est venue préparer à Bamako, on attend toujours de voir à quoi elle ressemble », ironise un proche du capitaine Sanogo qui n’accepte que du bout des lèvres la présence du général guinéen, l’ex-junte s’étant toujours opposée à toute opération militaire menée au Mali sans le leadership des militaires pro-Sanogo.
Du côté de la classe politique malienne aussi, la personnalité de Sékouba Konaté suscite la controverse. Dans une récente sortie médiatique, l’opposant guinéen et ancien premier ministre Sidya Touré a remué le couteau dans la plaie. « Nous savons tous le rôle qu’a joué le général Sékouba dans les élections guinéennes, a-t-il dit. Il a changé les résultats au profit d’Alpha Condé. » À Bamako, les hommes politiques rencontrés se souviennent des nombreux dérapages et violences ayant marqué le processus électoral que pilotait Sékouba Konaté, notamment les quatre mois qu’il a laissé courir avant d’organiser le second tour de la présidentielle guinéenne. « Une première mondiale », ironise ce militant du parti de l’actuel président de transition au Mali, Dioncounda Traoré, qui est persuadé que cette extension du délai avait pour objectif de parachever la corruption du processus électoral en faveur d’un candidat.
« Il n’est pas exclu que, dans les semaines à venir, des partis maliens réclament le départ du général Sékouba. Tout dépendra de son comportement, s’il se tient à bonne distance des affaires politiques maliennes, ou s’il s’avise de s’immiscer dans le jeu politique », croit savoir un leader de parti.
Mais si les Maliens échappent à Sékouba Konaté, comment vont-ils se défaire d’un autre envoyé très spécial de Mme Dlamini-Zuma, le major burundais Pierre Buyoya, un autre putschiste notoire ? Nommé Haut Représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel, Pierre Buyoya, par deux fois arrivé au pouvoir dans son pays par les armes, inquiète également la classe politique malienne.
Peu après sa nomination au Mali pour aider au retour à l’ordre démocratique, des opposants burundais ont manifesté leur colère sur la toile. « Au niveau géopolitique, cet homme est la personne qui a permis à la France de garder un pied dans le giron politique de la région des Grands Lacs africains […] Et la France ne l’oublie pas. » Avec de tels hauts représentants, où va le Mali ? s’interroge-t-on à Bamako.