Après le Mali, le voisin nigérien sombrera-t-il, à son tour, dans les violences extrémistes et terroristes ? La question préoccupe à nouveau les autorités du Niger depuis l’enlèvement le 14 octobre, dans un village du sud-est du pays, de cinq humanitaires travaillant pour des ONG internationales par des ravisseurs lourdement armés. Selon les premiers témoignages recueillis auprès des populations de la localité, les ravisseurs sont venus « à bord de deux véhicules tout-terrain » et « parlaient arabe, tamasheq [langue des Touarègues, ndlr] et haoussa », une langue régionale.
Il n’en fallait pas plus pour que plane à nouveau sur le Niger le double spectre d’une réactivation des groupes touaregs ayant fait parler la poudre par le passé, et de la résurgence de groupes terroristes liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) coutumiers des rapts, en particulier d’Occidentaux. Ceux-ci sont alors conduits dans le vaste désert du Ténéré ou dans la partie septentrionale du Mali. Comme les Occidentaux séjournent souvent dans la localité où a eu lieu le rapt, il est vraisemblable que les auteurs les aient ciblés en particulier.
SI l’enlèvement a suscité le branle-bas chez les autorités de Niamey, c’est surtout parce qu’il est venu rappeler la fragilité sécuritaire de ce pays sahélien d’une superficie de plus de 1,3 million de km2, dans l’œil du cyclone depuis le renversement par l’Otan du régime de Mouammar Kadhafi en Libye voisine.
Le Niger se trouve interpellé sur au moins trois fronts, d’où les dangers peuvent surgir à tout moment. Actualité oblige, il y a la longue frontière sud avec le Nigeria, dont la partie nord est devenue le fief du mouvement extrémiste terroriste Boko Haram, suspecté de liens avec Aqmi. Les ravisseurs de la mi-octobre n’ont cependant pas filé vers le Nigeria, mais ont pris la direction du nord pour se fondre dans le désert, avant de rejoindre une autre frontière à haut risque : celle à l’ouest avec le Mali, dont la partie septentrionale est aux mains des Touaregs d’Ansar Dine et des groupes terroristes Mujao et Aqmi. Les menaces viennent aussi de la frontière nord avec l’Algérie, d’où proviennent nombre de membres dirigeants des groupes terroristes opérant au Mali, et de celle avec la Libye post-Kadhafi, devenue le centre de tous les trafics d’armes et autres produits illicites.
Bien avant l’assassinat de Kadhafi, le président nigérien Mahamadou Issoufou avait pris la parole devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York, en septembre 2011, pour réclamer une coopération régionale avec le soutien de l’Onu, afin de mettre son pays et la sous-région à l’abri des conséquences de la déstabilisation de la Libye.
« Des dépôts d’armes ont été pillés en Libye, alertait-il. Ces armes sont aujourd’hui disséminées dans toute la zone sahélo-saharienne avec le risque d’échouer entre des mains terroristes. Tenant compte du caractère régional des menaces, le Niger est déterminé à mutualiser ses efforts avec ceux des autres pays, notamment de la sous-région, afin de faire face à la situation », avait alors proposé Issoufou.
N’ayant pas obtenu de la communauté internationale la réponse escomptée, le président nigérien avait décidé de faire front à la menace. La sécurité aux frontières a été renforcée, l’armée a été dotée d’armements nouveaux et de matériels adéquats. Surtout, à la différence du Mali qui avait laissé entrer sur son territoire, avec armes et bagages, les Touaregs ayant combattu auprès du guide libyen, les autorités nigériennes avaient désarmé ses Touaregs kadhafistes avant de les laisser revenir au Niger.
Aujourd’hui, Niamey craint par-dessus tout une contagion de l’irrédentisme touareg au Mali. Pour le conjurer, le nouveau pouvoir malien a reconduit la politique de la carotte et du bâton chère à l’ancien président Mamadou Tandja : fermeté face aux velléités touarègues, et intégration des hommes bleus au sein de l’appareil d’État à des niveaux élevés. Mahamadou Issoufou a ainsi nommé au poste de premier ministre un Touareg, Brigi Faffini. Originaire d’Agadez, Raffini connaît bien les régions touarègues et l’Administration, puisqu’il avait été auparavant sous-préfet, ministre, vice-président de l’Assemblée nationale et maire d’Iférouane, dans la région d’Agadez. L’actuel numéro deux de l’armée nigérienne, le général Ahmed Mohamed, est également d’origine touarègue, et le conseiller du chef de l’État n’est autre que le Touareg Mohamed Alambo, fondateur du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), ce parti rebelle qui sévissait dans le pays jusqu’en 2008, avant de déposer les armes à l’issue de négociations, sous l’égide de Mouammar Kadhafi.
Pour éviter le retour des combats comme ce fut le cas par le passé, et plus récemment au Mali, les autorités nigériennes ont entrepris plusieurs projets de développement économique dans la vaste région de l’Aïr, berceau des Touaregs nigériens. La dernière initiative en date, c’est le plan SDS/Sahel-Niger annoncé à la mi-octobre par le chef du gouvernement. Raffini a ainsi révélé que son gouvernement entendait consacrer près de 2,5 milliards de dollars sur cinq ans pour le développement et la sécurisation de la zone désertique au nord, qui couvre les deux tiers de la superficie du pays.
Le gouvernement entend notamment renforcer les contrôles frontaliers dans la zone septentrionale où la présence de l’État reste faible, en dépit de la politique de décentralisation suivie depuis Tandja. Cette présence minimale a fait le lit des miliciens et trafiquants en tout genre. L’argent mobilisé devrait aussi servir à financer des services sociaux de base dans les six régions le plus au nord afin de les soustraire à l’extrême pauvreté, une situation dénoncée et exploitée dans le passé par des mouvements rebelles.
La moitié de ce programme devrait être financée par l’État nigérien, tandis que l’Union européenne a promis 118 millions de dollars. Le gouvernement est d’ores et déjà à pied d’œuvre pour rechercher la part du budget manquante. Son argument massue pour décider les bailleurs de fonds : éviter la contagion au Niger de l’instabilité malienne, et ainsi préserver l’Afrique de l’Ouest de l’insécurité qu’entretiennent les mouvements autonomistes et terroristes.
Conscient que tout cet effort restera menacé tant que perdurera la mainmise de groupes rebelles, islamistes et terroristes au nord du Mali, Niamey est aussi parmi les plus farouches partisans de la solution militaire au Mali. La région, en effet, est devenue également un camp d’entraînement pour la secte Boko Haram dont le territoire d’activité jouxte les frontières sud. Les violences et le saccage de la plus grande église catholique de Zinder par des extrémistes disant protester contre le film controversé sur Internet, L’Innocence des musulmans, ont alerté les autorités : il existe un vrai risque de débordement au Niger des attentats antichrétiens de Boko Haram.
Le gouvernement nigérien pourra-t-il relever seul ces différents défis ? Boubakar, membre d’un réseau de solidarité à Niamey, en doute : « Pour un pays classé parmi les plus pauvres au monde, s’équiper militairement pour surveiller encore plus les frontières, mobiliser des financements pour le développement économique et s’organiser pour affronter l’insécurité alimentaire, mais également pour faire face au retour de près de 200 000 migrants nigériens rentrés de Libye et de dizaines de milliers de réfugiés maliens, cela fait beaucoup. »