Le Clan des Wade : accaparement, mépris, vanité (L’Harmattan, 2011) est un ouvrage caustique de l’écrivain sénégalais et ancien inspecteur de l’enseignement Mody Niang sur la gestion de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade. En raison des accusations de mauvaise gouvernance, de corruption et d’enrichissement illicite contre l’ancien régime qu’il comportait, il faisait l’objet d’une interdiction insidieuse. Comme dix-sept autres livres, dont Sénégal, affaire Me Sèye : un meurtre sur commande (L’Harmattan, 2006) et Contes et mécomptes de l’Anoci (L’Harmattan, 2009), tous deux du journaliste Abdou Latif Coulibaly, ou encore L’Immolation par le feu de la petite-fille du président Wade : crimes, trahisons et fin du régime libéral (L’Harmattan, 2008), de Mame Marie Faye. Preuve que le clan Wade est en pleine déconfiture et ne représente plus grand-chose au Sénégal en 2012, les dix-huit ouvrages, naguère invisibles, ont pris leurs quartiers dans les rayons des librairies du pays.
Selon Mody Niang, tout heureux de cette renaissance, ces ouvrages avaient été bannis « au moyen d’une censure inédite sournoise, informelle, à l’image du régime qui nous a gouvernés pendant douze ans ». Le mode opératoire consistait, à l’en croire, à « harceler les importateurs de livres de certains écrivains injustement black-listés, à soumettre leurs ouvrages à des contrôles tatillons, ou à les laisser en rebut dans les bureaux des services de sécurité ».
La réapparition de livres censurés dans les librairies n’est pas le seul fait attestant la fin définitive du règne du clan Wade. Après deux mandats présidentiels marqués par une relative amélioration des indicateurs économiques du pays, mais ponctués par des scandales de corruption et de violations de droits humains à répétition, le vieux Abdoulaye Wade (86 ans à l’état civil) a été littéralement chassé du pouvoir par un peuple sénégalais en colère. L’histoire retiendra que celui qui aimait à se présenter comme le meilleur chef d’État d’Afrique et l’un des plus grands économistes de la planète a quitté la scène par la petite porte, balayé par le peuple dont seulement 35 % lui ont accordé leur confiance lors des élections de mars 2012.
Avec cette chute brutale qu’il n’avait pas anticipée, l’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, c’était sans compter avec Abdoulaye Wade qui, envers et contre tout bon sens, a tenu à s’accrocher à son dernier strapontin, le secrétariat général du Parti démocratique sénégalais (PDS), qui l’avait porté au pouvoir en 2000. Alors que la jeune garde du parti attendait qu’il lui passe le relais dans l’optique des élections législatives, Wade s’est désigné meneur de troupes, avec pour ambition de remporter la majorité au Parlement et, ainsi, contraindre le nouveau président, Macky Sall, à la cohabitation. Les intérêts du clan auraient ainsi été préservés, pensait-il, au travers d’un chantage permanent qu’un politicien sénégalais résumait ainsi : « Je te laisse gouverner, et tu laisses ma famille et mes amis en paix. »
Le stratagème de celui que l’on appelait le lièvre – vu le nombre de tours politiques qu’il avait constamment en réserve – a échoué. Après l’humiliant échec présidentiel du 25 mars, la défaite aux législatives du 1er juillet du PDS conduit par Wade a été encore plus déshonorante. Le parti, qui disposait d’une majorité écrasante au Parlement (131 sièges sur 150), favorisée par le boycott par les principaux partis de l’opposition des élections de 2007, n’en compte plus que… douze ! Il s’en est fallu de peu, qu’il ne parvienne pas à réunir les dix députés minimum requis pour former un groupe parlementaire !
Au moment où les « libéraux » (comme on appelle les militants du PDS) attendaient un signal fort de « Gorgui » Wade, sous la forme d’un retrait pur et simple de la direction du parti, l’ex-président s’est plutôt réjoui d’être devenu le parti numéro un de l’opposition, en référence aux dissidents du PDS qui n’ont pu récolter que quatre sièges. « Je suis fier de mon parti, et je suis content de rester à sa tête. Le PDS est sorti grandi des élections législatives. Mise à part la coalition au pouvoir [Benno Bokk Yakkar, « Unis pour un même espoir » en wolof, a remporté 119 sièges sur 150, ndlr], nous sommes le seul parti à disposer d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Avec douze sièges obtenus dans un contexte difficile avec les audits et autres tentatives de déstabilisation, sans compter également les dissidences au sein du parti, nous sommes la première force politique du Sénégal », s’est félicité Wade, devant une assistance médusée.
Son dernier fauteuil politique, le secrétariat général du PDS, est fortement menacé par les plus jeunes qui n’ont que trop attendu la retraite du « Vieux ». Dès la défaite de la présidentielle, des pontes du parti, et non des moindres, tels le président du Sénat Pape Diop, l’ancien président de l’Assemblée nationale Mamadou Seck et plusieurs ministres, avaient défié l’autorité de Wade en constituant une liste différente de celle dressée par le secrétaire général pour aller aux législatives. À mesure que Wade s’accroche à son fauteuil, la saignée continue. « Wade est ainsi, a commenté un enseignant de l’université de Saint-Louis. Il s’entêtera jusqu’au bout, et préférera rester avec un bout de PDS, si minuscule soit-il, plutôt que de s’effacer au profit de personnes qu’il n’a pas cooptées lui-même. »
Des indiscrétions laissent entendre qu’après avoir tenté, en vain, d’imposer son fils Karim Wade à sa succession, il nourrirait le projet de léguer le PDS au même Karim, que l’on qualifie d’« homme le plus détesté du Sénégal ». Le choix du coordonnateur de la liste PDS aux législatives, un proche de la Génération du concret de Karim Wade, a été interprété comme un signe dans cette direction.
Alors que les libéraux attendent impatiemment la convocation d’un congrès ordinaire pour renouveler le parti et le remettre en ordre de bataille pour les échéances futures, en particulier les élections locales de 2014, Abdoulaye Wade traîne les pieds. « En dehors de Wade, nul ne sait ni le jour ni l’heure ni même l’année » de ce congrès, ironise un jeune du parti.
En attendant, c’est la débandade au sein du PDS. Ses principaux cadres sont obligés de garder le profil bas, occupés qu’ils sont, pour la plupart, à préparer leur défense face aux audits de leur gestion passée qui s’annoncent. Plusieurs caciques, dont Karim Wade, ont déjà été entendus par les enquêteurs de la Division des investigations criminelles de la police et de la brigade de recherches de la gendarmerie. Des soupçons pèsent également sur la fille du président, Sindiély Wade, dont la gestion du Festival mondial des arts nègres (Fesman) de Dakar, dont elle était la déléguée générale, a été décriée. Lors d’une sortie publique dans la banlieue dakaroise de Pikine, l’actuel ministre de la Culture et du Tourisme, le musicien Youssou N’Dour, a lancé cette pique en direction de Sindiély : « Avec 70 milliards de francs CFA, c’est qiunze ans de festivals. Où est passé cet argent ? Nous allons les poursuivre. »
Dans les milieux proches du premier ministre Abdoul Mbaye, des informations circulent selon lesquelles le gouvernement fera bientôt recours à des cabinets d’audit internationaux pour faire la lumière, de façon indépendante, sur la gestion des douze dernières années. Pour le clan Wade, la descente aux enfers n’est pas terminée.