À la base, le parler kinois, c’est la rencontre du lingala, langue de la province de l’Équateur, en République démocratique du Congo (RDC), dont l’administration coloniale a fait la langue de la force publique, et d’autres apports, comme le français et le kikongo essentiellement.
Le kinois, c’est la langue de la musique des générations successives (Wendo, Franco, Papa Wemba et Kofi Olomide). C’est aussi la langue des jeunes, l’« indubil », et, surtout, la langue de Kin, capitale de RDC et mégalopole d’Afrique centrale – environ huit millions d’habitants, mais personne n’a plus compté depuis des lustres. C’est aussi une langue qui évolue très vite.
Parce qu’il a senti un jour qu’il ne comprenait plus tout ce que racontait un Kinois dans un salon de coiffure de Matonge, le quartier africain de Bruxelles, Roger Mazanza, correspondant dans cette ville de l’Agence congolaise de presse, s’est lancé dans l’aventure de ce lexique.
Œuvre bien utile, car les mots, même d’origine française, n’ont bien des fois qu’un lointain rapport avec le sens d’origine. « Acquéreur », par exemple, désigne un « mauvais gestionnaire », comme ceux qui avaient bénéficié de la zaïrianisation des biens des étrangers en 1973 et qui les ont dilapidés… Un « américain », c’est celui qui prend en charge l’addition au restaurant. Le « blessé de guerre », c’est le billet de banque déchiré, allusion aux victimes qui ont endeuillé la RDC depuis 1996. Certains mots ont déjà fait le tour de l’Afrique, comme « bureau » qui désigne la maîtresse d’un homme invoquant le prétexte d’une tâche au bureau pour tromper son épouse légitime. Quant au terme « combattant », il a fini par désigner presque exclusivement les opposants au régime de Joseph Kabila, souvent prêts à en découdre.
Le parler kinois contient aussi des néologismes d’origine française, décrivant les dures réalités sociales de Kinshasa. Exemples : « criseur » (« celui qui tire le diable par la queue ») ou « phaseur » (« enfant des rues », ou shégué). Les journalistes kinois attendent le « coupage » après une conférence de presse, soit le dédommagement par l’organisateur de leur déplacement. Quand un ami kinois évoque la « date critique », il fait référence à la période de soudure entre deux versements du salaire. Et s’il prend l’envie à un Belge de sermonner un Congolais de la diaspora qui usurpe une identité pour obtenir l’argent de la Sécurité sociale, il s’entendra répondre que ce n’est qu’un juste retour des choses, le paiement de la « dette coloniale ».
Le Kinois s’est aussi emparé du lingala « pur » des origines et l’a détourné ou mixé avec le français. « Boma l’heure » (littéralement « tue le temps »), c’est le partenaire d’une liaison passagère. « Kobeta caillou » (« casser caillou ») signifie travailler dur, allusion aux travaux pénibles des chantiers de construction. « Kindoki » (littéralement la « sorcellerie ») a fini par désigner la stratégie des demandeurs d’asile pour obtenir le statut de réfugié. « Madesu ya bana » (« les haricots pour les enfants ») est le synonyme du pot-de-vin.
Et puis, il y a les néologismes à consonance française issus de mots à racine congolaise, tel ce merveilleux « zibulateur », du verbe kikongo kuzibula (« ouvrir »), synonyme d’« ouvre-bière » ou plus prosaïquement de décapsuleur. Les Kinois se sont enfin emparés des noms propres, en attribuant le nom du défunt raïs « Kadhafi », à tous ceux qui s’adonnent à la vente sauvage de carburant. Même les acronymes ont pris un autre sens puisque TVA signifie… « tout va augmenter » ! Le Kinois a le sens de la réalité !
* Le Parler kinois, petit lexique du langage de Kinshasa, Roger Mazanza, Éditions Le Cri/Buku, Bruxelles-Kinshasa 2012, 193 p., 15 euros.