Le Sénégal, pays de la teranga (« hospitalité » dans la langue wolof), patrie du président poète Léopold Sédar Senghor, terre des contrastes, kaléidoscope de paysages hypnotiques, est devenu un pays à l’agonie, sombrant dans le marasme économique sous les coups d’un dirigeant fourbe et clientéliste, transformé en dictateur ayant bafoué les espoirs du peuple qui l’a élu quelques années plutôt. Voilà le tableau que fait que le narrateur lorsqu’il retrouve son pays natal. Un homme qui, dès les premières pages, évoque avec nostalgie le beau Sénégal de son enfance, étendu sur les bords de l’Atlantique et dansant sur les rythmes de la tolérance. N’est-il pas d’une touchante naïveté comparé aux révolutionnaires qui animent le Mouvement des jeunes patriotes, groupe de militants pacifistes ? Cette naïveté se dissout pourtant rapidement au fil du roman, qui voit le jeune expatrié entrant en conflit avec les instances au pouvoir.
Tel un reporter, son auteur, Abdou Diagne, décrit le quotidien du peuple, témoigne de la souffrance des petites gens et délivre un message à l’ardeur sociopolitique empreint d’espoir. Dans ce monde étranglé par un pouvoir autoritaire adepte de la coercition, il fait entrer en scène la belle Thiaré. Sublime Madone, reine moderne, intellectuelle guerrière, allégorie généreuse et spirituelle, elle est décrite amoureusement et avec lyrisme dans son désir de justice et de démocratie pour tous ses compatriotes.
Elle pourrait être la réincarnation d’Aline Sitoé Diatta, ou de Ndatté Yalla, figures emblématiques de la période coloniale sénégalaise, qui ont, jusqu’à la mort, combattu pour la liberté de leur pays.
Thiaré, fascinante héroïne et martyre, est déterminée à métamorphoser un monde sombre dont les ténèbres n’arrivent pas à endiguer son optimisme et son utopisme. Chaque intonation de sa voix mène la contestation, dirige la foule. Elle est le symbole du courage, incarne la force de la non-violence dans ce Sénégal de la désillusion. Ses propos cohérents, prophétiques, reflètent le sursaut d’orgueil d’une Afrique qui « en a marre ! »
Disons-le, Les Larmes d’une martyre est une véritable œuvre de politique-fiction dans un Sénégal bien réel, qui durant l’élection présidentielle de 2012, a vu le pays sombrer dans la violence. Complots, assassinats, tentatives d’intimidation, représailles. Et si tout était vrai ? L’ouvrage décrit avec impétuosité le nouveau combat d’un continent pris en otage par ses dirigeants pratiquant l’enrichissement occulte et le pillage de ses ressources.
Difficile d’oublier, dans ce texte touchant, la jeunesse qui souffre et ne peut espérer des lendemains meilleurs, car sacrifiée sur l’autel du chômage et de l’opportunisme des politiciens. Ni la misère émanant des petites habitations surplombées par les villas luxueuses d’hommes d’État pitoyables, ou la tendre histoire d’amour rassurante d’humanité.
Après Retour au pays, entre rêve et cauchemar, publié en 2010 par la Société des écrivains, Abdou Diagne signe une œuvre qui interpelle et revendique une littérature « nouvelle », « moderne », puisant dans l’héritage négro-africain et l’inspiration hugolienne. L’auteur, diplômé en sciences politiques et en sociologie, blogueur, poète influencé par les auteurs romantiques et ceux des Lumières, reste un fils spirituel de la négritude. Dans Les Larmes d’une martyre, il a visiblement rempli son contrat. Au-delà du message politique, il s’impose comme l’un des rares auteurs sénégalais à donner une place véritable à la femme, lui adjugeant un pouvoir décisionnaire central. Il était temps !
Abdou Diagne, un Africain, un Sénégalais, un patriote, un humaniste, un écrivain engagé, et, pourquoi pas, un homme féministe ? À méditer.
Les larmes d’une martyre, Abdou Diagne, Éd. L’Harmattan, 2012, 202 p., 20 euros.