Les effectifs militaires étasuniens – Army, Navy, Marine Corps, Air Force – ont nettement diminué juste après l’éclatement de l’URSS et du bloc soviétique en 1991, et ce, de manière continue jusqu’en 2000, pour approcher à cette date les 1 384 000 soldats. Les événements du 11 septembre 2001 ont cependant stoppé ce recul, et, dès l’année 2002, ces effectifs ont été sensiblement réorientés à la hausse, jusqu’à excéder 1 425 000 au 30 septembre 2011. À ce chiffre devraient être ajoutés les 770 000 employés civils du ministère de la Défense des États-Unis, dont près de 12 500 étrangers.
Cette inflexion observée depuis 2001-2002 est due pour l’essentiel à l’évolution du personnel militaire actif en dehors du territoire national (figure 1), dont la proportion dans les effectifs globaux a brutalement augmenté avec le déclenchement des guerres contre l’Afghanistan (2001) et contre l’Irak (2003), passant de 16,3 % à 30,4 % entre 2001 et 2003. Au cours de l’année 2007, cette part a même dépassé 39 %, soit davantage qu’en tout autre moment de l’histoire des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Au paroxysme de la guerre du Viêt-nam, cette proportion n’avait pas excédé 36 % (1967). En 2010, c’est-à-dire deux ans après le désengagement d’Irak et le redéploiement des troupes en Afghanistan, la part du personnel militaire actif à l’étranger était encore de 34,9 %, soit plus que durant la guerre de Corée (de 30,3 % en 1950 à 34,2 % en 1954) ou qu’à l’extrême fin de la guerre froide (29,8 % en 1990).
Les effectifs « non distribués » (en transit ou en manœuvre) approchaient quant à eux les 12 % du total des militaires étasuniens en 2010. Par ailleurs, le nombre de personnes servant dans les forces armées n’ayant pas la nationalité étasunienne est passé en cinq ans d’un peu plus de 30 000 à près de 60 000 soldats entre 2005 et 2010.
En plus d’être relativement incomplètes (pour 2011 manquaient, par exemple, plusieurs pays africains comme la Somalie, la République centrafricaine, le Burkina Faso, le Malawi ou Maurice où la présence américaine a été signalée), les informations qui sont fournies par l’US Department of Defense (DoD) ne sauraient être analysées sans y ajouter les troupes étasuniennes directement impliquées dans les conflits de l’Afghanistan et de l’Irak. Ces dernières sont en effet comptabilisées à part, dans un document annexe mis à la disposition du public depuis décembre 2004 seulement, et appelées « Deployments (not complete) ». Il enregistre les effectifs militaires déployés dans le cadre des opérations Iraqi Freedom (OIF, à compter de mars 2003), puis New Dawn (OND, à partir de septembre 2010) en Irak, et Enduring Freedom (OEF, depuis décembre 2004) en Afghanistan.
Une première estimation du total des effectifs des armées étasuniennes dispersés dans le monde, au 30 septembre 2011, est donnée en additionnant aux 201 167 militaires stationnés sur le territoire national hors Continental United States (Alaska, Hawaï, Guam, Porto Rico, etc.) et aux 205 118 autres soldats présents en pays étrangers, y compris 59 680 undistributed (non répartis), les troupes qui étaient alors engagées en Irak avant leur retrait (soit 92 200 militaires fin 2011) et d’Afghanistan (109 200 personnes supplémentaires à la même date), c’est-à-dire plus d’un demi-million de soldats : 548 105 exactement. Ces chiffres doivent pourtant être révisés à la hausse.
Selon les chiffres fournis par les Active Duty Military Personnel Strength du ministère de la Défense, les forces américaines en dehors du territoire national sont passées de 470 000 en 1991 à 500 000 en 2010. Mais des réajustements sont souhaitables afin de rapprocher de la réalité les effectifs ainsi comptabilisés. Le personnel militaire et civil des armées ou des services de renseignement étasuniens impliqué dans des actions secrètes est très difficile à évaluer, mais vraisemblablement élevé. Compte tenu de cette difficulté, nous choisirons de procéder à un ajustement complémentaire, extérieur aux effectifs de l’armée étasunienne proprement dite et relatif aux agents des sociétés militaires privées appuyant les interventions des forces régulières. Aujourd’hui, ces sociétés privées sont en effet parvenu à s’imposer comme des acteurs incontournables sur les lieux de conflits majeurs dans le monde, y compris pour le Pentagone lui-même, devenu leur principal client.
Les guerres actuellement menées en Irak et en Afghanistan constituent les exemples frappants de l’essor des activités de ces sociétés, où leur utilisation par l’administration étasunienne est généralisée. Ces deux pays sont les terrains d’action privilégiés du « nouveau marché de la guerre », et principalement des mercenaires chargés de missions tactiques. Ainsi, le nombre d’agents mobilisés par ces sociétés militaires privées pourrait être de 186 000 en Irak (chiffre disponible pour 2008) et de près de 110 000 en Afghanistan (en 2009) (2).
Si les estimations des effectifs militaires à l’extérieur, y compris les agents de sociétés privées, fondées sur les données officielles du ministère de la Défense, sont fiables, les effectifs totaux d’agents employés par ces sociétés privées auraient dépassé ceux des forces armées des États-Unis en Irak comme en Afghanistan. Les mercenaires – participant aux combats – de nationalité étasunienne engagés en Irak seraient même plus nombreux que leurs compatriotes servant dans les corps des Marines, de la Navy et de l’Air Force, tandis que le nombre de ceux impliqués dans la guerre d’Afghanistan excéderait en 2009 celui des soldats étasuniens rattachés à l’armée de l’air et à la marine.
Ces estimations permettent deux réajustements possibles : l’une consistant à incorporer dans le calcul des effectifs militaires étasuniens en activité à l’étranger le personnel de ces sociétés militaires privées engagé dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan (hypothèse basse [représentée par la barre 2011]). L’autre, dans le monde entier (hypothèse haute), en supposant un nombre moyen d’agents privés de 100 travaillant pour chacune des 930 bases militaires situées hors d’Irak et d’Afghanistan officiellement reconnues par le Département de la Défense.
Sous la première hypothèse, nous nous situerions à 843 200 personnes environ, soit un niveau comparable à ceux du temps de l’intervention au Viêt-nam (entre les 832 364 militaires outremer en 1965 et les 875 432 de 1970). Sous la seconde hypothèse, nous serions, avec plus de 935 700 personnes concernées en 2011, au-dessus du record historique de l’après-Seconde Guerre mondiale (927 851 soldats étasuniens en mission à l’extérieur). Les militaires étasuniens dans le monde sont donc très nombreux, peut-être même plus nombreux que jamais…
(1) U.S. Department of Defense (années variées), Active Duty Military Personnel Strengths by Regional Area and by Country (309A), Washington D.C.
(2) Voir ici : Herrera, R. (2010), Un Autre Capitalisme n’est pas possible, Syllepse, Paris.