Grigris est le dernier long métrage de Mahamat Saleh Haroun, cinéaste tchadien dont l’œuvre est, depuis l’origine, intimement liée à son vécu personnel. Cette fois-ci, c’est une histoire en forme de métaphore à laquelle nous assistons : à travers Grigris, 25 ans, danseur passionné qui, malgré une jambe paralysée, veut devenir professionnel, nous entrons dans un Tchad symbolique tentant de se reconstruire une fois la guerre terminée. Rien ne va sans mal et Grigris est forcé de se lancer dans le trafic d’essence pour obtenir l’argent nécessaire aux soins de son beau-père, gravement malade.
Le cinéaste dresse aussi le portrait d’une jeunesse victime d’un contexte social difficile l’empêchant de s’épanouir à travers le parcours de son protagoniste et celui d’une jeune prostituée qui rêve de devenir mannequin. Pourtant, en évoquant la solidarité qui régit le village où se réfugie Grigris, on sent poindre une touche d’espoir pour le personnage, pour le pays, voire pour l’Afrique tout entière. Touche d’espoir que Mahamat Saleh Haroun incarne également sur le plan cinématographique.
Le réalisateur est en effet une personnification de l’histoire du Tchad. Né en 1961 à Abéché, la deuxième grande ville du pays, il fuit vers le Cameroun à 19 ans. Blessé lors du conflit tchado-libyen, il finit par s’installer en France où il étudie le cinéma et le journalisme. Il y réalise deux courts métrages : Tan Koul en 1991 et Maral Tanie en 1993. Son premier long métrage, Bye Bye Africa, date de 1999, lors de son retour chez lui au moment du décès de sa mère. C’est à ce moment qu’il décide de filmer un pays meurtri par la guerre, et une absence qui lui tient à cœur : celle du cinéma.
Abouna, sorti trois ans plus tard, évoque une autre absence, celle du père parti à Tanger (Maroc) chercher du travail. Vue à travers les yeux de ses enfants, cette absence figure aussi le manque de repères des jeunes générations, le désarroi d’un pays meurtri. Lors du tournage de Daratt, qui traite des séquelles de la guerre et des rapports père-fils, son équipe vécut l’arrivée des rebelles aux portes de N’Djamena, un moment difficile qui va lui inspirer son film suivant, Un homme qui crie, où à nouveau père et fils sont pris dans le tourbillon de la guerre civile.
Haroun n’est pas dupe sur l’état du septième art en Afrique, mais il n’en reste pas moins en quête de solutions, comme il le déclare lui-même : « Il n’y a pas de visibilité sur notre continent. Il revient à chaque cinéaste africain digne de ce nom de donner une visibilité à l’Afrique. » De toute évidence, il en est l’un des principaux représentants, puisque ces mots ont été prononcés lors du dernier Festival de Cannes, où Grigris était présenté en sélection officielle. Ce n’était pas sa première promotion : le cinéaste a été primé à Cannes en 2010 pour Un homme qui crie et à la Mostra de Venise pour Bye Bye Africa puis Daratt.
Si l’on peut évidemment déplorer qu’il ait été le seul représentant africain à Cannes en 2013 ou encore le premier réalisateur de longs métrages du Tchad en 1999, soit un siècle après les débuts du cinéma, Mahamat Saleh Haroun n’en reste pas moins le symbole de la possibilité d’un cinéma africain, au côté de réalisateurs comme les Sénégalais Alain Gomis (Aujourd’hui) ou Moussa Touré (La Pirogue).
Grigris, de Mahamat Saleh Haroun, Tchad/France, 1 h 41, avec Souleymane Démé, Anaïs Monory, Cyril Guei.