Les relations secrètes entre la CIA et les Islamistes doivent être rendues publiques?
Malgré la censure imposée par la CIA sur l’information, il est clair à partir d’interview d’agents américains et des archives d’autres pays, que la CIA a courtisé des groupes comme les Frères musulmans comme alliés dans la bataille mondiale américaine contre le communisme. En Égypte, le président Gamal Abdel Nasser a souvent accusé les Frères musulmans d’être payés par la CIA. C’est aussi l’opinion de certaines agences occidentales qui ont déclaré catégoriquement que Saïd Ramadan, le gendre du fondateur du groupe, basé en Suisse, était un agent américain. L’agence a pu, mais pour le confirmer, nous devons avoir accès à ses archives, être de collusion avec Ramadan dans le cas d’une tentative d’attentat contre Nasser.
La CIA a certainement aidé les Frères à s’installer en Europe, contribuant à créer le milieu qui a conduit aux attaques du 11 septembre. La mosquée de Munich que Ramadan a aidé à créée, par exemple, est devenue un foyer d’activités anti-américaines. L’homme condamné en tant que responsable principal de l’attaque de 1993 contre le World Trade Center a demandé une aide spirituelle à la mosquée avant de partir perpétrer l’attaque. Et, en 1998, l’homme considéré comme le responsable financier d’al-Qaeda, fut arrêté près de la mosquée où il cherchait aussi le soutien spirituel d’un imam. Une enquête basée sur cette arrestation a permis de tracer les Islamistes radicaux jusqu’à une seconde mosquée – la mosquée al-Qouds à Hambourg – fréquentée par trois des quatre pilotes du 9/11- mais sans pouvoir à établir le lien définitif. Cela ne veut pas dire que la CIA était derrière l’attaque du 9/11, mais que la collusion américaine avec les Islamistes durant la Guerre froide a engendré un fruit empoisonné dans les dernières années. Ce qui rend impératif de comprendre exactement ce qui s’est passé dans ces années apparemment éloignées 1950, 1960 et 1970 du siècle passé.
Plus récemment, malgré la rhétorique publique, parfois hostile, de Washington envers les Frères, il est clair que les administrations de George W. Bush et Barack Obama ont essayé de courtiser le mouvement. Des analyses internes de la CIA de 2006 et 2008 que j’ai pu obtenir, montrent que les Frères étaient considérés comme une force positive et un allié potentiel, cette fois non contre le communisme, mais contre le terrorisme islamiste. Les Frères musulmans étaient considérés comme un groupe modéré, et, donc, capable de canaliser les revendications loin de la violence envers les Etats-Unis (même si les théoriciens ne renonçaient pas à la violence contre Israël ou les soldats américains). Le Département d’État a aussi utilisé les musulmans américains proches des Frères pour entrer en contact avec les Islamistes d’Europe. Un tel soutien a donné à ces groupes une légitimité aux Etats-Unis et en Europe.
La CIA bloque la diffusion des informations car le sujet reste sensible, à la fois pour l’Occident et le monde musulman. À Washington, la CIA pourrait essuyer des tirs si ses propres archives confirmaient et complétaient cette vision de l’histoire. Pour les Frères, en plein retour comme force politique majeure en Égypte et dans d’autres pays, cela serait extrêmement dommageable de savoir que des personnalités illustres de leur histoire travaillaient pour le pays le plus symbolique des forces décadentes impérialistes qu’ils ont combattues pendant des décennies.
Révéler cette histoire pourrait être douloureux, mais nécessaire pour se débarrasser du double langage utilisé des deux côtés pour décrire leurs relations. Cela ne signifie pas que l’information doit être utilisée pour taper sur la coopération avec les Islamistes. Les États Unis et les autres pays occidentaux ont clairement besoin de discuter avec des groupes comme les Frères musulmans, et peut-être dans certaines situations, voire de les soutenir : par exemple si les Frères musulmans arrivaient vraiment au pouvoir démocratiquement en Égypte, les Etats-Unis seraient obligés de discuter avec un tel gouvernement. (…)
Certains arguments peuvent être légitimes. Mais ils ne peuvent être utilisés que si toute l’histoire de ces relations est connue au lieu d’être cachée. Il faut une intervention du Congrès. La CIA n’a pas déclassifié des documents concernant les liens des services américains avec des responsables nazis, par exemple, jusqu’à ce qu’elle en soit obligée par le vote de la loi dite Nazi War Crimes Disclosure Act de 1998. Cette législation oblige les agences du gouvernement américain à déclassifier tous les dossiers concernant leurs liens avec les Nazis pendant et après la guerre. Cela a entrainé un flot incroyable d’informations sur le sujet qui nous a aidés à comprendre, par exemple, la collaboration américaine avec les ex-Nazi après la guerre.
Il faut une loi similaire aujourd’hui. Il ne s’agit pas de faire un parallèle entre l’Islamisme et le Nazisme, un argument qui est tendancieux et contre productif. Le seul parallèle réside dans le fait que le gouvernement américain a eu des relations avec ces organisations douteuses et refuse tellement de l’admettre qu’il faudra des instructions spécifiques du Congrès pour les rendre publiques. Quels que soient les mérites de ces politiques, elles sont basées sur une stratégie ancienne, mais toujours tenue secrète. Alors que les gouvernements occidentaux cherchent à distinguer un « bon » taliban d’un « mauvais » en Afghanistan et au Pakistan, ou entre les Frères musulmans et les groupes plus radicaux au Moyen Orient, comprendre cette stratégie et son efficacité, n’a jamais été aussi urgent.
Ian Johnson
Août 2011
Extrait-traduction
http:www.nybooks.com