Avec la prise en compte du pétrole lourd (sables bitumeux et pétrolifères) dans les calculs de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), le Venezuela détient les réserves les plus importantes du monde, devant l’Arabie Saoudite. Hugo Chavez, pragmatique, a toujours et publiquement considéré que le pétrole – plus de la moitié des revenus du Venezuela – est une arme diplomatique et politique. À l’intérieur, le pétrole a servi à financer les « missions sociales » et la lutte contre la pauvreté. En 2001 et 2004-2005, Chavez a, également, imposé des réformes fiscales et contractuelles aux compagnies étrangères présentes dans le pays. C’est aussi dans cette perspective qu’il faut considérer sa stratégie régionale et internationale.
En 2004, l’Argentine reçoit en urgence du pétrole contre des équipements médicaux, des produits agricoles et du bétail. En 2006, le Venezuela rachète pour 950 millions de dollars de titres argentins permettant à Buenos Aires de rembourser sa dette au Fonds monétaire international (FMI). Depuis 2005, il vend à prix d’ami du pétrole à Cuba, soit 100 000 barils par jour, en échange de 2 000 médecins exerçant dans les zones reculées et défavorisées. Le Nicaragua reçoit environ 10 millions de barils par an et des aides sociales. En 2007, le Venezuela s’engage, par l’accord sur la sécurité énergétique avec l’Uruguay, à fournir du pétrole et du gaz pendant cent ans – entre 6 et 8 millions de barils an. Les sociétés nationales pétrolières des deux pays, Ancap et Petroleos de Venezuela SA (PDVSA), s’unissent pour développer la raffinerie uruguayenne à Montevideo. Et c’est un véritable pied de nez à Washington lorsque la PDVSA et sa filiale américaine Citgo concluent un accord pour fournir, à bas prix, du carburant aux familles défavorisées de la côte Est américaine.
Hugo Chavez veut montrer que l’Amérique latine peut sortir des griffes des États-Unis. Il prépare aussi le terrain pour son entrée dans le Marché commun du Sud (Mercosur), refusée jusque-là par les sénateurs paraguayens. Et lorsque le 31 août 2012, le Venezuela en devient le cinquième membre, il fait de l’organisation le quatrième bloc commercial mondial après l’Union européenne, l’Accord de libre–échange nord-américain (Alena) et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, la cinquième puissance économique du monde après les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Japon. C’est un camouflet violent pour Washington et son projet de zone de « libre commerce, de l’Alaska à la Terre de feu ».
Puissance pétrolière, le Venezuela de Chavez se devait d’intervenir dans l’Opep, en perte de vitesse et soumise au diktat de l’Arabie Saoudite et des grandes compagnies. Le président commence par mettre de l’ordre dans la PDVSA, dirigée par une bande d’autocrates corrompus qui dilapident les intérêts nationaux, violent les règles de l’Opep et préparent la privatisation du géant pétrolier. Début 2000, il fait une tournée dans les onze pays membres pour les convaincre de respecter les quotas fixés par l’organisation. Il les invite à participer à un sommet à Caracas en septembre, le premier depuis vingt-cinq ans et deuxième de toute l’histoire de l’Opep créée en 1960 à Bagdad, à l’initiative… du Venezuela de l’Irak, l’Arabie Saoudite, le Koweït et l’Iran. L’organisation, déchirée par la guerre du Golfe, écrasée par les marchés financiers et les majors pétrolières, revient sur la scène internationale et reprend des couleurs « anticolonialistes ». « Les prix pétroliers sont une question de justice historique. L’exploitation des ressources pétrolières était de nature coloniale », déclare Chavez qui œuvre au maintien du prix du brut au-dessus de 22 dollars le baril.
Les divergences entre le Venezuela et l’Arabie Saoudite au sein de l’Opep n’ont cessé de grandir concernant le rôle de l’organisation, que Chavez veut avant tout « politique et géopolitique », comme il le déclarait dans son discours d’ouverture du 3e sommet, à Riyad, le 17 novembre 2007. Discours-scandale entamé par un signe de croix au pays de La Mecque et de Médine, devant le roi saoudien « serviteur de deux Saintes Mosquées », et accompagné d’un « Nous savons que l’unique chemin de la paix, comme l’a dit le Christ, c’est la justice ». Une façon très « Chavez » de marquer son territoire en « terres ennemies ». La question aujourd’hui est de savoir si la disparition d’Hugo Chavez aura des effets sur la politique vénézuélienne en matière de pétrole et sur l’Opep.