Deux jours après la démission de Blaise Compaoré, poussé vers la sortie par un soulèvement populaire d’une ampleur rare sur le continent africain, de nombreuses inconnues demeurent. Il s’agit maintenant pour la large coalition de l’opposition et les organisations de la société civile qui ont pris part au mouvement insurrectionnel, d’empêcher que leur « révolution » soit confisquée par l’armée.
Le pouvoir rend aveugle, dit-on. Son prolongement excessif engendre parfois une forme d’autisme. La montée du mouvement de contestation politique et social, dès 2013 et, depuis des mois, les manifestations fleuves à Ougadougou comme à Bobo Dioulasso contre l’amendement de l’article 37 de la Constitution qui limite les mandats présidentiels, aurait dû alerter le « fin médiateur » régional qu’était devenu l’ancien parachutiste de Po, et l’inciter à la prudence.
Péché d’orgueil, mais aussi mauvais calcul : Blaise Compaoré s’était fié au rapport de force parlementaire. Son parti et ses alliés pouvaient en effet aligner suffismment de députés pour faire passer l’amendement sans même recourir au référendum populaire, un moment envisagé. Pour faire bonne mesure, il avait, auparavant, feint d’accepter un dialogue avec les partis d’opposition et la société civile dans le but de désamorcer la tension et, théoriquement, de rechercher un compromis. Ce fut un échec. Blaise Compaoré ne se souciait guère du consensus, tellement il était sûr de son affaire et pressé de régler la question de cet amendement, le troisième depuis son accession au pouvoir, il y a vingt-sept ans. Il a alors poursuivi son but presque comme un défi, et au plus chaud de la contestation populaire.
On connaît la suite. Le jour où le parlement est appelé à voter la loi controversée, le 30 octobre, la contestation, pacifique jusqu’à la veille, prend des allures insurrectionnelles. L’armée est vite débordée. Mais elle refuse d’utiliser la force pour réprimer les manifestants, même lorsque ceux-ci s’en prennent violemment aux bâtiments publics et aux symboles du pouvoir, pour la plupart incendiés ou gravement endommagés.
Blaise Compaoré est seul. Le retrait du projet de loi sur l’amendement et la promesse de former un gouvernement d’unité nationale qu’il annonce dans l’après-midi, ne calment pas l’ire populaire. C’est sa tête que l’on veut désormais.
Le lendemain, le président ivoirien Alassane Ouattara lui conseille de démissionner et de quitter vite le pays. Sa vie est désormais en danger. Une heure après la conversation téléphonique entre les deux hommes, un communiqué signé du président annonce des démissions afin « préserver les acquis démocratiques ». « Le pouvoir est vacant », dit le communiqué, laconique. Même démissionnaire, Compaoré exige toutefois que des élections soient organisées dans les trois mois. Essaye-t-il d’éviter l’effondrement total de son parti, afin qu’il puisse encore présenter un candidat crédible, donc sauver les meubles, voire reconquérir le pouvoir ?
Avant de faire ses bagages, il avait discrètement confié le pouvoir à son chef d’état-major, le général Honoré Traoré. Mais les manifestants, toujours nombreux sur la place de la Nation de Ouagadougou, rejettent ce choix, comme le fera la coalition des forces de l’opposition : le général est trop proche du président déchu. Surgit alors un deuxième homme, le lieutenant-colonel Zida Isaac Yacouba, numéro deux de la garde présidentielle, plus jeune, plus à même de convaincre la coalition des partis de l’opposition et les mouvements de la société civile qui ont pris la tête de la contestation et qu’il s’empresse de rencontrer. Il promet l’implication des « forces vives de la nation » dans la transition dont il est censé prendre la tête. L’état-major de l’armée entérine ce choix, mettant fin à la confusion engendrée par les annonces des deux hauts gradés. Zida est investi par l’armée et agit aussitôt en chef de l’Etat. Il annonce des mesures musclées pour rétablir l’ordre public « sur tout le territoire », décrète en somme la fin de la récréation.
Mais l’opposition et la société civile, réunies samedi 31 octobre à Ouagadougou, demandent une transition « démocratique et civile ». « La victoire issue de l’insurrection populaire appartient au peuple, et par conséquent la gestion de la transition lui appartient légitimement et ne saurait être en aucun cas confisquée par l’armée », précise le communiqué issu le 31 octobre. La Commission de l’Union africaine, en la personne de sa présidente Mme Nkosazana Zuma et El-Ghassim Wane, directeur du département Paix et sécurité, viennent à leur secours en appelant le pays à privilégier une transition civile.
La veille, le lieutenant colonel Zida avait annoncé le départ de Blaise Compaoré et de son escorte vers la ville-garnison de Po, près de la frontière ghanéenne. Mais le convoi, fortement armé et dirigé par le général Gilbert Diendéré, chef d’état major particulier, ne pourra pas atteindre sa destination. La population a coupée la route à quelque dizaines de kilomètres de Po, a-t-on appris de source ivoirienne. Zida n’en dira pas mot, alors qu’il est en contact avec le convoi et qu’il s’entretient longuement avec les différentes composantes de l’opposition et des medias. Le président Ouattara, qui est resté en contact permanent avec Compaoré, ne peut plus envoyer ses hommes le chercher là où ils en avaient convenu.
Le convoi de l’ancien président du Burkina a alors le choix de rentrer à Ouagadougou, en prenant le risque d’être intercepté, ou de s’enfoncer à l’intérieur des terres. Ce qu’il fera. Aucune autre route n’est à portée. Le convoi avait choisi de ne pas se rendre à la frontière ivoirienne car il aurait fallu transiter par Bobo Dioulasso, ville très hostile au pouvoir de Compaoré. C’est en pleine brousse que les hélicoptères ivoiriens recueilleront enfin l’ancien président et sa suite, pour les amener en Cote d’Ivoire tard dans la soirée.
Il est légitime de se demander si la fermeture de l’espace aérien annoncée par Zida ce jour-là – et aussitôt levée le lendemain – avait pour but de protéger l’opération héliportée partie à la rescousse de Compaoré sur les ordres de Ouattara. Après tout, Diendéré a longtemps été le chef direct de Zida et celui-ci doit son ascension à sa double casquette : la fidélité à l’ancien régime et sa crédibilité relative auprès de l’opposition.
Le lieutenant colonel Zida a, en tout cas, contribué pour le moment à éviter à l’ancien président de devoir rendre des comptes au peuple et aux juges de son pays pour les crimes commis sous sa présidence, en premier lieu l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons, en ce tragique 15 octobre 1987. N’est-ce que partie remise ?
La rédaction d’Afrique Asie