Rêveurs, indolents ou passionnés, les personnages croqués dans le premier livre*de Raphaël Mabro attachent d’emblée le lecteur. Au cœur d’un Orient, à la fois proche et lointain, ses nouvelles nous plongent dans un environnement insoupçonné et fascinant.
A cheval sur plusieurs continents, le Levant est une notion qu’il n’est pas toujours aisé de définir. En revanche, les Levantins, facilement identifiables, ont permis à Raphaël Mabro d’en esquisser quelques portraits hauts en couleur. Au fil de nouvelles bien enlevées, il dépeint cette société qui se réduit aujourd’hui comme une peau de chagrin, environnée par un Proche-Orient menacé par le repli sur soi et le radicalisme éradicateur. Ces hommes et ces femmes, habités par un héritage qui les dépasse, mais qu’ils assument au quotidien, sont les témoins d’une époque révolue dont ils perpétuent cependant le mode de vie et l’intérêt soutenu pour les richesses venues d’ailleurs.
Un poète qui laisse traîner ses œuvres dans une coccinelle ouverte à tous les vents, un président de la république mou et sans échine mais convaincu des avantages du laisser-faire, une adolescente engluée dans l’étouffant conformisme d’une ville conservatrice, des jeunes idéalistes en lutte contre les compromissions sociales ou encore un mandéen dissimulant son identité dans un univers différent du sien, voilà quelques-unes des saisissantes personnalités qui habitent ce recueil. Mais qu’est-ce qu’est donc un mandéen ? Ne vous en faites pas, la grande érudition de notre auteur se charge de vous l’expliquer, simplement et de manière ludique. Il faut dire qu’au fil des pages, des notes, succinctes et éclairantes, nous font découvrir sans efforts la diversité d’un Orient compliqué, mais finalement simple à appréhender.
En une douzaines de nouvelles remarquablement agencées, l’auteur nous transporte de Beyrouth à Alexandrie en passant par Damas et Tripoli. Des rivages de l’Egypte aux contreforts du Liban, les héros de son récit se cherchent parfois et s’abandonnent le plus souvent à une douce fatalité qui les pousse en avant. Autour d’eux flottent les odeurs lointaines des rivages abandonnés par leurs aïeux, en Grèce, en Italie, en Irak, en Haute Egypte ou dans l’empire Ottoman, tandis que certains des leurs partent à la conquête d’illusoires utopies à Paris ou ailleurs. Ces passeurs de culture, chevauchant plusieurs identités à la fois, furent, à leur heure de gloire, les véhicules privilégiés de l’ouverture aux vents du large.
Leurs destins à la croisée de plusieurs mondes s’expriment dans des modes ritualisés par leurs héritages ataviques. A leur image cosmopolite, le livre s’ouvre sur un texte de Constantin Cavafy. Tout au long des pages l’italien, le dispute à l’arabe, à l’anglais, au grec et bien sûr au français, toujours cités dans leur langue d’origine et traduits pour notre enchantement. D’une plume légère cette promenade contemporaine nous amène , sans même le réaliser vers des époques anciennes et des horizons lointains. Souhaitons à ce nouvel auteur une carrière littéraire aussi prometteuse que ne le laissent entrevoir le raffinement des tableaux qu’il peint avec une grande sensibilité et une vaste culture. Parcourant cet univers chatoyant, on se prend à penser que Jorge Luis Borges n’est pas loin !
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(*) Nouvelles levantines, Raphaël Mabro, L’Harmattan, 147 p., 2018, 16 €