La pétromonarchie la plus puissante – et la plus inféodée, avec le Qatar, aux Américains – du Golfe, et en conflit presque ouvert non seulement avec la Syrie mais l’Iran, n’a vraiment aucun intérêt à une « sortie de route » de ses cousins royaux du Bahrein !
Le royaume du Bahrein s’invite de nouveau dans l’actualité arabe et internationale. A l’occasion il est vrai d’un événement sportif considérable : le Grand Prix de Formule 1 qui s’y déroule à partir de demain dimanche 22 avril, sur le circuit de Sakhir. Un événement dont le gouvernement monarchique autoritaire sunnite (et minoritaire) , allié du Qatar et de son puissant voisin saoudien, comptait bien faire une vitrine internationale. Mais, pour les mêmes raisons d’exposition médiatique exceptionnelle, l’opposition, c’est-à-dire la majorité chiite, en lutte de plus en plus active, depuis le début de l’année, pour réclamer des droits et une représentation proportionnelle à son importance démographique (70% de la population autochtone du Bahreïn), est redescendue en masse dans les rues de Manama et d’autres villes de l’île-royaume.
Le printemps de retour et le temps qui se gâte
Vendredi 20 avril, 10 000 manifestants se sont rassemblées dans un quartier de la capitale Manama, dans le but d’atteindre le rond-point qui a servi de « place Tahrir » locale lors du printemps bahreïni de février 2011, encore appelé « révolution de la Perle« , réprimé comme on sait par le pouvoir aidé de contingents saoudiens et d’autres monarchies du Golfe.. La police, recrutée en partie parmi les immigrés, a tenté de disperser les rassemblements à la grenade lacrymogène. De leur côté, certains manifestants ont riposté au cocktail Molotov. Ce samedi des représentants de l’opposition ont annoncé la mort d’un manifestant.
Depuis, la tension demeure. Elle n’a, à vrai dire, jamais cessé depuis plusieurs mois, les manifestations, certaines de très grande ampleur, ponctuant régulièrement l’actualité politique de ce royaume à direction sunnite et à population majoritairement chiite, de régime pas vraiment démocratique, géographiquement coincé entre les deux ennemis héréditaires que sont l’Arabie saoudite et l’Iran, et politiquement aligné sur Ryad, Doha et les Américains.
Le roi Hamad ben Issa al-Khalifa, et son oncle et Premier ministre le très autoritaire et pro-occidental Khalifa ben Salman al-Khalifa, ont voulu donc s’offrir une opération de relations publiques – et de redorage de blason – de première classe en organisant cette prestigieuse compétition de formule 1. Las, la politique et le peuple se sont invités à la fête qui semble gâchée sinon compromise : déjà deux membre de l’équipe Force India ont décidé de rentrer en Grande-Bretagne après avoir assisté de très près aux violences de Manama.
Des représentants de l’opposition chiite, dont certains ont tenu une conférence de presse, ont assuré qu’ils n’appelleraient pas à des manifestations d’ampleur ce samedi, sans exclure que se produisent des rassemblements spontanés. Certains ont donné un bilan des diverses manifestations ayant troublé la semaine dernière dans plusieurs villages : 54 blessés. et 95 arrestations. Ils ont aussi exprimé leur inquiétude quant à l’état de santé d’une des figures de l’opposition bahreïnie, le militant Abdoulhadi al Khawadja, condamné à la prison à perpétuité pour son militantisme qui observe une grève de la faim depuis… 70 jours. D’autres groupes d’opposants, comme le collectif de « la Révolution du 14 février » (en référence au soulèvement chiite de l’an dernier) a appelé les Bahreïnis à manifester entre le 20 et 22 avril, de façon à perturber le déroulement de la compétition. Et de son côté, le principal parti d’opposition, al-Wifaq, annonce une semaine de manifestations non stop. Et la crise s’internationalise doucement : le leader chiite irakien Moktada Sadr a appelé au boycott du Grand Prix.
La situation est, de fait, de plus en plus explosive et tourne à la confrontation non seulement politique mis communautaire : début avril, un attentat avait blessé sept policiers dans un village chiite, ce qui a aussitôt déclenché des heurts entre plusieurs centaines de civils sunnites et chiites. Selon Amnesty International, 60 personnes sont mortes victimes de la répression depuis la reprise des manifestations, en juin dernier.
En ce qui concerne la compétition, elle est maintenue, et le patron de la F1, le businessman britannique Bernie Ecclestone, a même jugé « absurdes » les supputations de la presse à ce sujet. Dans l’immédiat, le site informatique du Grand Prix a déjà été piraté par des cyber-opposants – pas syriens cette fois. On ne s’étonnera pas qu’une institution malgré tout liée au monde anglo-saxon préfère faire l’autruche en la circonstance : mais l’année dernière, les mêmes causes avaient entraîné l’annulation du Grand Prix de F1 par les autorités.
Il se peut que les bolides foncent librement à Sakhir, mais en attendant le Bahreïn se retrouve médiatisé comme rarement auparavant et pas vraiment pour des raisons sportives et touristiques : ce samedi, par exemple, la chaîne I-Télé a consacré autant de temps, dans une de ses éditons, aux manifestations du Bahreïn qu’aux soubresauts de la crise syrienne. Et le problème ne se pose pas qu’aux seuls dirigeants du royaume : le puissant voisin et protecteur saoudien, qui entretient toujours des troupes sur place, surveille de très près l’évolution d’une situation qui le concerne directement, étant voisin immédiat du Bahreïn, et étant confronté lui aussi à une révolte – de moindre ampleur- des minorités chiites de ses districts orientaux (2 millions de personnes en tout). Sur son flanc sud, le voisin yéménite ne se sort pas d’une guerre sanglante contre al-Qaïda. La pétromonarchie la plus puissante – et la plus inféodée, avec le Qatar, aux Américains – du Golfe, et en conflit presque ouvert non seulement avec la Syrie mais l’Iran, n’a vraiment aucun intérêt à une « sortie de route » de ses cousins royaux du Bahrein ! Et le Godfather américain, qui y a installé le QG de sa Vème flotte, et se sert de l’île comme d’une vigie anti-iranienne, pas davantage.
RSF hausse le ton
Par ailleurs, Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé ce samedi, à la veille du Grand Prix de Formule 1 de Bahreïn, «les atteintes à la liberté de la presse» récemment commises, selon l’organisation, par les autorités bahreïnies.
RSF «a recensé de nombreuses atteintes à la liberté d’informer depuis le début de cette année. En décembre 2011, nous avions classé Manama parmi les dix endroits les plus dangereux pour les journalistes et, jusqu’ici, nous n’avons observé aucune amélioration significative des conditions de travail des médias», indique RSF dans un communiqué.
«La propagande du gouvernement doit céder sa place à une presse réellement libre», ajoute le communiqué.
«Plusieurs journalistes n’ont pas pu se rendre au Bahreïn pour couvrir le Grand Prix de Formule 1», indique RSF. «Le correspondant en chef de Sky News, Stuart Ramsay et le producteur de la chaîne Matog Saleh se sont vu refuser l’entrée au Bahreïn, sans qu’aucune raison ne leur soit donnée. Le reporter Simeon Kerr, du Financial Times, a également été refoulé à l’aéroport de Manama».
«Un photographe de l’Agence France-Presse et deux journalistes d’Associated Press, tous les trois basés à Dubaï et accrédités par la Fédération internationale de l’automobile, n’ont pas reçu leurs visas à temps», ajoute le communiqué.
«Dernièrement, à l’approche des manifestations du 14 février 2012 qui ont célébré dans les rues du royaume les débuts de la révolte populaire, les autorités ont refusé de délivrer des visas à plusieurs journalistes», dénonce RSF, selon qui «les journalistes en marge des manifestations sont systématiquement pris à partie par les forces de sécurité».
Ironie du sort, ce même royaume de pacotille s’est joint aux très démocrates monarchies du Golfe pour réclamer au gouvernement syrien d’autoriser la libre circulation des journalistes et l’arrêt de la répression !
Infosyrie et agences (21 avril 2012)