L’attente a été longue, très longue pour les 4776 délégués à la 54ème conférence élective de l’ANC, pour Jacob Zuma, sa candidate Nkisazana Dlamini-Zuma, et pour son adversaire Cyril Rapaphosa, restés assis à la tribune. C’est dans une salle tendue, malgré les chants et les danses de petits groupes de participants, qu’avec un retard de plus de 24heures, la Commission a annoncé, à 17 heures, le 18 novembre, le résultats des votes : Cyril Ramaphosa l’emporte avec 2440 voix contre 2261 pour sa rivale et devient le 13ème président de l’ANC.
Une victoire en demi teinte, cependant. Les membres du Top6 (le vice-président, le secrétaire général et son adjoint et le trésorier, le secrétaire national), ont, en effet, également été élus, avec un résultat mitigé. Le vice-président David Mabuza, et le secrétaire général Ace Magashule, ont soutenu la candidature de Nkosazana Dlamini-Zuma contre Cyril Ramaphosa, et sont des proches de Jacob Zuma. David Mabuza, à la course à un poste à la direction de l’ANC, a abandonné Nkisazana Dlamini-Zuma en cours de route, n’ayant pas obtenu de garantie. Il a travaillé en coulisse, fort des mandats de sa province, pour marchander la vice-présidence. Ils pourraient, tous deux, pour des raisons évidentes, lorsqu’on connaît leurs pratiques mafieuses, bloquer l’action du nouveau président de l’ANC, particulièrement en ce qui concerne la lutte contre la corruption au sein de l’organisation. Jessie Duarte, la seule femme du Top6, réélue à son poste de secrétaire générale adjointe, a également soutenu la candidature de Nkosazana Dlamini-Zuma et est un soutien inconditionnel de Jacob Zuma.
David Mabuza est Premier ministre de la province de Mpumalanga. « Le Chat » comme il s’est lui même surnommé, est un opportuniste à la réputation plus que douteuse. Proche de Jacob Zuma qu’il a contribué à porter à la tête de l’ANC lors du congrès de Polokwane, en 2007 – congrès qui a démis le président Thabo Mbeki par un coup de force – il est accusé d’avoir fait du Mpumalanga son fief personnel, utilisant la violence de groupes armés, impliqué dans une série d’assassinat et de corruption à grande échelle. Il est, également, comme Jacob Zuma, lié à la famille Gupta accusée de capture d’État. Toutes les affaires le concernant ont, jusqu’ici, été étouffées. Il a, de façon, surprenante, propulsé en quelques années au premier rang du paysage politique sud-africain, sa petite province en faisant « exploser » les adhésions à l’ANC, s’assurant, ainsi, sa place au deuxième rang à la 54ème conférence, avec 736 délégués. Il est fort probable qu’il ne soutiendra pas Cyril Ramaphosa dans sa volonté de s’attaquer à la corruption et qu’il continuera de protéger ses intérêts et ceux de Jacob Zuma et son entourage. À moins que « le Chat » y voit un intérêt pouvant satisfaire de nouvelles ambitions.
Ace Magashule est Premier ministre de la province du Free State depuis 23 ans. C’est un fervent soutien de Jacob Zuma, et, comme lui et comme le nouveau vice-président, il est impliqué dans l’affaire de capture d’État touchant la famille Gupta. Il a été accusé d’avoir détourné 30 millions de rands destinés à une laiterie dans sa province, via un réseau de sociétés liées aux Gupta pour qui travaille son fils (comme le fils de Jacob Zuma) pour financer le scandaleux mariage d’une fille de la famille indienne en 2013. Il a été un rouage clé de la machine de capture d’État. Il est présumé avoir, également, détourné 8 millions de rands pour rénover sa résidence officielle, tandis qu’à sa demande, le Free State achetait six Mercedez-Bens dernier modèle, dont cinq furent offertes aux chefs traditionnels. Mais il a aussi permis à des milliers d’étudiants de sa province d’accéder à des bourses d’études universitaires (certains disent contre une adhésion à l’ANC). D’où une certaine « popularité ».
Jessie Duarte est la seule femme élue au Top6. Elle a été réélue au poste secrétaire générale adjointe qu’elle occupait depuis 2012. C’est aussi une fervente partisane de Jacob Zuma. Dans le précédent mandat, elle s’était fortement opposée aux appels à la démission du président qui ont suivi le rapport de la protectrice publique Thuli Madonsela sur le scandale de Nkandla. Elle s’est acharnée contre la protectrice publique de façon outrancière. Elle s’est, également, attaquée violemment à tous ceux, medias, démocrates, membres ou ex-membres de l’ANC, héros de la lutte contre l’apartheid, société civile, qui osaient critiquer le président auquel il ne fait aucun doute qu’elle continuera d’être liée, devenant « ses yeux et ses oreilles », comme certains le soupçonnent déjà.
Gwede Mantashe, secrétaire général durant les dix dernières années, élu « chairperson », (secrétaire national chargé de l’administration et du fonctionnement au niveau des branches), est un homme discipliné. Respectueux des règles et attaché à l’unité et à la stabilité de l’ANC, il connaît parfaitement l’organisation. Il a soutenu la candidature de Cyril Ramaphosa. Membre du Parti communiste sud-africain dont il fut le président, il ne s’est pas joint à l’appel du SACP à la démission de Jacob Zuma, privilégiant le « protocole correct ». Mais il pourrait jouer un rôle important dans les relations avec les deux alliés de l’ANC, la confédération COSATU et le Parti communiste, en rupture de ban avec celle-ci sur la question de la corruption et des dysfonctionnements qui sapent l’organisation. C’est un homme de parti, discipliné, qui a, certes, pris à plusieurs reprises la défense de Jacob Zuma de façon claire et parfois désespérée, au nom de l’unité de l’ANC. Cependant, il soutiendra, sans aucun doute, le nouveau président qu’il connaît bien, à la fois pour des raisons idéologiques et dans l’intérêt supérieur de l’ANC.
Paul Mashatile, Premier ministre de Gauteng (province de Johannesburg) sera, lui aussi, aux côtés de Cyril Ramaphosa dans ce qui s’annonce comme un difficile mandat, compte tenu de la situation financière catastrophique de l’ANC. En juin dernier, il annonçait son soutien à la candidature du nouveau président, mais déclarait, également, que sa province voulait un consensus quel que soit l’issu du scrutin. À ce titre, il avait été approché par David Mabuza qui lui avait exprimé son intérêt à « travailler ensemble ». Les deux ont été élus, qu’en sera-t-il désormais ? Mais on peut difficilement douter de son soutien à Cyril Ramaphosa dans l’année à venir.
Quoi qu’il en soit, Jacob Zuma n’a toujours pas démissionné, il entend bien rester le président de la République sud-africaine jusqu’à la fin de son mandat et les élections générales en 2019 et son remplacement par Cyril Ramaphosa en cas de victoire de l’ANC aux élections générales. On peut être certains qu’il continuera de tirer les ficelles, ne serait-ce que pour échapper à la justice.