Agir et laisser dire. C’est la stratégie de communication, la plus judicieuse somme toute, à laquelle s’est rallié le pouvoir algérien pour confondre ses adversaires, briser le mur de rumeurs derrière lequel ils voulaient l’enfermer et entretenir la confiance que n’a cessé de lui manifester son peuple à travers toutes les consultations démocratiques qu’il a organisées depuis quinze ans.
L’été avait été la saison de la confusion entretenue autour de l’état de santé du président et des manipulations savamment orchestrées, suggérant qu’un « vide » s’était installé au cœur de l’État. Mais les organes institutionnels, chacun dans son rôle, ont assuré la continuité du pouvoir sans jamais être entravés dans leur fonctionnement régulier. Ils n’ont pas vacillé, confirmant ainsi leur solidité dans l’épreuve. Aux rumeurs lancées par les cassandres qui tendaient à décrédibiliser le pouvoir, à travers un circuit médiatique débridé passant souvent par l’étranger, elles ont opposé des nouvelles dignes de confiance et vérifiables, sur lesquelles s’est fracassée la campagne de désinformation.
S’il y a un mauvais usage de la liberté de la presse dont l’Algérie bénéficie dans son acception pleine et entière depuis plus de vingt ans, c’est bien celui que l’on a vu s’étaler sans vergogne durant l’été. Des événements tout à fait relatifs tels que – grande mode de la démocratie dite d’opinion – le sit-in d’une centaine d’individus devant le siège d’une quelconque administration pour appuyer des revendications, légitimes ou pas, ont été exploités en manchettes par certains journaux. Ils tentaient de suggérer que le pays est une poudrière, n’attendant qu’une petite mèche pour s’enflammer et « exploser ».
Faut-il rappeler que depuis son entrée dans l’ère du pluralisme politique, il y a maintenant un quart de siècle, l’Algérie, tout comme les grands pays démocratiques dans le monde, connaît en moyenne une dizaine de milliers de mouvements de protestation par an à travers son territoire, portant sur des revendications catégorielles diverses, et que les banderoles revendicatives font partie depuis des années du paysage urbain ? Reflet d’une pratique démocratique qui tend à s’ancrer dans la culture politique nationale, l’État ne les a jamais interdites. Il ne s’y est jamais opposé, sauf quand il était de son devoir de faire respecter la loi, contenir les débordements des provocateurs et protéger les personnes et les biens sur le passage des manifestants.
Cependant, l’été dernier, on a assisté à autre chose : une sorte de résurgence du fantasme d’un « printemps arabe » en Algérie. Celui-là même que, il y a un peu plus de deux ans, un « Comité national démocratique du changement » autoproclamé, hétéroclite, formé de bric et de broc politique, avait tenté d’imposer dans la rue. Les mêmes acteurs n’ont pas renoncé à voir le « printemps arabe » rattraper leur pays. Mais les fleurs se sont pourtant fanées avant de donner les fruits attendus. Les expériences voisines en Tunisie, Libye, Égypte, et dans le lointain Yémen se sont transformées en cauchemars pour leur peuple. Il faut surtout rappeler que l’Algérie a vécu dès octobre 1988 son propre « printemps démocratique » issu d’une dynamique politique interne et non imposée de l’extérieur, et qu’elle a connu, hélas !, un « hiver islamiste » durant la décennie sanglante du terroriste, à la suite du hold-up électoral tenté par le Front islamique du salut (FIS) en 1991. Au vu de cette expérience douloureuse, les Algériens ne sont pas prêts à retomber dans les ornières des années 1990, lorsqu’ils vivaient dans la psychose de l’attentat terroriste fatal, et que l’autorité de l’État s’effilochait à vue d’œil.
Peut-être faut-il enfin rappeler que l’Algérie n’a dû son salut dans ces années sombres qu’au rassemblement de la société civile autour de l’armée, qui, conformément à la Constitution, a accompli son rôle de gardienne des institutions et préservé le projet de société voulu par les révolutionnaires du 1er novembre 1954, face à celui, régressif et moyenâgeux, que voulaient lui substituer par la force les obscurantistes.
À la faveur de ce qu’ils percevaient bien à tort comme un « vide » politique à la tête de l’État, certains prétendants au pouvoir sont sortis du bois, d’autres se sont tenus en embuscade, alors qu’une dernière catégorie, la plus avisée sans doute, attend son heure en le faisant savoir. Ce n’est pas le vide, assurément, mais le « trop-plein » qui menace l’Algérie en avril prochain à l’occasion de l’élection présidentielle, dont l’échéance est maintenue, malgré tous les « grenouillages » en coulisse sur son avancement ou son report.
Tout en prenant acte du calendrier, les adversaires du pouvoir se demandent insidieusement si cette compétition politique majeure sera, comme celles qui l’ont précédée, « ouverte ». Comme si une élection démocratique et plurielle pouvait être « fermée » ! Mais passons sur ces abus de langage. Combien de candidats à la candidature ? Une dizaine sans doute, peut-être plus, d’une inégale valeur intellectuelle et une inégale envergure personnelle et politique, dans une société qui a toujours rejeté les cavaliers seuls et les francs-tireurs et refusé de confier son sort à des hommes sans expérience. Au vu de tels critères, le moment venu, il restera peu de monde en lice.
Si l’été a donné lieu à quelques excès politiques dans les rangs des impatients du pouvoir, l’automne et l’hiver seront des moments de clarification. En reprenant la barre, le chef de l’État a également fixé un cap. Il a ainsi commencé par remanier profondément le gouvernement du premier ministre Abdelmalek Sellal. Des hommes de terrain, familiers de l’administration et des territoires, ont été désignés à des postes clés, alors que d’autres ont été écartés. L’armée a connu aussi son aggiornamento, d’une part avec la nomination de son chef d’état-major, le général de corps d’armée Gaïd Salah, au poste créé dans la foulée de vice-ministre de la Défense – sous l’autorité directe du chef de l’État, ministre de la Défense de plein exercice et commandant en chef des armées. Et d’autre part avec le réaménagement de quelques-uns de ses services. Trois d’entre eux : communication, sécurité des armées et police judiciaire, qui relevaient du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), ont ainsi été placées sous l’autorité de l’état-major. Plusieurs généraux ont été par ailleurs admis à la retraite et d’autres remplacés à la tête des régions militaires.
Il n’en fallait pas plus pour que des commentateurs s’enflamment en surinterprétant un mouvement qui a pourtant paru bien ordinaire à un des meilleurs spécialistes de l’institution militaire algérienne, N. Aït-Amara. Ces changements, écrit-il dans le site online Algérie-patriotique, ne méritent pas qu’on s’appesantisse. « Changer des personnes à la tête de directions relevant du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) n’a rien de spectaculaire. Il n’est nulle part écrit que les généraux en charge des très sensibles missions d’espionnage et de contre-espionnage […] devaient demeurer à leur poste à vie et ne le quitter que les pieds devant. Les réactions de la rue et des médias à ces mises à la retraite sont pour le moins paradoxales. D’un côté, on se plaint que les dirigeants à différents niveaux soient comme collés à leur fauteuil et, de l’autre, on s’étonne que ces mêmes pontes soient soumis à la même règle que tout le monde, c’est-à-dire laisser leur place à d’autres cadres qui devront apporter du sang neuf aux institutions qu’ils ont dirigées durant de longues années […]. Au lieu de focaliser sur les partants, c’est aux nouveaux arrivants qu’il faudrait s’intéresser de près pour comprendre les raisons qui ont conduit à ces changements et les objectifs assignés aux services de sécurité à la lumière de ces nouvelles nominations. »
Chacun aura compris que, face aux menaces extérieures apparues à ses frontières depuis 2011 à la faveur des « printemps arabes », de la guerre du Mali et du déferlement guerrier qui submerge le Sahel, l’Algérie se devait d’adapter ses services de sécurité, comme le suggère le commentateur d’Algérie-patriotique. Elle devrait probablement aussi refonder sa doctrine de défense nationale, qui, précise-t-il, « ne peut plus reposer sur la seule institution militaire ». C’est ce chantier qui sera sur le métier dans les semaines et les mois à venir pour être à l’œuvre dès que possible.
Sur le plan politique, une Alliance présidentielle rénovée est en train de se mettre en place pour se substituer à celle qui avait soutenu le chef de l’État ces quinze dernières années. Elle a été désertée il y a un peu plus d’un an, sans rien modifier à l’équilibre des forces parlementaires, par les islamistes du Mouvement pour la société de paix (MSP), sous la pression de leur faction la plus dure qui tente de voler de ses propres ailes. On verra bientôt si leur mentor new-look, Abdel Razek Mokri, parviendra à rassembler sous sa férule les restes épars du mouvement islamiste radical naufragé en 1992, laissé en rade par le FIS dissout. En tout cas, il en rêve depuis des années.
La nouvelle Alliance présidentielle comptera dans ses rangs le Front de libération nationale (FLN), le Rassemblement national démocratique (RND), qui tiennent à eux seuls la majorité au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que, probablement, le Tajamou Amal El-Jazaïr (TAJ), parti d’Amar Ghoul, ministre des Transports et transfuge du MSP, et le Mouvement populaire algérien (MPA) d’Amara Benyounès, ministre de l’Industrie et de la Promotion des investissements. Seront-ils rejoints par le Front des forces socialistes (FFS) du leader historique algérien Hocine Aït-Ahmed, issu de la matrice nationaliste, et le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hannoune, héritier du mouvement progressiste algérien ? Des tentatives de rapprochement sont en cours. Il est difficile encore d’en prévoir l’aboutissement. Mais il est déjà acquis que, même s’ils n’entreront pas dans l’Alliance présidentielle, les deux partis ne feront rien pour lui mettre des bâtons dans les roues.
En face, des contre-alliances sont certes possibles. Mais l’expérience algérienne indique que les attelages ne sont pas assurés de tenir au-delà d’un regroupement de circonstances. Handicapés par des ego surdimensionnés, ils risquent de s’écrouler au moindre coup dur.
Des aménagements constitutionnels, dont seul le chef de l’État connaît le contenu et l’étendue, doivent être décidés avant la fin de l’année. Ils ont fait l’objet d’un travail préparatoire confié à une commission d’experts, après une vaste consultation des principaux acteurs politiques organisée autour du président du Sénat Abdelkader Ben Salah. Les aménagements à venir ne sont pas dictés par les circonstances, comme tendent à le faire croire certains adversaires du pouvoir. Sans remonter au premier quinquennat du président Abdelaziz Bouteflika, il faut rappeler que ce dernier a depuis toujours préconisé une réforme de la loi fondamentale en vigueur, qui n’est finalement qu’une mouture largement remaniée de la première Constitution pluraliste du pays. Elle se ressent de ces divers ajouts.
L’idée centrale de la réforme est d’équilibrer les pouvoirs dévolus aux différents organes et de donner plus de latitude aux parlementaires dans l’exercice de leurs prérogatives en étendant, par exemple, leur champ d’initiatives en matière d’amendements des projets de loi proposés par l’exécutif. Certains plaident pour la création d’un poste de vice-président qui serait soit élu à l’américaine, sur le même ticket que le chef de l’État, soit désigné par celui-ci, qui lui fixerait aussi ses prérogatives. L’option, mise sur la table à plusieurs reprises et écartée, n’est pas exclue. Qu’en sera-t-il cette fois ? La réponse ne devrait pas tarder à être connue.
À quelques mois des scrutins présidentiel et législatif, au-delà des péripéties médiatiques qui ne sont que l’écume de la politique, l’Algérie poursuit d’un pas assuré et ferme sa progression sur la voie qu’elle s’est donnée. Sur le fond, le pays dispose d’institutions qui ont prouvé leur solidité. Il se reconnaît par ailleurs dans son président qui, de son côté, est décidé plus que jamais à poursuivre la mission pour laquelle il a été élu et réélu à deux reprises : remettre son pays sur les rails après les dangereuses dérives des années de terreur.