Les journalistes algériens ont pris une part importante dans la lutte contre le terrorisme et pour la défense de la République. Ils ont payé très cher cet engagement. Le premier d’entre eux fut Tahar Djaout, un ami commun, dont Abdelkader Messahel lui-même m’annonça l’assassinat, le soir du 26 mai 1993, à l’aéroport d’Ouagadougou où nous étions croisés. Il était, à cette époque, ambassadeur d’Algérie au Burkina Faso.
En se remémorant cette dure période, Abdelkader Messahel, le nouveau ministre de la Communication, marque un temps d’arrêt. Sans doute les noms et les visages de tous ceux qu’il a connus et qui ont été fauchés par les hordes terroristes défilent-ils dans sa mémoire. « Dans le combat inégal de la plume contre le glaive, les journalistes algériens ont payé un lourd tribut au terrorisme, dit celui qui est, depuis quelques mois, le premier responsable du secteur de l’information. C’était le prix de la sauvegarde des institutions de la République et de l’intégrité du peuple et du territoire. En cela, ils n’ont pas failli à leur devoir aux côtés de leur peuple, comme leurs aînés dans les rangs du mouvement national, durant les longues années de la lutte armée et la phase de l’édification nationale qui a suivi. C’est une histoire qu’il faut assumer pleinement pour mieux esquisser les contours de l’avenir. »
La Maison de la presse qui a abrité – et abrite encore – les journaux privés porte le nom de Tahar Djaout. De nombreuses manifestations d’hommage sont organisées régulièrement pour honorer sa mémoire et celle de tous ses confrères. Mais le temps fait son œuvre avec sa part d’oubli, d’effacement ou de méconnaissance surtout pour la jeune génération de journalistes. Quel acte symbolique fort et quelles initiatives concrètes sont-ils à initier ou encourager pour permettre à cette nouvelle génération de s’imprégner plus, dans l’exercice de leur métier, du sens du ces sacrifices ? Messahel dit sans détour ni hésitation : « Il appartient à la profession d’abord d’apporter son témoignage sur cette phase sanglante de sa propre histoire et d’honorer ses martyrs. En tant que ministère nous sommes ouverts à toutes les propositions et disposés à apporter notre contribution pour faire que les jeunes générations et celles futures de journalistes connaissent les sacrifices consentis par leurs aînés tout au long de l’histoire de notre pays. Pour simplement exercer leur métier d’informer et permettre à leurs concitoyens de jouir de leur droit à l’information consacré aujourd’hui par la Constitution. » Comment ? Abdelkader Messahel esquisse les grandes lignes de sa stratégie.
Le monde de la presse ne vous est pas étranger. Vous avez même, un temps, « tâté » de la plume avant de vous consacrer à la diplomatie ; les journalistes algériens vous apprécient pour votre proximité avec eux et pour votre franc-parler. Ce sont là certes des atouts, mais sont-ils suffisants pour gérer ce secteur hautement sensible et complexe dont vous êtes en charge ?
Assurément non. Les relations que je peux avoir avec le monde de la presse sont certes un atout, car dès le départ on est dans un rapport de confiance. La longue amitié qui me lie à de nombreux professionnels du secteur fait que les gens savent que tout ce que je pourrais entreprendre tiendra compte des intérêts de la profession, du droit des citoyens à une information complète et objective et bien sûr des intérêts de notre pays de manière générale. Il est évident aussi que pour pouvoir avancer il faut être deux : pouvoirs publics et professionnels. Autrement dit, j’ai besoin d’avoir un partenaire crédible et disponible pour pouvoir mener à terme les réformes qu’il nous faut engager pour stabiliser et développer le secteur.
Un coup d’œil rapide sur le champ médiatique algérien permet de constater l’abondance des titres. L’existence de nombre de titres est difficilement justifiable en termes de pertinence journalistique et de fiabilité économique. Une « mise à plat » semble donc s’imposer, comme vous l’avez annoncé : quelles sont les lignes directrices de cette entreprise de remodelage du paysage médiatique algérien ?
Le secteur de la presse écrite a connu un développement spectaculaire au début des années 1990. L’ouverture du champ médiatique et l’aide consentie par l’État ont permis à de nombreux titres de voir le jour. C’était, il vous souvient, le début de « l’aventure intellectuelle ». La progression a été exponentielle. Ce qui somme toute est un progrès à la fois politique, culturel et social qui participe de la consolidation du pluralisme et de la liberté d’expression.
Cependant, comme on peut le constater, le secteur a évolué sans instruments de régulation qui permettent, comme cela se fait à travers le monde, d’encadrer son fonctionnement et de mettre au-dessus de tous les acteurs des règles fixant les droits et devoirs. La période franchie, presque un quart de siècle, a été riche en enseignements. Il appartient aujourd’hui aux pouvoirs publics et aux professionnels d’en tirer les enseignements et de travailler ensemble à la mise en place de ces instruments qui couvrent des domaines aussi divers que l’impression, la diffusion et la publicité, pour ne citer que ces volets. Bien sûr, il est de mon point de vue urgent pour les professionnels de s’organiser en ordre afin de s’affirmer comme interlocuteur des pouvoirs publics et de mettre en place un code de déontologie qui régira la profession. Toutes ces règles mises en place, le marché et les lecteurs feront le reste tant il est clair que ni la taille du marché ni celle du lectorat ne permettront à autant de titres d’exister. La bataille pour gagner le lectorat sera dure ; c’est un lecteur qui le dit, pas le premier responsable du secteur.
Le point le plus sensible, sur lequel l’attention est focalisée, est celui de l’audiovisuel. Il est question d’une ouverture de ce champ éminemment stratégique au secteur privé. De fait, le monopole d’État est en voie de dépassement par la création de chaînes privées ; elles sont algériennes, mais domiciliées à l’étranger. Comment normaliser cette situation ?
La loi sur l’audiovisuel qui sera adoptée très prochainement et les textes règlementaires qui en découleront nous permettront de gérer toutes les situations. Il existe une volonté politique réelle d’ouvrir le champ audiovisuel devant tous ceux qui souhaitent y investir, conformément aux règles qui seront définies. Pour ce faire, nous nous sommes inspirés des expériences des autres pays – particulièrement ceux qui ont une pratique démocratique reconnue – pour poser les règles appelées à régir ce secteur.
Il va de soi que ce pluralisme audiovisuel doit aller de pair, comme c’est là aussi le cas dans les pays démocratiques, avec le développement d’une production nationale variée et de qualité, pour satisfaire les besoins du téléspectateur algérien. Je me dois de dire que le citoyen algérien, qui est depuis de longues années dans un pluralisme audiovisuel du fait de la parabole, est exigeant.
Cette mise en perspective nous permet d’entrevoir l’ampleur des chantiers qu’il va nous falloir ouvrir rapidement, notamment dans le domaine de la formation pour tout ce qui touche aux métiers de l’audiovisuel, et dans la relance de la production.
Par ailleurs, le débat, de mon point de vue, ne devrait pas se limiter à la nature juridique de la propriété, c’est-à-dire public-privé, qui ne permet pas d’aborder les vrais enjeux. Il n’y a qu’à regarder l’expérience d’autres pays où la liberté de la presse est profondément ancrée. La colonne vertébrale de leur système d’information est constituée par des chaînes de télévision publiques. Le débat, à mon sens, devrait se focaliser plutôt sur le cahier des charges qui, au demeurant, s’imposera à tous quelle que soit la nature de la propriété, et sur les conditions à réunir pour dynamiser la production nationale afin d’étoffer les grilles de programmes. Ce sont là les véritables défis qu’il nous faudra relever pour permettre à nos médias de faire face à la concurrence et ne plus être de simples relais de ce qui se produit ailleurs, à quoi nos concitoyens ont accès via les chaînes satellitaires.
Cela dit, nous nous sommes déjà attelés à travailler sur la meilleure manière de renforcer et d’améliorer la mission de service public dévolue à la télévision, la radio et l’agence de presse nationale. Ces médias ont un grand rôle à jouer dans le développement du paysage médiatique national et pour la satisfaction du droit des citoyens à une information crédible et variée. Notre ambition est de voir la télévision et la radio algériennes se hisser au niveau des grands networks internationaux publics. Ce n’est pas un pari impossible, pour peu que la volonté politique et l’engagement des professionnels du secteur convergent.
La volonté politique existe et nous sommes encouragés à nous engager résolument sur cette voie.
Vous avez tenu récemment un point de presse – que vous envisagez dorénavant régulier – avec votre homologue des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra. Cela exprime sans doute une volonté de marquer une présence plus visible sur les questions internationales, particulièrement celles de la région. Mais est-ce suffisant pour répondre aux besoins d’information de l’opinion publique algérienne et, surtout, pour faire face aux campagnes récurrentes de désinformation que subit l’Algérie, comme c’est le cas avec la question du Sahara Occidental ou de la crise malienne ?
Ce rendez-vous mensuel avec la presse nous permettra d’éclairer l’opinion publique sur les activités du gouvernement et sur l’action de l’Algérie au niveau international. Il est évident que la communication institutionnelle ne saurait se réaliser uniquement à travers ce canal. Nous travaillons avec tous les départements ministériels à dynamiser les cellules de communication, afin qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle et être une interface crédible pour les journalistes en leur fournissant en temps réel l’information. Cependant, dans cette œuvre, la presse a aussi sa part à accomplir en organisant son rapport aux institutions à travers, notamment, la spécialisation des journalistes et leur accréditation. Là aussi, nous n’inventons rien. La spécialisation et l’accréditation contribuent au renforcement de la relation entre le journaliste et l’institution et, ce faisant, elles permettront d’améliorer la qualité du produit livré au lecteur. De part et d’autre, il ya un effort à faire.