C’est devenu une tradition : tous les ans le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, le président Abdelaziz Bouteflika participe à un déjeuner avec une délégation de femmes représentatives de la société, qui arborent pour la circonstance diverses toilettes d’Algérie. Cette rencontre, festive et politique à la fois, permet d’évaluer les progrès accomplis sur le long chemin de l’émancipation des femmes algériennes, qui aspirent à être des actrices à part entière dans l’évolution de leur pays.
En cinquante ans d’indépendance, la condition féminine en Algérie a connu des hauts et des bas. Elle se heurte encore à des préjugés sociaux tenaces et à divers freins culturels. Les femmes ont dû se battre contre des prophètes de la régression qui prétendaient les reléguer à un rang inférieur. Récemment la visite d’un prédicateur koweïtien Nabil Awadi, partisan de voiler les fillettes dès l’âge de 7 ans (!), a jeté la consternation et provoqué un tollé général dans le pays.
Mais, au final, les avancées furent très nombreuses. Celles impulsées par le chef de l’État durant les dix dernières années ont marqué un tournant. La dernière en date concerne la représentation des femmes dans les assemblées représentatives. Même si la parité n’est toujours pas atteinte, ces assemblées comptent désormais un tiers de femmes au moins, un pourcentage qui les place au premier rang des assemblées arabes et africaines, et devant plusieurs assemblées d’Europe et d’Amérique.
Dans son rapport pour l’année 2012, l’Union mondiale interparlementaire (IUP) relevait : « Les plus fortes avancées électorales pour les femmes parlementaires à travers le monde ont été enregistrées en Algérie, au Sénégal et au Timor-Est, trois pays qui ont appliqué pour la première fois des quotas imposés par la loi. » « Avec 31,6 % de femmes au Parlement, l’Algérie est le premier pays arabe à franchir le seuil de 30 % de représentation féminine à l’institution parlementaire », alors que la moyenne mondiale est de 20,3 %, souligne l’IUP. Elle ajoute que l’acquis enregistré en Algérie « est un résultat remarquable dans une région qui n’a pas réussi à tenir la promesse du changement démocratique dans les pays du “printemps arabe” tels que l’Égypte et la Libye, et qui a toujours la plus faible moyenne par rapport aux autres régions du monde, avec un taux de 13,2 % ».
Pour Flora Bouberghout, présidente de l’association Al Baraka d’aide aux handicapés moteurs, une des invitées du chef de l’État, « les grands progrès » réalisés par les femmes algériennes depuis l’indépendance « ne sont pas le fruit du hasard, mais d’un long combat et d’énormes sacrifices ». Elle a appelé à associer les femmes à toutes les décisions relatives au développement socioéconomique et politique du pays. « Cinquante ans après l’indépendance, la femme algérienne doit relever de nouveaux défis en sa qualité de partenaire au développement et en vertu du rôle que lui a conféré l’élargissement de sa participation à la vie politique. Les femmes algériennes sauront être à la hauteur des enjeux », notamment pour garantir la sécurité et la stabilité de l’Algérie, a dit de son côté la sénatrice Zahia Benarous, autre invitée du chef de l’État. Elle avait fait ses preuves comme journaliste à la télévision avant d’embrasser la carrière parlementaire.
Les avancées ont été reconnues lors d’une rencontre organisée par la fondation allemande Konrad-Adenauer, qui a réuni des femmes universitaires (juristes, enseignantes, anthropologues, médecins, psychologues), invitées à exposer leurs expériences personnelles. Tout en énumérant les obstacles juridiques et sociaux qui entravent encore le plein épanouissement des Algériennes dans leur milieu familial et professionnel – malgré la parité salariale instituée depuis des années et une présence massive aux fonctions intermédiaires de direction, les femmes sont peu présentes aux postes de direction –, les participantes ont salué le coup de pouce donné à la promotion des femmes en politique, très appréciée par les militantes féministes, qui y voient une marche pied solide pour d’autres conquêtes à venir. Le poids des traditions freine considérablement l’émancipation des femmes. La question de l’héritage inégalitaire pour des raisons religieuses, sinon interdit aux femmes, comme en Kabylie, est l’une des plus cruciales, ont-elles souligné.
Les études menées dans le cadre de la mise en place d’un Observatoire des droits des femmes établissent que plusieurs textes juridiques ont apporté ces dernières années des améliorations sensibles pour la situation des femmes algériennes s’agissant de la contraception, du recul de l’âge du mariage, de la réduction du taux de mortalité, de l’évolution du taux de scolarisation, de la baisse du taux d’illettrisme, de l’espérance de vie, etc. Par ailleurs, le nombre de femmes au travail n’a cessé de progresser d’année en année. Il a triplé depuis vingt ans. Trois travailleuses sur quatre affirment qu’à travers l’emploi, elles recherchent l’épanouissement personnel, en plus de l’indépendance financière et d’être utiles à la société. Le nombre d’étudiantes à l’université (70 %) dépasse largement celui des étudiants, avec une répartition selon les filières qui tord le cou à plus d’un préjugé. Les étudiantes font en effet jeu égal avec les étudiants dans toutes les spécialités, y compris celles réputées être l’apanage des hommes, comme le génie civil ou le secteur des bâtiments et travaux publics.
Mais les enquêtes montrent aussi la subsistance d’un fléau : la violence faite aux femmes. Elle concerne tous les milieux sociaux. Malgré la vigilance des services chargés de ce dossier épineux, les autorités ont encore recensé en 2012 plus de 6 000 cas de violence contre les femmes. Ce chiffre reste sans doute en deçà de la réalité, de nombreuses femmes violentées hésitant à porter plainte pour des considérations familiales ou en raison des pressions subies par leur hiérarchie au travail. En effet, si le phénomène n’est pas propre à l’Algérie – dans le monde une femme succombe à la maltraitance toutes les deux minutes –, il est couvert d’un voile hypocrite qui fait rager les organisations féminines. Un grand nombre de victimes refusent de se faire aider par les associations chargées de leur porter secours et de les héberger dans les maisons d’accueil pour les éloigner de leurs « bourreaux ». Les organisations féminines réclament la généralisation de centres de ce type et le durcissement des peines contre les auteurs de la violence.
Des sociologues affirment que l’espace public continue à « rejeter » les femmes, que rien ne les protège du harcèlement mâle, ni leur tenue vestimentaire ni même leur âge. Ils attribuent ces dérives à la résistance du modèle patriarcal encore dominant et plaident en faveur d’un travail de rééducation à la base, à partir des premières années de scolarité, pour modifier les comportements et promouvoir l’égalité entre filles et garçons.
Dans le message qu’il a adressé aux femmes à l’occasion de leur fête annuelle, le président Bouteflika a souligné que si « la femme algérienne a toujours été un exemple d’abnégation et de patriotisme, et qu’à l’instar de ses frères, elle s’est mise tout naturellement au service de la révolution et de l’édification de l’Algérie nouvelle », son « engagement dans le processus de rénovation nationale et de reconstruction n’a pas toujours été apprécié à sa juste valeur ».
« Elle a dû se forger les armes et le discernement serein pour son combat en donnant toute la mesure à ses capacités non seulement pour réaliser ses projets individuels, mais aussi pour s’élever au niveau des enjeux et défis de notre temps, en concourant à d’autres accomplissements au sein de la communauté nationale », a-t-il rappelé. « Cela mérite toute notre considération et nous conforte dans le sentiment que le combat contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes doit être poursuivi avec résolution, pour donner un sens aux droits de la femme à travers la réalisation de programmes incluant la dimension humaine en tant que finalité de notre développement global », a-t-il reconnu.
« Malgré ces acquis et d’autres dans les domaines de la santé, de l’instruction, du travail, de la culture et de la justice, nous ne saurions cependant nier la nécessité impérieuse de lever d’autres obstacles pour réduire la vulnérabilité de la femme à toutes sortes de contraintes et diminuer sa dépendance en favorisant sa participation, pleine et entière, aux projets qui organiseront la société de demain. Nous devons nous rappeler que la meilleure assurance sur l’avenir repose sur l’intelligence des femmes et des hommes de ce pays et sur leur capacité d’adaptation afin de favoriser le changement. La réussite de ce changement nécessite une profonde transformation des mentalités et des comportements de tous les Algériens. Une vaste campagne d’information mobilisant la société civile et mettant en valeur les compétences des femmes et leur engagement permettrait de faire évoluer les esprits et les conceptions concernant le rôle et la place de la femme au sein de la société », a-t-il martelé.
Parmi les combats menés par les femmes algériennes, il faut citer celui contre l’intégrisme, qui les a choisies comme cibles premières durant les années noires du terrorisme. Elles lui ont payé un lourd tribut, sans mettre un genou à terre. C’est sans doute l’une de leurs plus grandes victoires après l’indépendance de leur pays.