Miné par la maladie, Abdelhamid Ben Badis meurt prématurément le 16 avril 1940 à Constantine, sa ville natale. Alors que la seconde guerre mondiale faisait déjà rage, aggravant les préoccupations de chacun, cette mort ne passa pas inaperçue. En effet, plus de 20000 personnes assistèrent à ses obsèques qui prirent l’aspect d’une gigantesque manifestation d’adhésion des masses populaires aux principes humanistes, anticolonialistes et démocratiques qui ont guidé la vie et inspiré l’œuvre de ce grand combattant algérien.
Toute une vie au service de la liberté et du progrès
Qui est Ben Badis ?
Abdelhamid Ben Badis BEN BADIS est né le 5 décembre 1889 à Constantine d’une famille de vieille bourgeoisie citadine.
Après des études coraniques à la zaouyya Aissaoua, il part en 1908 pour Tunis où il poursuit ses études à l’Université Zeïtouna jusqu’en1911. C’est à la Zeïtouna où il prend contact avec des 0ulama et des patriotes tunisiens qu’il s’éveille à la conscience nationale. Cet éveil est soutenu par des motivations telles que : l’histoire da l’Algérie, la situation de la langue arabe et de la religion etc…
En 1922, il part en pèlerinage à la Mecque, puis voyage à Médine, Damas, Le Caire, rencontre des Oulama de ces pays avec qui il a des entretiens et des débats.
En 1913 pénétré des idées de la Nahdha (Renaissance arabe) et de l’enseignement des cheikhs réformateurs Mohammad Abdou et Djamal Eddine El Afghani, Abdelhamid Ben Badis retourne an Algérie.
À Constantine, les premières prédications religieuses du jeune Ben Badis rencontrent une relative audience auprès des couches populaires mais se heurtent à une violente réaction de la bourgeoisie locale et de l’Administration coloniale.
À la mosquée Sidi Lakhdar, il ouvre la première des 130 médersas que comptera le pays 20 ans plus tard. Dans cette médersa, des élèves de diverses régions viennent étudier le Coran, mais aussi, et selon des méthodes modernes, l’histoire de l’Algérie, la littérature arabe et d’autres disciplines. Ce renouvellement pédagogique est une préoccupation commune aux cercles réformistes du Maghreb et du Machreq arabes.
Abdelhamid Ben Badis impulse le développement d’un fonds d’entraide aux médersiens. Il forme le corps enseignant qui va essaimer à travers le pays. Il organise la mixité dans les médersas : garçons et filles étudient ensemble. Dans cette entreprise, il doit lutter à la fois, contre l’hostilité de l’Administration coloniale et celle des confréries maraboutiques et de la bourgeoisie locale. Il s’appuie sur les couches populaires qui lui apportent leur soutien moral et matériel. C’est que les couches populaires sont plus sensibles à son œuvre pratique qu’aux promesses des notables.
L’affluence des jeunes, fils de petits commerçants, de travailleurs, de talebs (étudiants), de paysans pauvres, tous assoiffés d’instruction et de savoir font redoubler l’énergie de Ben Badis qui va consacrer conjointement à son œuvre de « Tefsir » (commentaire du Coran) une grande partie de ses forces à l’éducation de la jeunesse. Au contact des médersas, ces jeunes vont pouvoir exprimer leurs préoccupations et leurs espoirs ; ils seront l’un des chaînons du mouvement de la Nahdha en contribuant notamment à faire sortir la langue arabe du ghetto dans lequel le colonialisme l’avait confinée.
En 1919, Abdelhamid Ben Badis crée la première imprimerie en arabe et commence une longue carrière de journaliste. Il animera successivement les journaux « En Nadjah », « El Mountaqid », « Ech Chihab » et « El Baçaïr ». La lecture des textes qu’il publie, surtout dans « Ech Chihab » confirme son ouverture d’esprit sur le monde moderne.
Au fur et à mesure que Abdelhamid Ben Badis avance dans son travail d’éducation de la jeunesse et de rénovation, se multiplient autour de lui et contre lui les attaques de la bourgeoisie et des marabouts, auxiliaires et chiens de garde de l’Administration coloniale. Ses prises de positions publiques se politisent de plus en plus, surtout à partir de 1931, date à laquelle il fonde « L’Association des Oulama d’Algérie » qu’il présidera jusqu’à sa mort. Cette association ouvre pour cheikh Abdelhamid Ben Badis un champ d’activité très large. Dans de nombreux articles de presse, conférences, prises de parole, il entreprend une vigoureuse défense de la langue arabe, de la liberté du culte. Il ne cesse de cerner, en des termes de plus en plus précis, la question nationale et la personnalité algérienne.
La victoire du front populaire en France (1936) coïncide avec l’essor du mouvement national et aide objectivement à son développement. Elle fait naître des espoirs. C’est l’époque du « Congrès Musulman » dont nous parlons par ailleurs.
Après la dislocation, du Congrès en été 1937, le cheikh Ben Badis retourne alors à son activité propre à la tête de « l’Association des Oulama ». Il poursuit en même temps son activité de journaliste, mène une lutte quotidienne contre la répression qui s’abat sur les patriotes algériens et dénonce la propagande fasciste et les agissements antisémitiques.
Citations choisies de Ben Badi
SUR LA NATION ALGERIENNE
« La nation algérienne n’est pas la France, ne peut pas être la France et ne veut pas être la France. »
(Ech Chihab – Avril 1936)
SUR LE COLONIALISME
« Nous savons parfaitement différencier, dans toute nation l’esprit humaniste de l’esprit colonialiste ; Et autant nous détestons et combattons le second, autant nous approuvons et soutenons le premier.
Ceci parce que nous sommes profondément convaincus que l’esprit colonialiste est à la base de tous les maux du monde et que tout bien fait à l’humanité provient de l’esprit humaniste »
(Ech Chihab – Janvier 1938)
SUR L’UNITE D’ACTION
(…) (Ben Badis) a rappelé la nécessité de l’union qui, si elle ne peut se faire par le biais de la religion, qu’elle se fasse par le ciment de la douleur et de la misère communes.
Il a montré combien cette union était indispensable et s’est déclaré prêt à s’unir dans l’action avec quiconque, sauf avec ceux qui sont les instruments de l’Administration (coloniale) et font ce que celle-ci leur dicte, non ce qu’ils veulent eux faire.
(Extrait d’un article publié dans El Baçaïr du 15 août 1938)
SUR LE FASCISME ET LE RACISME
« Le peuple musulman, imprégné de principes démocratiques islamiques, ne peut suivre une doctrine qui ne préconise l’évolution humaine que par l’hégémonie d’une race sur les autres. Les principes islamiques sont basés sur l’égalité de tous les êtres humains. »
(Déclaration faite le 3 avril 1937 au journal « LA LUTTE SOCIALE », organe du Parti communiste algérien).
SUR L’INDÉPENDANCE
« L’indépendance est un droit naturel pour chaque peuple de la terre. Plusieurs nations qui nous étaient inférieures du point de vue de la puissance, de la science, de la force potentielle et de la civilisation ont recouvré leur indépendance. Nous ne sommes pas des devins et ne prétendons pas – à l’image de ceux qui déclarent que l’ Algérie demeurera éternellement ce qu’elle est – partager avec Dieu la connaissance de l’avenir, De même que l’Algérie a changé à travers l’histoire, de même il est possible qu’elle continue à se transformer. »
(Ech Chihab – Juin 1936).
SUR LA RAISON ET LA TRADITION
« L’islam a libéré l’intelligence de toutes croyances fondées sur l’autorité. Il lui a rendu sa complète souveraineté dans laquelle elle doit tout régler, par son jugement et sa sagesse.
« En cas de conflit entre la raison et la tradition, c’est à la raison qu’il appartient de décider »
(Ech Chihab – mai 1931).
SUR LA PALESTINE, LE SIONISME ET L’IMPÉRIALISME
« Le conflit n’est pas entre un arabe palestinien et un juif palestinien ; il n’est pas entre les musulmans et les juifs du monde entier.
Il est entre le sionisme et l’impérialisme britannique d’une part et l’Islam et les Arabes d’autre part.
L’impérialisme britannique veut utiliser le sionisme pour diviser le corps arabe et profaner les lieux saints de Jérusalem. »
(Ech Chihab – Août 1938)
SUR L’AMOUR DE L’HUMANITÉ
» (…) Nous œuvrons, en tant qu’Algériens, à rassembler la nation algérienne, à ranimer en ses enfants le sentiment national et à leur inculquer la volonté de s’instruire et d’agir jusqu’à ce qu’ils s’éveillent en tant que nation ayant droit à la vie…
« (…) Et nous aimons l’humanité que nous considérons comme un tout et nous aimons notre patrie comme une partie de ce tout. Et nous aimons ceux qui aiment l’humanité et sont à son service et nous détestons ceux qui la détestent et lui portent tort. »
(El Mountaquid – juillet 1925)
L’ensemble des textes et illustrations sont extraits du dossier consacré au Cheikh Ben Badis dans Socialalgérie.