Elle est revenue sur le tapis au sommet du G-15 à Téhéran : la coopération entre pays en développement, avec des exhortations à plus d’intégration régionale et plus d’échanges internationaux librement choisis.
Les pays du Sud ne veulent pas entrer dans la mondialisation à reculons ni contraints et forcés, mais volontairement, dans le respect de leur souveraineté et de l’intérêt de leurs peuples. C’est le message qu’ils ont adressé à leurs partenaires du Nord, à l’occasion du 14e sommet du G-15 tenu à Téhéran (Iran) le 17 mai, en pleine crise du nucléaire entre l’Iran et ses adversaires occidentaux. Sur ce chapitre aussi, au grand dam des Occidentaux, le G-15 a exprimé un point de vue ferme : il ne faut pas mettre les Iraniens le dos au mur en refusant le dialogue.
Partenariats stratégiques
Créé lors du 9e Sommet des pays non-alignés tenu à Belgrade en septembre 1989, le G-15 regroupe aujourd’hui dix-huit membres (contre quinze initialement, d’où son nom) : Algérie, Argentine, Brésil, Chili, Égypte, Inde, Indonésie, Iran, Jamaïque, Kenya, Malaisie, Mexique, Nigeria, Pérou, Sénégal, Sri Lanka, Venezuela et Zimbabwe. Son objectif reste de promouvoir la coopération Sud-Sud et la poursuite du dialogue Nord-Sud pour une meilleure répartition des richesses entre riches et pauvres. Cinq de ses membres participent aux travaux du G-20 (les principaux pays développés) qui tient entre ses mains le sort de la planète.
Dans le communiqué final qui a sanctionné ce sommet à huis clos, le G-15 s’est engagé à relever les défis de la mondialisation et à saisir les opportunités qu’elle offre aux pays en développement. Il s’est inscrit dans l’esprit de la politique menée depuis son arrivée au pouvoir par le président brésilien Lula da Silva, un de ses principaux membres, dans ses rapports avec le monde développé : « Nous ne faisons rien contre les autres, car nous travaillons d’abord pour nous », a-t-il souvent dit pour résumer sa stratégie de partenariats tous azimuts.
Le G-15 annonce ainsi de « nouvelles mesures pour permettre aux pays membres et à d’autres pays en développement de relever les défis et de saisir les opportunités offertes par la mondialisation, ainsi que de surmonter les difficultés dues à la récente crise économique et financière mondiale ». Il appelle aussi à une plus grande intégration régionale et à l’accélération de la mise sur pied de mécanismes adaptés entre pays en développement pour renforcer la coopération Sud-Sud, dans un cadre politique bien défini. Tout rapprochement Sud-Sud doit, en effet, « s’inspirer des principes de souveraineté, de respect mutuel, d’intérêts communs, de complémentarité, de coopération et d’intégration entre les peuples », souligne la déclaration.
S’agissant de la sécurité énergétique et de l’utilisation de l’énergie efficace dans une stratégie à long terme, le sommet a redit la nécessité de renforcer la coopération entre membres du G15 et de développer les différentes sources d’énergie, traditionnelles et non traditionnelles. Il a plaidé également en faveur de politiques énergétiques nationales « équilibrées, promouvant la protection de l’environnement, la pérennité des ressources naturelles et la qualité de vie de ses citoyens ».
Il s’est prononcé enfin pour la promotion du commerce, de l’investissement et des transferts de technologies entre ses membres et demandé aux pays développés d’« accélérer l’accession des pays en développement à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ». Politiquement acquise dans son principe, cette admission se heurte néanmoins à de multiples obstacles juridiques et techniques qu’il faut lever.
C’est le président algérien Abdelaziz Bouteflika qui a pris la tête de la fronde contre l’OMC. Il a déploré, dans un langage direct, la volonté d’imposer aux candidats des pays en développement à l’OMC des « conditions exorbitantes », que l’on n’exige même pas des pays développés. Parmi ces conditions, le désarmement tarifaire et l’ouverture totale de leur marché qu’ils doivent livrer sans limites aux entreprises du Nord, au risque de provoquer l’effondrement de leur propre économie. Ses propos ont été repris mot à mot dans le communiqué final du G-15, qui y a été sensible. Selon les dirigeants de l’OMC, qui prônent pourtant l’universalité, ce serait le prix que les pays pauvres doivent payer pour participer au cénacle des riches. Mais, pour le chef de l’État algérien, le retard que l’OMC reproche aux pays en développement, ceux-ci « ne l’ont pas voulu », « il leur a été imposé » par la longue histoire de leurs rapports inégaux avec la colonisation. De ce fait, il paraît absurde que ces pays subissent en quelque sorte une « double peine » au lieu d’être aidés pour surmonter leurs handicaps à tous les niveaux.
Réquisitoire contre l’OMC
« Les aléas de ces négociations interminables [avec l’OMC] pénalisent d’abord les plus vulnérables qui voient chaque jour s’éloigner un peu plus les perspectives d’accès de leurs produits aux marchés des pays développés », a dit le président Bouteflika, qui s’est montré très sévère avec ces « gardiens du Temple » capitalistes et de l’orthodoxie financière. Ils ont failli mettre à bas le système monétaire et financier dont les pays industrialisés ont pourtant édicté les règles, qu’ils n’ont cessé d’enfreindre. « Le monde de ce début du xxie siècle ne saurait continuer à être régi par les institutions et les pouvoirs de décision reflétant les rapports de force issus de la fin de la Seconde Guerre mondiale », a dit Bouteflika, en revendiquant pour les pays du Sud le droit d’« impulser la refonte du système monétaire et financier international ». Il n’a pas omis non plus, dans son réquisitoire, de dénoncer la défection des pays riches à tenir leurs promesses d’améliorer l’aide au développement en quantité, qualité et efficacité.
Dans le collimateur d’Alger, il y a aussi le « protectionnisme vert » qui sert de plus en plus de prétexte au rejet des marchandises venues du Sud. L’Union européenne (UE) s’en prévaut pour protéger son marché tout en réclamant plus d’ouverture à ses partenaires du Sud (voir article UE-Algérie p.48). « L’accès aux marchés mondiaux de nos produits est gravement compromis par un nouveau protectionnisme vert qui transfère des pays du Nord aux pays du Sud la charge de l’ajustement qu’appellent les changements climatiques », a ainsi souligné le président algérien. Il a invité au respect du principe de « responsabilité commune et différenciée » énoncé, dans un souci d’équité, à la conférence sur l’environnement de Kyoto (Japon), alors que « les pays industrialisés, historiquement responsables des émissions de gaz à effet de serre, se soustraient à leurs obligations en matière de lutte contre ce phénomène ».
Une cohésion bénéfique
Pour Abdelaziz Bouteflika, les pays du Sud, par leur cohésion, ont fait bouger les lignes. Il cite ainsi les « avancées tangibles » enregistrées dans le cadre des négociations du Système global de préférences commerciales (SGPC) entre pays en développement initiées à Sao Paulo (Brésil), en décembre 2009. « La flexibilité et le traitement spécial et différencié accordés aux pays membres du SGPC en cours d’accession à l’OMC démontrent les effets correctifs de la cohésion des pays du Sud dans un contexte d’entraves à nos exportations sur les marchés mondiaux. » D’où l’accent mis sur la nécessité d’une intégration progressive de ces pays dans l’économie mondiale. Mais cet objectif tarde à voir le jour, et il subsiste encore la crainte qu’un « certain nombre de pays, les plus faibles et les plus démunis, ne reçoivent de la mondialisation que des retombées négatives », a dit le chef de l’État algérien.
Bouteflika parle d’expérience, Alger ayant déjà une longue histoire avec l’OMC. Elle est en effet entrée depuis plusieurs années dans un processus de négociations ardues qui tarde à aboutir. Les discussions, qui en sont à leur 11e round, butent sur deux écueils majeurs : le prix domestique du gaz et les subventions aux produits agricoles. Alger, qui a répondu à 213 requêtes présentées par l’Organisation, doit prochainement relancer la négociation en proposant des listes préliminaires de concessions tarifaires, à finaliser avant la fin de septembre 2010.
En marge de ce sommet, le G-15 a fait la démonstration de l’efficacité de sa diplomatie en faisant accepter par l’Iran une proposition de combustible iranien contre de l’uranium enrichi à 20 %. Aux termes de ce compromis (dix-huit heures de négociations), l’Iran a accepté d’envoyer en Turquie 1 200 kg d’uranium faiblement enrichi (3,5 %) de sa propre production pour y être échangés dans un délai d’un an contre 120 kg d’uranium enrichi à 20 %. L’opération se ferait sous la supervision de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui avait donné son aval en octobre 2009 à un accord similaire resté lettre morte. Le président brésilien a certes joué un rôle clé dans cette avancée, mais le fait d’être entouré des autres membres du G-15 lui a facilité les choses.
S’agit-il d’un premier signe de détente entre l’Iran et les pays occidentaux qui le soupçonnent de vouloir accéder à l’arme nucléaire, alors qu’il s’en défend mettant en avant sa volonté de se doter de l’énergie nucléaire à des fins civiles ? Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutuglou, le pense : « Cet accord doit être considéré comme positif », a-t-il dit. Mais les premières réactions des Occidentaux ne vont pas dans le même sens : « Cet accord n’apaise pas les inquiétudes », s’est ainsi fendue la responsable européenne de la Politique étrangère, la Britannique Catherine Ashton. L’Iran reste sous le coup de sanctions internationales qui alourdissent le coût de ses transactions avec l’étranger, accentuent les pénuries sur son marché intérieur et pèsent sur le niveau de vie de ses habitants les plus pauvres. De nouvelles sanctions renforcées sont à l’étude. Ni Washington, ni Berlin, ni Paris – fer de lance du groupe occidental contre Téhéran – ne seraient prêts à les reporter, encore moins à les annuler.
De son côté, l’Iran n’y met pas du sien. À peine signé l’accord d’échange d’uranium, le chef du programme nucléaire iranien, Ali Akbar Salehi, indiquait que Téhéran allait poursuivre l’enrichissement de son uranium sur son propre sol. Tel-Aviv s’est empressée de s’engouffrer dans la brèche pour railler la « naïveté » des Occidentaux. Israël, qui veut en découdre militairement avec l’Iran, est un virtuose de la provocation et n’a pas son pareil pour jeter de l’huile sur le feu et attiser les incendies.
Il n’en reste pas moins qu’il n’est pas sans importance que les pays du Sud apportent leur soutien à l’Iran – au-delà de toute ambiguïté – dans ses efforts de produire de l’énergie nucléaire à des fins civiles. La non-prolifération nucléaire ne peut plus être agitée contre le Sud pour le priver d’une source d’énergie vitale pour son développement, au moment où, paradoxalement, les « gardiens du temple nucléaire », au nom de la morale, ferment les yeux sur l’arsenal nucléaire israélien, refusent de désarmer, perfectionnent leurs arsenaux nucléaires, en n’excluant pas l’emploi préventif de l’arme nucléaire. Contre ce « deux poids, deux mesures », de nombreux pays du Sud se sont élevés, notamment l’Algérie. Elle revendique publiquement le droit des pays en développement d’avoir leurs propres moyens de production d’énergie nucléaire à des fins civiles, en invoquant les traités internationaux.
Sans ces conditions préalables, le soupçon et la défiance des Occidentaux à l’égard des pays pauvres resteront de mise et conditionneront le feu vert accordé ou non par l’AIEA. Or, la technologie nucléaire ne doit pas rester l’apanage ni le monopole de quelques pays qui s’autoproclament plus responsables que les autres dans son usage. « Il n’y a pas que l’Iran qui aspire au contrôle de la technologie nucléaire civile, tous les pays du Sud y aspirent », dans le cadre de leur sécurité énergétique de l’après-pétrole et de l’énergie fossile, a ainsi déclaré le ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci, en marge du G-15. Les pays du Sud, qui disposent de capacités extrêmement importantes dans le nucléaire, le solaire et l’éolien, doivent « travailler ensemble pour mettre en commun leurs expériences et leurs technologies afin de pouvoir continuer à jouer un rôle, dans le moyen et le long termes, dans le domaine de l’énergie, au profit de leurs économies d’abord et de l’économie mondiale ensuite », a-t-il ajouté.
Le rapprochement politique et diplomatique entre l’Afrique et l’Asie amorcé très tôt par le président Lula da Silva – dont le pays compte aujourd’hui parmi les géants qui émergent – s’est poursuivi à Téhéran, avec le même objectif : consolider la dynamique engagée lors de la conférence de l’OMC à Cancun (Mexique), où le Brésil avait pris la tête d’un front commun des pays du Sud opposés aux subventions agricoles des pays riches. « Nous ne pouvons accepter qu’[ils] continuent à protéger leurs marchés d’une façon aussi injuste », car le Sud, souligne-t-il, n’est pas un ensemble amorphe de pays sous-développés et dépendants, qui n’ont rien à offrir sinon des matières premières aux pays riches.
Immigration et développement
Depuis, l’Algérie et le Brésil ont coprésidé en mai 2005 le sommet Amérique du Sud-pays arabes, qui fut la première grande initiative tendant à rapprocher deux régions liées par de vieilles relations. L’immigration arabe, en effet, a énormément contribué au développement des pays sud-américains. « Les relations Sud-Sud ne sont pas seulement possibles, elles sont nécessaires », répète inlassablement le président brésilien, dont l’aura a franchi les frontières de son pays.