Le Maghreb arabe désuni
Le Maroc s’est aligné dès le début sur la position de l’Otan et des monarchies du Golfe contre Kadhafi
Après l’Egypte et la Tunisie, le Maroc a reconnu le CNT libyen dès lundi. L’Algérie, où le drapeau des rebelles a été hissé sur le bâtiment de l’ambassade libyenne à Alger avait dès le départ précisé qu’elle ne reconnaît pas les régimes, mais les Etats. Elle avait également rejeté les frappes de l’Otan et appelé, à l’instar de l’Union africaine, et plus tard la Ligue arabe, à une sortie politique du conflit.Quant à la Mauritanie, où le drapeau des rebelles a été hissé au dessus de l'ambassade de Libye à Nouakchott, elle avait pris le soin de souligner sa neutralité.
Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, qui dirige le panel de haut niveau de l'Union africaine (UA) chargé de la crise libyenne, avait en effet récemment déclaré qu'il excluait toute reconnaissance du Conseil national transition (CNT) libyen parce qu'il doit rester impartial.
Il avait auparavant indiqué que « Kadhafi ne peut plus gouverner la Libye et qu'il doit quitter le pouvoir ». Mais maintenant que Tripoli est tombée, il ne tardera pas à changer d’avis et à reconnaître formellement le nouveau régime.
La reconnaissance par le Marocdu CNT n’a surpris personne. Elle est cohérente dans la mesure où ce pays avait dès le déclenchement de la guerre contre la Libye affiché son alignement sur la position de l’Otan. Mais après l’attentat de Marrakech, le 28 avril, qui ciblait principalement des touristes français et où certains observateurs avaient émis l’hypothèse d’une piste libyenne, la diplomatie marocaine avait pris une position médiane entre les deux parties en conflit, recevant des émissaires des deux camps, sans cacher toutefois sa préférence pour le CNT.Mais avec l’entrée à Tripoli des rebelles, cet équilibrisme n’avait plus raison d’être. Ainsi dès lundi 22 août, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Fassi Fihri, dans une déclaration au nom du gouvernement marocain, a « confirmé », la reconnaissance du CNT libyen « en tant que représentant unique et légitime du peuple libyen. »
«Le Royaume du Maroc, déclara-t-il, confirme aujourd'hui sa reconnaissance du Conseil national de transition en tant que représentant unique et légitime du peuple libyen et porteur de ses aspirations à un avenir meilleur fondé sur l'équité, la justice, la démocratie et l'Etat de droit.»
M. Fassi Fihri a, dans ce sens, ajouté que sur Hautes instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, il devait se rendre mardi 23 à Benghazi, porteur d'un message du Souverain au président du CNT libyen, qui «s'inscrit dans le cadre de la détermination du Maroc à fournir le soutien total au peuple libyen frère dans cette conjoncture décisive, importante et historique». Il a également fait part du souhait du Royaume, à la lumière des changements importants survenus en Libye après le contrôle de la majorité des régions de Tripoli, de voir s'amorcer une transition rapide et responsable du pouvoir loin de la vengeance et de règlements de compte, dans le but de concrétiser la justice, dévoiler la vérité et déterminer les responsabilités, conformément aux normes internationales dans ce domaine. «Le Maroc espère, en outre, que des actions concrètes seront rapidement engagées par le CNT, avec le soutien et la mobilisation de la communauté internationale, afin de préserver l'unité et l'intégrité territoriale de la Libye, de garantir la réconciliation entre les différentes composantes de la société libyenne, d'assurer la sécurité et la stabilité du pays, et de permettre sa reconstruction», a souligné M. Fassi Fihri.
Le Royaume souhaite également que le CNT œuvre pour satisfaire les attentes légitimes exprimées par le peuple libyen, notamment l'élaboration d'une Constitution démocratique, l'organisation d'élections transparentes et la mise en place d'institutions fortes, a-t-il dit. Le Maroc exprime une nouvelle fois sa solidarité pleine et entière avec le peuple libyen frère dans la phase décisive qu'il est en train de traverser et sa disposition à fournir toutes les formes d'assistance pour que la Libye devienne un pays réconcilié, fort et démocratique, à même de relancer l'intégration d'un Maghreb uni et prospère, au bénéfice des cinq peuples de la région, a-t-il poursuivi. M. Fassi Fihri a, en outre, noté que la situation difficile qu'a vécue la Libye ces derniers mois est due à la décision du régime d'avoir recours à la force et à l'intransigeance pour faire face à des revendications légitimes, exprimées par la majorité du peuple libyen.
Depuis le début des événements en Libye, en février dernier, a-t-il rappelé, le Maroc a toujours adopté une position claire et constante et accompagné de manière active et responsable l'évolution de la situation dans ce pays maghrébin frère.
Il a, à cet égard, affirmé que cet engagement résolu et de la première heure est fondé sur les liens de solidarité historiques entre les peuples marocain et libyen, qui partagent un destin collectif commun, celui de la construction d'un Maghreb uni et prospère, au bénéfice de l'ensemble des peuples de la région.
Il reflète, également, la compréhension des aspirations légitimes du peuple libyen frère à la démocratie, à la liberté et au progrès et préside du souci de préserver l'unité et l'intégrité territoriale de la Libye, ainsi que sa sécurité et sa stabilité, a relevé M. Fassi Fihri.
Face à cette situation d'une gravité extrême, et afin de tenter d'éviter un bain de sang annoncé, le Maroc «s'est mobilisé, au sein de la Ligue arabe et de l'Organisation de la Conférence islamique, ce qui a conduit, comme on s'en souvient, à la décision inédite et historique de la Ligue arabe de suspendre l'activité de la Libye à l'organisation panarabe», a noté M. Fassi Fihri, précisant que ces efforts ont contribué à l'adoption de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité, au titre du chapitre 7 de la Charte des Nations unies, établissant une no-fly zone au-dessus de la Libye et visant à protéger les civils, à éviter un massacre annoncé et à accentuer la pression sur le régime libyen pour l'amener à dialoguer avec les représentants de la population. Le Maroc s'est employé à appliquer, de manière stricte et active, les dispositions des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de Sécurité, dans toutes leurs dimensions, a-t-il ajouté, signalant qu'en application de ces résolutions, Rabat a soumis au Comité des sanctions un Rapport National portant sur toutes les mesures prises par le Royaume pour la mise en oeuvre du régime des sanctions, notamment l'embargo sur les armes, l'interdiction de l'accès au territoire marocain, le gel des avoirs.
Le Maroc a dès lors inscrit ses efforts dans le cadre de ceux déployés par la Communauté internationale afin de trouver une solution à la crise libyenne, a fait remarquer M. Fassi Fihri, expliquant que le Royaume a activement participé aux travaux du Groupe de contact sur la Libye, groupe informel réunissant des pays arabes et occidentaux, ainsi que des organisations internationales, dont l'ONU et l'OTAN et qui a servi de cadre de concertation politique et de coordination humanitaire tout au long de la crise libyenne. Le Maroc a également pris part à l'ensemble des réunions de ce Groupe: celles de Paris et de Londres en mars, celle de Doha en avril, celle d'Abu Dhabi en juin et celle d'Istanbul en juillet, où l'ensemble des participants ont reconnu le CNT comme représentant unique et légitime du peuple libyen. Lors de chacune de ses réunions, le Maroc, en tant que pays maghrébin et africain, a joué un rôle utile et apporté une contribution appréciée, a-t-il indiqué, ajoutant que Rabat a participé à la recherche d'une solution politique, contribué à l'organisation de l'assistance humanitaire, et pris part à la coordination stratégique.
Le Maroc a été parmi les premiers pays à relever et saluer la sincérité, la détermination et le courage manifestés par le CNT au niveau national, ainsi que la pertinence et l'efficacité des actions qu'il a menées au niveau international, a-t-il rappelé.
Le Maroc a, en outre, entretenu des contacts directs, publics et officiels avec le CNT, que ce soit au niveau bilatéral, et notamment à Rabat en avril dernier, ou dans le cadre des réunions du Groupe de contact, a souligné M. Fassi Fihri, ajoutant que ces rencontres ont été autant d'occasions d'exprimer la solidarité du Royaume avec le peuple libyen dans sa lutte, mais aussi d'encourager le CNT à élargir sa représentativité régionale, politique et tribale. De même, elles ont permis d'appeler le CNT à s'engager dans un dialogue ouvert et inclusif, et à mettre en oeuvre sa «Charte de la démocratie et des libertés», a-t-il poursuivi. Le Maroc a aussi maintenu son Consulat à Benghazi ouvert et nommé un nouveau Consul général au mois de juin, en tant que point de contact, afin de renforcer et d'intensifier son dialogue et sa coordination avec le CNT, a-t-il dit. Dans le domaine humanitaire, le Maroc a envoyé, en mars et en juin, sur Hautes instructions de S.M. le Roi Mohammed VI, des aides urgentes aux réfugiés à la frontière tuniso-libyenne. Ces aides comprenaient d'importantes quantités de médicaments, outre le déploiement de médecins spécialistes et un staff paramédical et des équipements
médicaux et hospitaliers, ainsi que l'installation d'un hôpital militaire qui prodigue des soins à une centaine de patients par jour, a rappelé le ministre, ajoutant que le Royaume a, également, participé aux efforts humanitaires consentis par les Institutions internationales spécialisées.
(Avec la MAP)