Il n’y a pas si longtemps, dès que vous titilliez Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine de football (Caf), sur la Coupe d’Afrique des nations (Can), il voyait rouge et vous assénait un discours musclé : « La Can fournit 80 % des ressources de la Caf. Nous sommes intransigeants à son sujet. Sa périodicité semble déranger, y compris au sein de la Fifa [Fédération internationale de football association]. Mais nous ne céderons pas. Les clubs européens sont libres de ne pas recruter des joueurs africains. Pour rien au monde, la Can ne changera. »
La périodicité de la compétition, tous les deux ans, n’a pas bougé depuis 1957, même si, depuis 1968, elle est programmée les années paires et que, depuis l’édition 2000, elle est de plus en plus mise en cause par de nombreux observateurs qui invoquent la profonde mutation du football africain. En effet, depuis les années 1990, la tête du football africain, c’est-à-dire son élite, vit et pratique hors d’Afrique, plus spécialement en Europe, alors que son corps, c’est-à-dire la masse des pratiquants, se trouve sur le continent. Il n’y a plus un seul football africain mais un football afro-africain, pratiqué par tous les joueurs et joueuses non expatriés, amateurs rétribués ou non, et un second football afro-européen constitué des champions de l’exode, tous professionnels.
Les expatriés disputent les compétitions nationales des pays d’accueil, plus celles organisées par l’UEFA (le football de l’Union européenne), et effectuent, si besoin est, des tournées avec leurs clubs. Ils sont aussi sollicités pour renforcer les sélections nationales de leur pays d’origine et prendre part aux éliminatoires et phases finales de la Can et de la Coupe du monde, et aux tournois olympiques. Ils sont astreints à une inflation de rencontres qui, outre qu’elle surcharge les calendriers, n’épargne pas leur santé, tout comme elle affecte leurs performances.
Pour stopper l’overdose de matchs, la Fifa a été amenée à élaborer en 2001 un calendrier international harmonisé. Soucieuse de protéger sa Can, la Caf ne pouvait que s’y conformer. Elle refusa d’abord de changer la périodicité de l’épreuve avant de proposer aux délégués de sa 25e Assemblée générale, réunis les 16 et 17 janvier 2002 à Bamako (Mali), d’en modifier les règlements. À savoir : dans les années de la Coupe du monde, la Can servira d’éliminatoires pour cette compétition.
Le président de la Fifa, Joseph S. Blatter, avertit : « Priorité absolue à la Coupe du monde ! », mais il consentit toutefois, à prendre la Can… en stop. C’est-à-dire : « Les qualifications pour la Coupe du monde pourraient servir simultanément pour la Can. » L’offre est acceptée. La formule, agréée par le Comité exécutif de la Fifa, entre en vigueur le 27 juin 2003 à Paris où est effectué le tirage au sort des préliminaires de la Coupe du monde 2006. Elle est reconduite à l’occasion du Mondial 2010.
À aucun moment, la Caf n’a consulté ou sollicité l’avis des principaux intéressés : les joueurs. Et rien ne garantit que leurs employeurs les libéreront sans contrepartie. Pratiquement tous les joueurs de l’élite sont liés par des contrats à des clubs européens. Ils ne dépendent juridiquement ni de leurs fédérations d’origine ni de la Caf, qui en a pourtant grandement besoin pour assurer le spectacle et générer des recettes. Seulement, ses intérêts se heurtent à ceux des employeurs. Ceux-ci rechignent de plus en plus à devoir se séparer de leurs joueurs à une période où les championnats européens battent leur plein, comme l’exige pourtant le règlement de la Fifa. La solution ? Organiser une Can tous les quatre ans, comme le souhaitent tous les acteurs, et non plus tous les deux ans.
Le changement de périodicité est une idée qui a fait son chemin mais elle s’est heurtée au veto du président de la Caf. Le refus deHayatoude toucher à la périodicité traduit avant tout la volonté d’assurer, tous les deux ans, la recette de la manifestation, éliminatoires compris, et de satisfaire les sponsors. De nombreux observateurs estiment par ailleurs que la Can n’est pas idéalement placée dans le calendrier. Sa phase finale, programmée en janvier-février, concurrence les championnats européens. Dans sa fuite en avant, Issa Hayatou a concocté en mai 2010, une « réforme » démoniaque : la Can passera des années paires aux années impaires à partir de 2013 ! L’édition 2014 (prévue en Libye) est avancée à 2013. Puis on jouera en 2015 et en 2017.
C’est un sacré remue-ménage dans le calendrier qui va contraindre les équipes engagées à disputer des éliminatoires en 2011 et 2012, une Can en 2012, une seconde en 2013 et une Coupe du monde en 2014 ! Pour les qualifications à l’édition 2013, tenez-vous bien : les éliminés de la Can 2012 disputeront un ou deux tours éliminatoires ; les 16 rescapés rejoindront les 16 équipes finalistes de 2012 pour des éliminatoires directes qui désigneront les 16 qualifiés pour la phase finale de l’édition 2013 ! Simple ? Parallèlement, auront lieu les éliminatoires du Mondial 2014 : la Caf ayant mis fin au jumelage des années 2006 et 2010. On achève bien les footballeurs !
Le 14 juin dernier, Hicham el-Amrani, le secrétaire général de la Caf, affirme avec aplomb que la Can 2013 aura bien lieu en… Libye. Il sera contredit par le Comité exécutif qui, sans doute, se tournera vers l’Afrique du Sud pour suppléer à la Libye. Il est vrai que depuis le Mondial 2010, les stades sud-africains crient désespérément famine et qu’une Can, même au rabais, pourrait faire oublier les désillusions sportives.
En fait, ce que Hayatou et la Caf visent, c’est de récupérer totalement les royalties de la commercialisation des matches qualificatifs pour les Can 2013 et 2015. Les fédérations nationales, ayant délégué toute initiative de négociation à la Caf, sont contraintes d’accepter ses conditions, en fait celles de la firme Sportfive(elle appartient au groupe Lagardère)qui a une totale mainmise sur le football africain jusqu’en 2017 (1).
Par ailleurs, le président de la Caf, en poste depuis 1988 et dont le sixième mandat s’achève en 2013, voudrait bien en reprendre pour quatre ans. Ce qui lui permettrait de « suivre » jusqu’au bout le contrat avec Sportfive. Certes, il « avoue » avoir envie d’arrêter mais pour peu que les membres de la « grande famille » lui demandent de « poursuivre sa mission », il ne pourra que « s’incliner devant leur décision » (sic) ! Une grosse ficelle dont usent et abusent les dictateurs du continent. Pour arriver à ses fins, Hayatou doit s’assurer que l’assemblée générale élective se tient dans un pays ami qui ne présente pas de candidat contre lui. C’est le cas de l’Afrique du Sud.
(1)Orangeest le sponsor titre des compétitions de la Caf jusqu’en 2016. Pepsi Cola et Standard Bank (Afrique du Sud) sont impliqués jusqu’en 2016, ainsi que l’agence de transfert d’argent Nasuba Express.