Polémique Le Green Point Stadium, au Cap, projet pharaonique exigé par la Fifa pour abriter un grand nombre de rencontres, fait l’objet des plus vives inquiétudes quant à son financement et son avenir. Comment en est-on arrivé là ?
Magnifiquement situé au pied de Table Mountain et de Signal Hills, dans la très riche zone du Water Front, le Green Point Stadium du Cap, chef-d’œuvre d’architecture, déploie sa silhouette ondulée, embrasée chaque soir par la magie de centaines de spots. Il abritera le plus grand nombre de matches (neuf), dont une demi-finale.
Le Cap, qui ne devait pas accueillir de match au-delà des quarts de finale, possédait déjà deux stades très populaires. L’un, Newlands Stadium, a accueilli treize test-matches internationaux depuis 1992, deux matches de la Coupe du monde de rugby 1995, et accueillera un test-match, Afrique du Sud-France, le 12 juin, au lendemain de l’ouverture de la Coupe du monde. L’autre, Athlone Stadium, est situé loin des quartiers riches (et majoritairement blancs) à proximité des townships du Cap parmi les plus grands et misérables d’Afrique du Sud, dont Khayelitsha. Le gouvernement provincial et la municipalité (alors dirigée par l’ANC, aujourd’hui par l’opposition de la Democratic Alliance, avec à sa tête Helen Zille) avaient eu le souci d’utiliser la Coupe du monde comme un levier de développement de ces zones populaires déshéritées avec la construction d’infrastructures – réseau routier, transports publics, etc. Ils avaient envisagé la rénovation de l’un de ces deux stades, avec une préférence pour Athlone. La Fifa, cependant, a donné son accord pour Newlands.
Son président Joseph Blatter, qui s’était rendu au Cap pour la première fois en 2005, séduit par la beauté – et la richesse – du Water Front, a, en fait, une autre idée en tête : la construction du luxueux stade à Green Point qui abriterait une des demi-finales. Pour arriver à ses fins, il utilise toutes les ficelles en faisant pression sur le Comité local d’organisation (Loc), dirigé par Danny Jordaan (ANC) et contrôlé par la Fifa, maîtresse de la décision finale, avec laquelle il partage les mêmes intérêts financiers, notamment la vente des tickets. Efficace, puisqu’au sein du Loc siègent des représentants des ministres de la Sécurité, de la Communication, des Transports, du Sport, du vice-ministre des Finances, un ministre auprès de la présidence.
Après maintes visites et tractations, face aux réticences des autorités locales et provinciales, Sepp Blatter tranche : ce sera Green Point. Le stade aura une capacité de 65 000 places et accueillera une demi-finale. La décision est prise au plus haut niveau avec Thabo Mbeki, alors président de la République, et par-dessus la tête des élus locaux, normalement souverains. Deux accords sont signés avec Blatter le 15 mars 2006. Il fallait faire vite : le même jour, Helen Zille, aujourd’hui premier ministre de la province de Western Cape, opposée au projet, prenait ses fonctions de maire à la place de Nomaindia Mfeketo (ANC). Alors que l’État avait évalué son budget « stades et infrastructures » à 3 milliards de rands (budget explosé depuis), Green Point, à lui seul, a englouti 4,5 milliards de rands. En tenant compte des mêmes dépassements, la rénovation d’Athlone aurait coûté 1,67 milliard de rands, et Newlands, 1,14 milliard. Une différence égale à la construction de 70 000 logements sociaux pour environ 250 000 habitants des townships.
La ville, selon l’accord passé entre la Fifa et le Loc – qui n’ont pas contribué financièrement à la construction du stade –, ne percevra que 10 % de la vente des tickets. Ce qui ne couvrira même pas les frais engagés. En comparaison, la Fifa a signé pour 3,5 à 4 milliards de dollars (23,2 milliards de rands) de contrats. Les frais du Loc (organisation, frais de fonctionnement) s’élèvent à 423 millions de dollars (3,07 milliards de rands), dont 200 millions sont couverts par la vente des tickets, le reste étant pris en charge par la Fifa.
5 millions de rands par an
Quel avenir pour cet éléphant blanc (projet d’envergure dispendieux et sans réel bénéfice pour quiconque) ? Sombre selon toutes les projections. Surtout pour la ville. Après appel d’offres, deux contrats de maintenance et de gestion de Green Point ont été signés en mai 2008 entre Le Cap et un consortium, composé du sud-africain Sail et du Stade de France. Le premier contrat, de 110 millions de rands, couvre la période de janvier 2009 à octobre 2010. Le second est un contrat de location sur trente ans renégociable après dix ans. Le consortium gérera le stade pour son propre compte. La ville percevra 1 rand en cas de déficit et 30 % moins les intérêts qui lui sont dus dans le cas contraire. Elle devra payer l’assurance annuelle, soit 3,6 millions de rands, et le marketing du stade pour les trois premières années d’un montant 3 millions de rands. Le coût de l’entretien des éléments opérationnels par Sail-Stade France est évalué à 5 millions de rands par an, à charge pour la ville de combler la différence en cas de dépassement. Celle-ci doit en plus prendre en charge l’entretien des immenses surfaces vitrées du toit et des façades.
La viabilité du stade dépendra de sa capacité à organiser dix à vingt événements par an et à se doter d’une équipe de rugby phare. Mais les matches, quels qu’ils soient, n’attirent pas plus de 10 000 personnes au grand maximum. En outre, en juillet 2009, la Western Province Rugby Football Union (WPRFU) a voté, à la majorité de ses actionnaires et des propriétaires de Newlands Stadium, une motion refusant le déménagement à Green Point.
Le caprice – très rentable pour elle – de la Fifa coûtera cher aux citoyens du Cap. « Le prix est énorme, a déclaré Gert Bam, directeur des sports de la municipalité, car nous avons dépensé des milliards de rands dans cette partie de la ville, alors que la moitié de cet argent nous aurait permis de transformer totalement les Cape Flats [zone d’Athlone]. Voilà, pour moi, la véritable tragédie : que nous n’ayons pas pu utiliser ce méga-événement au Cap pour contribuer au développement. »