Encore un ouvrage consacré aux indépendances. Mais, cette fois-ci, en faisant intervenir des contributeurs qui ne se contentent ni de la célébration ni du fatalisme ambiants.
Avec une trentaine de contributions d’essayistes, de romanciers, créateurs et philosophes venant notamment d’Afrique noire, des Caraïbes et du Maghreb, la livraison printanière de la revue Riveneuve Continents a choisi comme axe thématique – année 2010 oblige – les indépendances. Les auteurs des textes, pour la plupart connus sur le plan international, se livrent à l’exercice avec une pertinence politique et une prose incisive et lyrique. Pas de célébration incongrue ni d’attitude fataliste mais, au contraire, une hardiesse d’esprit défiant la paresse de la pensée et ses aventures ambiguës. Cela est rassurant en période de mise en scène persistante de la Françafrique, dont celle du 14-Juillet sur les Champs-Élysées, qui a vu les soldats de nombre d’anciens pays colonisés défiler avec leurs homologues français. Une parade à la fois triste et ridicule au vu de la caution africaine accordée.
Il est ainsi salutaire de rappeler – une fois n’est pas coutume dans l’abondante production historico-littéraire qui aurait dû être l’occasion de remises en question – que toute la décolonisation ne fut pas octroyée par le seul bon vouloir – intéressé – de l’ancienne puissance tutélaire. Qu’à la révolte des insoumis à l’ordre déshumanisant et sans bienfaits de la servitude s’est opposée une répression féroce et sanglante. Que les nouvelles autorités mises en place par les anciens maîtres en poursuivirent l’œuvre avec zèle et acharnement. Un « devoir de mémoire » assumé par Flaubert Djateng et Léonora Miano, qui évoquent les soulèvements populaires des années 1940 et la rébellion armée de la décennie suivante au Cameroun, qui ne s’arrêtera pas avec l’accession du pays à la souveraineté.
« Pendant que les uns fêtaient l’indépendance, d’autres décidaient de continuer la lutte, parce qu’ils estimaient que la cause pour laquelle ils se battaient n’était pas achevée. » Les élites postcoloniales camerounaises réagirent avec un maximum de violence. Jusqu’à l’éradication du mouvement en pays bamiléké, une extermination que certains ont appelé « génocide ». « Peut-on célébrer le cinquantenaire de l’indépendance sans ouvrir ces plaies ? », s’interroge Djateng, tout en faisant état d’une « mémoire brouillée », voire d’une « amnésie collective », car la nouvelle « terreur de l’indigène sur l’indigène » était en premier lieu motivée par l’effacement même du souvenir des patriotes. Une obligation d’oublier allant jusqu’au négationnisme de l’Histoire, auquel Léonora Miano oppose la « prise de parole (comme) acte d’indépendance ».
Son texte éblouit par la poésie et la rigueur d’un récit qui éclaire sur les contenus pervertis de la lutte de libération, précurseurs de l’échec annoncé. Le rêve n’a-t-il pas été confisqué et la postcolonie ne s’est-elle pas installée à la place de la colonie parce qu’elle avait intériorisé l’idée d’indépendance tributaire d’une « bienfaisante » période de domination ? D’un œuvre civilisationnelle apte à faire sortir les nègres des ténèbres de l’Histoire ? D’où l’urgence, soulignée par les autres intervenants (Cheick Hamidou Kane, Felwine Sarr, Lionel Manga…), à ne plus différer la critique radicale du mimétisme d’une classe dirigeante acculturée et convaincue de pouvoir « bâtir une Afrique moderne dépourvue de racines qui lui soient propres, et sustentée par les seules valeurs imitées de l’Occident ».
Afrique, en toutes indépendances, Riveneuve Continents n° 11, Riveneuve Éditions, 236 p., 20 euros.