En avril, le Nigeria entamera son marathon électoral avec les scrutins présidentiel, législatif, gouvernoral et régional dans ses trente-six Etats. C’est la troisième fois en douze ans de démocratie. Le pays le plus peuplé d’Afrique fera-t-il un nouveau pas vers les attentes démocratiques de sa population.
L’Afrique subsaharienne suit avec attention l’étonnante vague révolutionnaire qui a touché le nord du continent. Elle est consciente de souffrir des mêmes symptômes : longévité autocratique, fausses dynasties au pouvoir, profonde corruption et népotisme. Cependant, le souvenir des années 1990 reste fort. Après la chute du mur de Berlin en 1989 et la diffusion du modèle démocratique occidental à travers l’ancien bloc communiste, une bonne partie de l’Afrique a endossé ce nouvel habit. Plusieurs pays ont épousé cette tendance, abandonnant les régimes de partis uniques, autorisant la liberté de la presse et autres nouveautés abandonnées depuis les indépendances. Certains ont raté leur transformation, se retrouvant prises au piège de la guerre civile. Les faits ont prouvé que certaines avancées au sein de « l’entreprise démocratique » pouvaient présenter des risques ; aussi, pour sauvegarder la stabilité d’un pays, il est devenu possible de maintenir des autocrates au pouvoir en les dissimulant sous un vernis de démocratie.
L’histoire du Nigeria est un cas à part, bien qu’il s’agisse quand même d’y voir la construction d’une démocratie. L’annulation par l’armée de l’élection présidentielle du 12 juin 1993 (seule élection légitime ayant eu lieu) a conduit à la mise en place du pouvoir le plus brutal jamais instauré, celui de Sani Abacha. La seule bonne raison de sauvegarder la IVème république, instituée en 1999, après le décès d’Abacha, est qu’elle donne mauvaise réputation à l’armée. Bien que le passage du pouvoir aux civils ait présenté de nombreux défauts, jamais le retour des militaires n’a été envisagé.
La hausse constante du prix du pétrole a favorisé l’enracinement de la démocratie. Les réformes engagées par le président Olusegun Obasanjo (1999 – 2007) et l’annulation de la dette ont été profitables, de même la campagne contre la corruption, le tout grâce aux flux financiers dégagés par les hydrocarbures. Cependant, la principale déception du pouvoir exercé par les civils a été leur incapacité à organiser des élections propres. En dépit du tort causé par les fraudes électorales à la réputation du Nigeria sur la scène internationale, les élections présidentielles et gouvernorales de 2007 ont été encore plus sujettes à caution que celles de 2003, lesquelles avaient pourtant été critiquées par les observateurs internationaux et nationaux.
Quel est donc le problème du Nigeria avec les élections ? Tout d’abord, les pratiques démocratiques en Afrique se sont sophistiquées, utilisant les nouvelles technologies de téléphonie mobile, les chaînes de radio privées et les avantages du web : Facebook, YouTube, Twitter… dont on a vu les conséquences en 2011 à Tunis et au Caire. Les élections au Ghana, au Bénin et au Sénégal ont ouvert la voie. Un pays comme le Nigeria, dont la société civile est de plus en plus friande de nouvelles technologies, doit veiller à la séparation des pouvoirs, seule susceptible d’éviter le recul politique conduisant aux fraudes électorales etc.
A partir des années 1950, les hommes politiques nigérians ont montré une connaissance parfois cynique des arcanes permettant de contrôler la population de façon à remporter une élection. Les zones où ont émergé des semblants de contestation sont celles où le contrôle de la population n’a pu être pleinement exercé. La plupart de ceux qui se sont lancé en politique l’ont fait à cause de la possibilité qui leur était brusquement offerte de se faire beaucoup d’argent, en provenance des revenus du pétrole et des concessions en tout genre. La politique est à l’origine de nombre de fortunes personnelles. Celle de l’ex-président Abacha, évaluée à 6 milliards de dollars, qui provient d’un pillage sans scrupule du pays, en est l’exemple-type. L’expansion d’une classe sociale essentiellement composée d’hommes d’affaires, au cours de la IVème république, provient des secteurs de la banque et de la finance mais la politique, au niveau central ou fédéral, reste la meilleure route vers la fortune.
Au Nigeria, nombreux sont ceux qui répondent cyniquement que « la prochaine fois, ce sera différent », et il existe une impatience grandissante dans la classe moyenne, en particulier la jeune génération, pour le changement. La crainte des tensions régionales et ethniques sous-jacentes, qui ont toujours été présentes au sein de la vie politique nigériane, demeure d’actualité en dépit du fait que le modèle des « trois partis pour trois régions » ait été supprimé dans les années 1960 au profit de trente-six Etats fédérés, au sein desquels subsistent de très nombreux lieux de pouvoir et d’influence. La violence est inquiétante, en particulier dans le nord du pays. Une attaque à la bombe a eu lieu dans l’Etat de Niger (Centre), début mars, tuant une dizaine de personnes. La secte Boko Haram, prétendue branche d’Al Qaeda au Nigeria, est toujours active dans le nord-est. En 2007, de sérieux troubles dans l’Etat de Delta n’ont pas empêché l’organisation des élections.
Le mieux placé pour la prochaine échéance est a priori l’actuel président Goodluck Jonathan, qui a obtenu de bonnes mais prudentes appréciations pour sa gestion de la difficile transition survenue après la mort du président Umaru Yar’Adua. Au cours de cette année de transition, il n’a pas fait d’erreurs majeures. Ses faiblesses apparentes sont éclipsées par celles de son vice-président Muhammad Namadi Sambo (qui est également son co-listier car originaire de l’Etat de Kaduna, Etat stratégique du Nord), mais il faut savoir qu’il n’y a pas de candidats « politiquement corrects » dans un pays de compétition comme le Nigeria. Ils feront sans doute un bon score, même sans tricher.
La façon dont la candidature de Goodluck Jonathan a été entérinée lors de la Convention du People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir) a provoqué l’inquiétude du Nord. On a beaucoup cherché quel Nordiste pourrait prendre la relève de feu le président Yar’Adua compte tenu de l’alternance Nord – Sud pour la présidence. Cette alternance est une règle en vigueur au sein du parti et non au niveau de l’Etat, alors que la succession de Jonathan au mandat de Yar’Adua était constitutionnelle.
De plus, Jonathan est originaire de l’Etat de Delta, région « Sud Sud » où vivent des minorités qui n’ont jamais eu de représentant à la tête de l’Etat auparavant. Pour beaucoup, ce phénomène apparait comme une justice naturelle, ainsi qu’un bon choix politique que d’avoir un leader en provenance d’une zone qui a rencontré autant de difficultés politique au cours de ces dernières années.
Au cours de la convention du PDP, il a nettement remporté son duel avec le riche et ambitieux Nordiste, l’ancien vice-président Attiku Abubakar, lequel ne siège plus au Parlement. Cependant, le Nord est encore partagé entre ces deux prétendants.
Il y a vingt-et-un candidats pour cette élection présidentielle, mais, outre Jonathan, ceux qui estiment avoir une chance d’être élus sont tous du Nord. Il y a tout d’abord l’ancien chef de l’Etat – et militaire – Muhammadu Buhari, Parlementaire entre 2003 et 2007. Il n’a bonne réputation que dans le Grand nord, la zone la plus islamisée du Nigeria. Aujourd’hui, il se présente dans le cadre d’un nouveau parti politique, le Congress for progressive change (CPC) avec, comme co-listier le pasteur « born again » Tunde Bakare, un choix surprenant.
Il sera en compétition dans les Etats du Grand nord avec l’ancien gouverneur de l’Etat de Kano, Ibrahim Shekarau, leader de l’ancien parti de Buhari, le All Nigeria Peoples Party (ANPP. Ce dernier est accompagné, au sein d’une liste pour un islam progressif mais puritain, par le candidat à la vice-présidence, John Oyegun, un homme politique respecté issu d’une minorité ethnique de l’Etat d’Edo. Le problème de ces deux candidats, Buhari et Shekarau, est le peu d’intérêt qu’ils portent à la zone sud du Nigeria. Un candidat du Nord, beaucoup plus séduisant pour le sud, est l’ancien tsar de l’anti-corruption Nuhu Ribadu, lequel s’est forgé une excellente réputation dans son combat contre la corruption, en tant que chef de la Commission des crimes économiques et financiers, durant le second mandat d’Obasanjo. Bien que parfois accusé de suivre l’agenda politique d’Obasanjo, Ribadu est perçu comme quelqu’un disposé à s’en prendre à l’establishment politique du pays. Il serait intéressant d’observer s’il a la capacité de survivre au sein du bourbier politique, alors que son propre parti, l’Action Congress of Nigeria (ACN), dont le cœur traditionnel se situe en pays yoruba (sud-ouest), n’y est pas parvenu. Ribadu a choisi comme co-listier un banquier yoruba très respecté pour ses réformes, Fola Adeola. L’ancien président Obasanjo, « poids lourds » de la jungle politique nigériane, demeure l’un des principaux décideurs politiques du PDP. Il s’est engagé à engranger des voix dans le sud-ouest en faveur du PDP, ainsi que pour l’élection gouvernorale de l’Etat d’Ogun. Lagos a toujours échappé au PDP et continue à le faire.
Compte tenu du nombre d’observateurs internationaux qui seront présents lors des prochaines élections, certainement provoquée par la vague de changement en Afrique du Nord, on compte beaucoup sur Attahiru Jega, le nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), un organisme qui a commis beaucoup d’abus par le passé, essentiellement dus à son conformisme politique. Cependant, bien que les listes électorales soient complètes (plus de 73 millions de votants sont attendus), nombre d’incidents ont déjà eu lieu et des plaintes sont inévitables. C’est certainement l’une des tâches les plus difficiles à accomplir dans le paysage politique nigérian et le poids des coutumes pourrait rendre tout changement encore plus délicat à obtenir. Tout le monde espère que les nouvelles technologies pourront aider et accélérer le processus de façon à ce que tout se déroule dans les règles. Le résultat est peut-être prévisible, toutefois c’est l’approbation internationale définitive qui fournira au Nigeria sa promesse d’avenir.