Au grand dam de l’opposition, de l’Église catholique et des bailleurs de fonds qui ont financé le processus démocratique, Joseph Kabila vient de faire modifier la constitution de 2006. Objectifs : assurer sa réélection en supprimant le deuxième tour de la présidentielle de novembre et renforcer les pouvoirs du chef de l’État.
La présidentielle de novembre est-elle jouée d’avance ? En tout cas, Joseph Kabila fait tout pour. Après avoir contraint à l’exil son adversaire malheureux de 2006, Jean-Pierre Bemba, il vient, comme Ali Bongo Ondimba avant lui, de faire modifier la constitution par l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès le 15 janvier, pour supprimer le second tour de scrutin à la présidentielle de novembre. Plusieurs explications sont avancées par le camp présidentiel : éviter un scénario de polarisation à l’ivoirienne des tensions ethniques et… faire des économies.
Mais dans l’opposition qui a boycotté le vote, comme dans les missions diplomatiques, personne n’est dupe. Le coût d’un second tour de la présidentielle, couplée à l’élection des assemblées provinciales serait marginal, estime-t-on. La vraie raison de cet amendement réside plus probablement dans la crainte de Kabila de perdre cette élection au second tour si ses principaux adversaires se coalisent : le vétéran Etienne Tshisekedi, susceptible de rallier une partie de l’électorat de l’Ouest du pays et à l’est, où Vital Kamerhe, l’ancien président de l’Assemblée nationale, populaire dans les anciens fiefs de Kabila au Nord et au Sud Kivu, où Kabila n’a pas pu tenir sa promesse d’y ramener la paix et la sécurité. Du coup, le président sortant s’est rabattu sur l’option d’une victoire à la majorité relative au premier tour, espérant arriver en tête grâce à l’implantation de son Parti populaire pour la reconstruction et le développement (PPRD) et aux moyens de l’État.
Considéré par Kabila comme l'un de ses adversaires les plus dangereux (selon un câble diplomatique américain mis en ligne par WikiLeaks, le président aurait usé de pots-de-vin, voire de menaces, pour obtenir la démission du président de l’Assemblée nationale, en 2009), Kamerhe n’entend pas se laisser faire. À peine la réforme votée, il a appelé l’opposition à recueillir plus d’un million de signatures, soit dix fois plus que ce que requiert la constitution, pour adresser une pétition afin de demander au parlement d’approuver le bien-fondé de la convocation par le président d’un référendum abrogeant ces réformes. Mais il est peu probable que les assemblées et le chef de l’État se dédisent.
Pourtant, Kamerhe croit aux chances de l’opposition. « À quelque chose malheur est bon », dit-il. L’opposition n’a pas d’autre choix que de s’unir, a-t-il déclaré, le 4 février dernier lors d’une réunion à Bruxelles de son nouveau parti, l’Union de la nation congolaise (UNC). Et de l’exhorter à l’adoption d’un « programme électoral commun ». Il serait défendu par une « équipe » à constituer entre formations de l’opposition, peut-être à travers des primaires, fait inédit dans le pays. Reste à voir si « Tshitshi », surnom d’Etienne Tshisekedi, acceptera de se plier à un tel exercice d’abnégation…
La réforme adoptée consacre aussi un renforcement considérable des pouvoirs présidentiels. La constitution révisée met un point final à l’indépendance de la magistrature, placée sous l’autorité du ministre de la Justice. Elle risque aussi d’indisposer gravement les autonomistes du Bas-Congo et du Katanga, en autorisant désormais le président à révoquer les gouverneurs de province et à dissoudre les assemblées de province, après consultation des assemblées nationales. Déjà, l’article 75 octroyant un droit de retenue à la source de 40 % des recettes fiscales et douanières pour financer les budgets provinciaux n’est pas appliqué. Et la création des 26 provinces au lieu des onze existantes prévues dans la constitution de 2006, est désormais laissée au bon vouloir du législateur national. Joseph Kabila serait-il un « Mobutu bis », comme on l’en accuse dans l’opposition ? Peut-être. À ceci près qu’aux dernières nouvelles son nom ne figure pas sur le rôle des honorables correspondants de la CIA…