Guinée Avec une célérité inattendue, les autorités de transition ont décidé de fixer la présidentielle au 27 juin. Trop précipité, jugent certains opposants qui soulignent les « irrégularités ». Pour d’autres, cet empressement vise à écarter des candidats au profit de l’un d’eux : Alpha Condé.
À Conakry, la capitale, règne une drôle d’ambiance depuis la confirmation, début mai, de la tenue de l’élection présidentielle le 27 juin. Certes, les Guinéens s’enthousiasment de la possibilité enfin offerte de désigner librement, pour la première fois en cinquante-deux ans d’indépendance, un président de la République parmi plusieurs candidats dont aucun n’est en exercice. Mais le scepticisme demeure quant au respect scrupuleux de la date. Le président intérimaire, le général Sékouba Konaté, est pressé d’en finir avec cette échéance et de se donner une aura de sauveur de la nation et de bâtisseur de la démocratie guinéenne. Du coup, la date butoir du 27 juin a quelque chose de sacralisé. En même temps qu’elle approche, pourtant, grandissent aussi les inquiétudes, la plupart liées à la méfiance envers la Commission électorale nationale indépendante (Céni).
Vitesse et précipitation
Ainsi, le respect du calendrier électoral aurait dû, logiquement, enchanter tous les Guinéens ; il constitue aujourd’hui la principale pomme de discorde entre politiciens pressés. « Le peuple guinéen voulait une transition de courte durée et des élections rapides afin de fermer au plus vite la page militaire. En fin de compte, c’est vers une élection précipitée que nous tendons. On a confondu vitesse et précipitation », s’alarme Youcouté Camara. Le syndicaliste fait partie de ces Guinéens qui doutent de la capacité technique de la Céni à organiser un scrutin démocratique dans les règles de l’art. Il en veut pour preuve le processus de recensement électoral, qui est loin d’avoir été un modèle de performance.
La publication par la Céni, début mai, d’une liste comprenant environ 4,2 millions d’électeurs n’a pas fait l’unanimité. Nombre de personnalités politiques et de la société civile ont dénoncé des « incohérences », « irrégularités » et « oublis ». Des centaines de milliers de noms auraient disparu des fichiers, selon divers témoignages qui s’étonnent des écarts parfois substantiels entre le nombre d’électeurs potentiels et celui des personnes figurant sur les listes. Le président de la Commission, Ben Sékou Sylla, à peine toléré par les partis politiques qui lient son nom à l’ancien régime de Lansana Conté et du premier ministre de consensus, Lansana Kouyaté, est en proie à d’acerbes critiques. Certaines l’accusent de parti pris en faveur d’un des candidats, d’autres fustigent sa gouvernance de la Commission. L’intéressé réfute, proclamant sa bonne foi et soulignant la gestion selon lui collégiale (gouvernement-Commission-Programme des Nations unies pour le développement) de la Céni.
« Une élection mal préparée peut entraîner des conséquences dramatiques pour toute la Guinée », prévient Ibrahima Kassory Fofana, ancien ministre de l’Économie, candidat de Guinée pour tous à la présidentielle. Clôturant le congrès de ce parti, fin avril, il mettait en garde contre la non-résolution de certains préalables, comme une liste consensuelle et un découpage électoral au-dessus de tout soupçon : « Le désir de démocratie ne doit pas conduire à une précipitation qui pourrait remettre en cause cette transition. La question importante aujourd’hui n’est pas : à quelle date auront lieu les élections, mais : ces élections nous permettront-elles d’accéder réellement à la démocratie ? » Il pointait également les « nombreuses erreurs, voire irrégularités », dénonçant le découpage des circonscriptions et des bureaux de vote et qui amènerait de nombreux électeurs à se déplacer sur de longues distances pour voter alors que la circulation est interdite le jour des élections.
La sortie de cet ancien cacique du régime Conté est intervenue dans un contexte de suspicion. Kassory met l’empressement de certains candidats, ex-ministres ou premiers ministres, sur le compte de la volonté de cacher certaines choses sur leur gestion passée. Mais une partie de l’opinion accuse le président de la transition, Sékouba Konaté, de vouloir favoriser un candidat au détriment des autres : l’opposant historique Alpha Condé, du Rassemblement du peuple de Guinée. Contrairement à son habitude, notent-ils, il n’est pas souvent monté au créneau pour exiger davantage de transparence du processus électoral. Des accusations difficiles à étayer, le chef de la transition, considéré par ses détracteurs comme un pion de la France, clamant régulièrement son impartialité.
Vote ethnique ?
Ainsi, Condé et d’autres candidats considérés comme au-dessus de la mêlée (Celou Dalein Diallo, l’ex-premier ministre Sidya Touré) n’auraient pas beaucoup réagi face à l’adoption de la Constitution par un simple décret présidentiel, puis à la fixation à 100 000 dollars de la caution à verser par chaque candidat. Ce faisant, ils ont apporté de l’eau au moulin de ceux qui sont convaincus que la hâte à aller aux élections cache la volonté d’écarter certains candidats.
Autre grand danger qui pointe à l’horizon : la question tribale. Données récurrentes du jeu politique, l’ethnocentrisme et le régionalisme sont encore prégnants dans la société, et les crispations intercommunautaires ne sont jamais loin. L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), de Cellou Dalein Diallo, sérieux candidat, est ainsi présenté comme « le parti des Peuls ». Celui d’Alpha Condé comme le parti des Malinkés. Les deux leaders s’en défendent, mais l’examen des résultats des dernières consultations électorales indique que chaque parti possède une connotation ethnique forte et identifiable, avec une implantation locale bien déterminée. Cette équation tribale prend des proportions démesurées en Guinée et, à chaque élection, la population redoute des affrontements inter-ethniques.
La situation sera-t-elle différente cette fois-ci ? Pour cet analyste politique de l’université de Conakry, l’élection de juin pourrait donner lieu à un autre type d’affrontements jusque-là mineurs dans le pays : des échauffourées entre candidats d’une même région. En zone malinké par exemple, Alpha Condé, longtemps candidat naturel, devra faire face à un autre candidat, l’ex-premier ministre Lansana Kouyaté, lui aussi sûr de son étoile. L’électorat peul risque lui aussi d’être divisé, Cellou Dalein Diallo devant faire face à Ousmane Bah de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR). Des conflits « fratricides » qui pourraient faire l’affaire de l’ancien premier ministre Sidya Touré, estiment des observateurs convaincus que la bataille du palais présidentiel, dit « Sekhoutoureya » (en souvenir du premier président Sékou Touré), se jouera entre le trio Alpha Condé, Dalein Diallo et Sidya Touré.
L’équation militaire
La bonne nouvelle vient de ce que, jusqu’à présent, aucun des leaders politiques n’a pris sur lui la responsabilité de propos communautaristes ou régionalistes. Bien que des tensions soient perceptibles à mesure qu’approche le 27 juin, les Guinéens semblent plus préoccupés de sortir de l’ère des régimes militaires, synonyme de mal gouvernance et de détournements de deniers publics.
Reste l’équation militaire et sécuritaire. La communauté internationale, qui a fait pression pour que les élections se tiennent au plus vite, n’a pas manifesté le même entrain pour mettre sur pied la force de sécurisation du scrutin. Elle est réclamée, depuis janvier, par le groupe de contact international sur la Guinée réunissant l’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Onu. Le général Sékouba Konaté donne pour l’instant le sentiment de bien tenir la troupe. Au point d’engager une refonte de la chaîne de commandement et d’écarter progressivement des partisans de l’ancien président Dadis Camara, « exilé médical » à Ouagadougou, au Burkina Faso. Les nuages que constituaient naguère l’indiscipline de l’armée et son éclatement entre plusieurs têtes semblent s’être dissipés. En ira-t-il pareillement après l’élection ?