La nuit était noire, sans lune. Le vent soufflait à plus de 100 km/heure. Il soulevait des vagues de dix mètres qui s’abattaient dans un fracas effroyable sur la frêle embarcation de bois. Celle-ci était partie dix jours auparavant d’une crique de la côte mauritanienne avec à son bord 101 réfugiés africains.
Par miracle, la tempête jeta la barque contre un récif de la plage d’El Medano, sur une petite île de l’archipel des Grandes-Canaries.
Au fond de la barque, les agents de la Guardia civil espagnole trouvèrent, parmi les survivants hébétés, les cadavres d’une femme et de trois adolescents, morts de faim et de soif.
Toutes les nuits, des côtes du Sénégal ou de la Mauritanie, les barques surchargées d’hommes, d’adolescents, de femmes, parfois d’enfants, traversent la houle, prennent la mer et tentent, sur une route périlleuse de près de 2 000 km, d’atteindre les frontières sud de la forteresse Europe. Parmi les passagers, nombreux sont les réfugiés de la faim.
Entre 1979 et 2009, le nombre des Africains gravement et en permanence sous-alimentés a augmenté de 81 à 204 millions. La mort rôde sur le continent. Les terres – notamment celles du Sahel – s’épuisent. Chaque mois, des milliers de réfugiés de la faim et de la misère tentent d’atteindre la frontière sud de l’Europe. Ils partent pour un voyage de 2 000 km, des côtes du Sénégal et de la Mauritanie, sur l’Atlantique sud, en cherchant à accoster aux îles Canaries ; des côtes de Somalie, à travers la mer Rouge, pour essayer de rejoindre Aden ; du Maghreb en visant Malte ou Lampedusa. Un tiers d’entre eux disparaît en mer. Les autres sont traqués par l’organisation militaire Frontex mise sur pied par l’Union européenne.
Les indépendances sont-elles un échec ? Économiquement, politiquement, financièrement, militairement, la réponse est oui pour la grande majorité des cinquante-trois États du continent africain. Dans la majorité des États d’Afrique noire francophone, le pacte colonial est quasi intact, la dépendance à l’égard de l’ancienne métropole, du Fonds monétaire international et de l’Union européenne presque totale. La souveraineté est pour ces États un mot creux. Le désarmement économique unilatéral pratiqué par l’Organisation mondiale du commerce et l’Union européenne fait des ravages. Les nouveaux Accords de partenariat économique négociés actuellement forcent les pays africains à liquider leurs dernières protections douanières et à s’ouvrir au libéralisme et aux privatisations, totalement meurtriers.
Les ressources du sol et du sous-sol sont pillées par des sociétés transcontinentales privées. La grande majorité de la population du Nigeria, 8e producteur pétrolier du monde et un des pays les plus riches de la planète, végète ainsi dans une misère abyssale : depuis 1966, les dictatures militaires sous un masque parlementaire se sont succédé. En République démocratique du Congo, deux millions de personnes sont mortes de faim entre 1995 et 2005 ; si le code minier y était appliqué, les sociétés occidentales paieraient leur dû à l’État et le Congo deviendrait en peu de temps un pays florissant.
Où est l’espoir ?
Dans la naissance d’une société civile africaine de mieux en mieux organisée, de plus en plus courageuse, agissante et puissante. Karl Marx écrit : « Le révolutionnaire doit être capable d’entendre pousser l’herbe. » Or, l’herbe pousse en Afrique. Autre espoir : l’influence grandissante, en Afrique noire et maghrébine, de la République sud-africaine et de l’Algérie. Au sein des instances internationales – à l’Organisation mondiale du commerce, au Fonds monétaire international, au Conseil des droits de l’homme, à l’Assemblée générale des Nations unies – ces deux États, qui possèdent de loin les diplomates les plus aguerris et les plus capables du continent, s’efforcent d’imposer une politique africaine commune, défendant la souveraineté des États et la réforme radicale des rapports économiques inégalitaires sévissant entre l’Occident (mais aussi la Chine et l’Inde) et les peuples africains.