Depuis le partage de l’Afrique entre grandes puissances occidentales à la conférence de Berlin de 1884-1885 jusqu’aux années 1960, près d’un siècle d’ébullition a passé avant que ne se lève le soleil des indépendances.
Pendant des siècles, l’Europe s’est partagé le continent africain et ses fabuleuses ressources naturelles en fonction de ses besoins, ses goûts et des « découvertes » des explorateurs qu’elle ne cessait d’y envoyer. Elle y a installé des comptoirs et tiré un profit grandissant du sous-sol et de la terre. Une fois remise de sa défaite devant la Prusse lors de la guerre de 1870, la France reprend son expansion coloniale outre-mer, en particulier à compter de 1879.
15 novembre 1884-26 février 1885 : sous l’impulsion du chancelier allemand Bismarck, soucieux d’obtenir le libre accès aux grands bassins fluviaux africains, la conférence de Berlin fixe les règles commerciales et politiques du découpage du continent. Quatorze puissances occidentales y participent. Il faudra désormais qu’elles occupent effectivement un territoire pour en revendiquer la possession, ce qui entraîne plusieurs guerres contre les royaumes africains et des heurts graves entre conquérants, comme la crise de 1898 entre la France et la Grande-Bretagne pour la prise de contrôle de la région de Fachoda, sur le Haut-Nil (aujourd’hui Kodok, dans le Sud-Soudan), qui s’est soldée par un échec diplomatique français.
Sous un paravent philanthropique qui ne trompe personne, l’Europe continue à utiliser les hommes. En 1857, le général français Faidherbe avait créé un bataillon de tirailleurs dit « sénégalais ». Sur son modèle, les colons de toutes nationalités vont utiliser esclaves royaux, prisonniers de guerre et « volontaires » recrutés plus ou moins de force pour constituer des troupes coloniales qui se lancent avec succès dans la conquête de l’intérieur du continent, elles-mêmes étant victimes, plus que les Africains, du paludisme et de diverses parasitoses. Ces supplétifs ne coûtent pas cher, sont dociles et connaissent bien le terrain. Grâce à eux, les Occidentaux parviennent à vaincre les derniers grands rois comme Samory Touré.
La grandeur de l’empire colonial est un élément de la puissance française. L’Afrique-occidentale française (AOF) est créée en 1904 et l’Afrique-équatoriale (AEF) en 1910. Toutes deux fonctionnent grâce à l’économie de traite, qui ne nécessite que de faibles investissements, principalement dans le transport. Les plantations de café et de bananes apparaissent en Côte d’Ivoire et en basse Guinée.
Résistances
La conscription est instaurée dans les colonies africaines françaises en 1912 non sans provoquer une vive résistance. Des révoltes éclatent au Soudan français (1), au Dahomey (2), en Haute-Volta (3), en Côte d’Ivoire et dans l’Oubangui-Chari (4), matées par les « tirailleurs sénégalais ». En 1914, l’Empire compte 48 millions d’habitants. Au cours de la Première Guerre mondiale, la France disposera de 180 000 soldats issus de ses colonies. Les autres pays occidentaux n’en mobiliseront que 130 000. Outre les troupes, l’Empire fournit aussi des ouvriers, des denrées alimentaires, des matières premières bien sûr et même de l’argent grâce aux emprunts de guerre et aux bons de la Défense nationale. En un mot : l’exploitation économique et humaine s’est considérablement accrue.
Après l’armistice, le domaine colonial français s’étend encore. La Société des Nations accorde à la France des mandats sur l’est du Togo et le Cameroun, et elle retrouve ses territoires d’Afrique centrale (Oubangui-Chari, Congo et Gabon) abandonnés à l’Allemagne par traité en 1911, après la crise d’Agadir, au cours de laquelle Français et Allemands s’étaient disputés la mainmise sur le Maroc.
La population est divisée en trois catégories : les citoyens, métropolitains français pour la plupart ; les sujets, vivant dans les territoires directement administrés par la France ; les « protégés », autrement dit les locaux habitant les protectorats. Seules quelques zones sont représentées à l’Assemblée nationale : l’Algérie, Dakar, Saint-Louis du Sénégal, Thiès, Abidjan…
Durant la Seconde Guerre mondiale, la France vaincue reçoit l’aide providentielle de ses colonies. Brazzaville devient capitale de la France libre. L’idée de résistance à la domination étrangère trouve un écho parmi les populations africaines soumises depuis des décennies aux mêmes diktats que découvrent les Français de métropole sous occupation allemande. La Charte de l’Atlantique, édictée le 14 août 1941 à la suite de la rencontre entre le président américain Theodore Roosevelt et le premier ministre britannique Winston Churchill, fait état du « droit de chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il veut vivre ». L’idée d’indépendance nationale va désormais se développer, au détriment de celle d’assimilation. En 1944, la conférence de Brazzaville jette les bases de ce qui sera la fragile Union française, finalement créée en 1946 mais qui ne résistera pas à la guerre d’Indochine – qui s’achève en 1954 – et encore moins à celle d’Algérie, qui débute le 1er novembre 1954. L’Empire est en passe de se disloquer.
À cette époque, les nouvelles générations, formées dans les universités françaises, entrent en politique avec des idées d’indépendance à court terme et, pour certains, une idéologie d’inspiration socialiste marxiste. C’est le cas, par exemple, du Congolais Alphonse Massamba Débat qui a développé sa propre théorie du « socialisme bantou ». Au sein des organisations estudiantines, des partis nouveaux et des syndicats indépendants, l’impérialisme français est de plus en plus vivement critiqué. À Bandung (Indonésie), entre le 18 et le 24 avril 1955, se réunissent vingt-neuf pays se définissant comme le « Tiers-Monde ». Six pays représentent l’Afrique : l’Éthiopie, le Liberia – jamais colonisés –, l’Égypte et la Libye, décolonisées, la Côte d’Or (actuel Ghana) et le Soudan, encore sous tutelle coloniale, les seuls de l’assemblée. Le Yougoslave Josip Broz Tito, l'Égyptien Gamal Abdel Nasser et le pandit indien Jawaharlal Nehru revendiquent leur non-alignement, c’est-à-dire qu’ils placent leur pays à égale distance des deux superpuissances de l’époque, les États-Unis et l’Union soviétique. Par ailleurs, ils prônent le rassemblement des pays pauvres, la lutte contre le colonialisme et la ségrégation, et l'établissement de relations commerciales enfin équitables entre eux-mêmes et les pays développés.
Le processus de retour à l’indépendance commence lentement, par la « loi-cadre » du 23 juin 1956 mise au point par Félix Houphouët-Boigny, alors député de Côte d’Ivoire à l’Assemblée nationale, et Gaston Deferre, ministre de la France d’Outre-mer. Elle institue des conseils de gouvernement élus au suffrage universel, ce qui permet désormais aux pouvoirs exécutifs locaux d’être plus autonomes vis-à-vis de la métropole. Elle crée le collège unique, mettant ainsi fin au statut séparé (citoyen ou sujet) en vigueur jusque-là.
Les tentatives d’union
En septembre 1958, la nouvelle Constitution de la République française prévoit d’intégrer l’Empire dans une Communauté à laquelle chaque pays de l’AOF est invité à adhérer par référendum. Toutes les colonies acceptent sauf la Guinée, où la fronde est savamment orchestrée par Ahmed Sékou Touré, ancien secrétaire général du syndicat des Postes, téléphones, télégraphes (PTT) et membre du conseil de l’AOF à Dakar. Le 2 octobre 1958, la Guinée est officiellement indépendante. Le 13 décembre 1959, le général de Gaulle prononce un discours à Dakar, dans lequel il admet le principe d’une indépendance de la Fédération du Mali, qui réunissait dans un premier temps l’ancien Soudan français, le Sénégal, le Dahomey et la Haute-Volta, mais s’était finalement réduite aux seuls Soudan et Sénégal. La Fédération est proclamée le 17 janvier 1959, mais se dissout un an plus tard sous l’impulsion du Sénégal.
De l’Afrique occidentale française et de l’Afrique équatoriale vont naître quatorze pays : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, tous indépendants au cours de l’année 1960. Certains grands ensembles géographiques restent soudés, comme le Nigeria ou le futur Zaïre(5). Les populations des anciennes colonies allemandes placées sous mandat français et britannique se prononcent par référendum sur leur rattachement : le Togoland est alors divisé entre Togo francophone et Ghana, et le sud-ouest du Kamerun entre le Cameroun et le Nigeria. Ces choix territoriaux sont d’une importance capitale puisqu’il s’agit désormais de construire autant d’identités nationales que de pays, nonobstant les particularités culturelles et régionales. En 1963, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) établit l’intangibilité de ces frontières globalement héritées de la colonisation.
(1) Aujourd’hui le Mali.
(2) Ancien nom du Bénin.
(3) Actuel Burkina Faso.
(4) Ancien nom de la république centrafricaine.
(5) Aujourd’hui République démocratique du Congo (RDC).
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Bibliographie
Essais
• Les Idéologies des indépendances africaines, Yves Benot,
Éditions Maspero 1969.
• Afrique ambiguë, Georges Balandier,
Éditions Plon 1957 (disponible en édition de poche chez Pocket).
• La Gloire du sabre, Paul Vigné d’Octon,
réédition ministère de la Culture, Algérie, 2009.
• Politique africaine : France-Afrique,
sortir du pacte colonial, revue, Éditions Karthala, mars 2007.
• Le Temps de l’Afrique, Jean-Michel Severino & Olivier Ray,
Éditions Odile Jacob, 2010.
• L’Afrique cinquante ans après les indépendances, Essè Amouzou,
Éditions L’Harmattan, collection Études africaines, 2010.
• Amilcar Cabral, un précurseur de l’indépendance africaine, Oscar Oramas Oliva, Éditions Côté femmes, collection Indigo, 2008.
• De l’Étoile nord-africaine à l’indépendance, Djamel-Eddine Derdour, Éditions L’Harmattan, 2003.
• Expansion européenne et décolonisation de 1870 à nos jours,
Jean-Louis Miège, Éditions Puf, collection Nouvelle Clio, 1993.
• Au tournant de l’indépendance camerounaise, André Bovar,
Éditions L’Harmattan, collection Mémoires africaine, 2000.
• Pour la révolution africaine, Frantz Fanon, réédition en fac-similé
par les Éditions La Découverte, 2001.
• L’Afrique de la colonisation à l’indépendance, Anne Stamm,
Éditions Puf, collection Que sais-je ?.
• Histoire du nationalisme algérien, Mahfoud Kaddache,
Éditions Paris-Méditerranée, deux volumes, 2003.
• Massacres coloniaux, 1944-1950, la IVe République et la mise au pas
des colonies françaises, Yves Bénot, préface de François Maspéro,
Éditions La Découverte/Poche, 2005.
• Main basse sur le Cameroun : autopsie d’une décolonisation, Mongo Béti, Éditions La Découverte/Poche, 2010.
• Le Livre noir du colonialisme, Marc Ferro, Éditions Hachette,
collection Pluriel, 2004.
• Congo 1960, échec d’une décolonisation, Colette Braeckman,
Éditions André Versailles, 2010.
• Relations internationales, n° 133 : décolonisation, revue,
Éditions Puf, janvier-mars 2008.
• Une décolonisation pacifique, chroniques pour l’histoire,
Andrée Dore-Audibert, Éditions Khartala, 2000.
Romans
• Les Soleils des indépendances, Ahmadou Kourouma,
Éditions du Seuil, 1995.
• Le Cercle des Tropiques, Alioum Fantouré,
Éditions Présence africaine, 1991.
• L’Âge d’or n’est pas pour demain, Ayi Kwei Armah,
Éditions Présence africaine, 1976.
• Le Monde s’effondre, Chinua Achebe, Éditions Présence africaine, 2000.
• Le vieux nègre et la médaille, Ferdinand Oyono, Éditions 10×18, 2005.
• Les Bouts de bois de Dieu, Ousmane Sembène, Éditions Pocket, 2002.