Avec 42 millions de
personnes vivant sur un territoire de plus de deux millions et demi de kilomètres carrés, le plus vaste d’Afrique, le Soudan sera confronté dans les mois à venir à la plus grande épreuve de son histoire. Si les élections présidentielle, législatives et régionales se sont déroulées en avril dernier, après vingt-quatre ans d’absence de tout processus électoral transparent et pluraliste, dans des conditions plus ou moins satisfaisantes, rien ne dit que le référendum prévu le 9 janvier 2011 se déroulera dans le calme et la sérénité.
Ce jour-là, en effet, la population du Sud sera appelée à dire si elle veut continuer à vivre dans un État fédéral unitaire ou si elle préfère la séparation. Le choix n’est pas sans conséquence directe sur la stabilité de ce pays et, au-delà, sur la stabilité de l’ensemble du continent africain. Certes, le bilan de plus d’un demi-siècle de vie commune n’est pas de nature à amener les électeurs sudistes à opter pour une communauté de destin avec leurs compatriotes du Nord. Deux guerres civiles, des régimes militaires à répétition, une mauvaise gouvernance et, last but not least, l’absence de toute stratégie de développement partagé sont autant d’arguments honorables brandis par les tenants de l’option sécessionniste. L’actuel vice-président du Soudan, Salva Kiir Mayardit, qui a succédé en juillet 2005 à John Garang, mort dans le crash de l’hélicoptère présidentiel ougandais qui le transportait, ne cache pas sa préférence pour l’éclatement du Soudan. Contrairement au chef historique de la rébellion sudiste, qui avait fini par afficher sa préférence pour le maintien des structures d’un État soudanais fédéral, Salva Kiir, soutenu par l’Ouganda, le Kenya et les néoconservateurs américains du temps de G. W. Bush, est un sécessionniste à peine déguisé.
Il serait cependant injuste de faire porter la responsabilité du probable éclatement programmé du Soudan aux seuls gouvernements nordistes qui se sont succédé depuis 1956 à Khartoum. Le développement inégal entre le Nord et le Sud a été hérité du colonialisme britannique dont les gouverneurs tenaient à isoler cette partie du reste du pays et la gérait arbitrairement, la maintenant dans un état de sous-développement scandaleux. La Couronne administra le Sud et le Nord comme deux entités distinctes. C'est pourquoi la colonisation britannique fut essentiellement militaire, privilégiant les chefferies locales au détriment d’une stratégie de développement unitaire. Les gouverneurs britanniques gérèrent cette région du pays comme de vrais potentats et isolèrent totalement le Sud du Nord par une politique appelée « closed districts », qui interdisait notamment l’activité économique des commerçants arabes du Nord vers le Sud. L’origine de la fracture Nord-Sud est donc aussi à rechercher de ce côté-là.
Autre facteur aggravant : le système éducatif au Sud avait été laissé aux seules mains des missions chrétiennes, alors que les chrétiens constituent à peine 5 % de la population du Soudan. Cette situation n’ira pas sans causer de lourds préjudices à la future unité du pays, surtout lors de l’accession du Soudan à l’indépendance.
Les élites nordistes qui ont pris le relais après 1956 n’ont pas su, n’ont pas pu, gérer ce lourd héritage. À cette incurie s’est ajoutée une fuite suicidaire, particulièrement depuis le coup d’État militaire de Gaafar
al-Nimeiri qui a instauré un régime de terreur anticommuniste et intégriste. Jouissant de la complaisance et du soutien de l’Occident et des monarchies du Golfe, il a choisi l’option militaire pour régler une question essentiellement politique, économique et identitaire. Après la chute de Nimeiri et l’avènement d’un régime islamo-nationaliste en 1989, l’Occident se retourne contre son successeur, surtout après 1990 où le Soudan se solidarise avec l’Irak. Accablé de sanctions multiformes, Al-Bachir est obligé, en 2005, de signer les accords de paix avec le Sud qui, au terme d’une autonomie de six ans, devrait déboucher sur un référendum décisif pour l’unité du pays. Un accord qui fut précédé par l’irruption de la tragédie du Darfour, actuellement en voie de résorption.
Est-il encore temps d’éviter une sécession qui, loin de régler quoi que ce soit dans un Sud ingérable, ouvrirait la boîte de Pandore pour l’ensemble de l’Afrique ? Il faut l’espérer.