En attendant le second tour prévu le 19 septembre, les deux candidats, Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, font des calculs improbables faute de tradition démocratique. Dans une ambiance pas toujours sereine.
Qui, des deux challengers de la présidentielle, l’emportera au soir du 19 septembre, date fixée pour la tenue du second tour de la première élection libre du pays en cinquante-deux ans d’indépendance ? L’ancien premier ministre Cellou Dalein Diallo, arrivé en tête du premier tour avec près de 44 % des suffrages, ou l’opposant de toujours, Alpha Condé, deuxième score avec 18,25 % ?
Des milliers de votes invalidés
Depuis le verdict du premier round le 27 juin, confirmé trois semaines plus tard par la Cour suprême, les Guinéens y vont chacun de leur pronostic. Pour bon nombre d’observateurs, Cellou Dalein Diallo partirait en position de favori. L’ancien premier ministre et ministre sous le régime Lansana Conté semble, en effet, s’être davantage rapproché du fauteuil présidentiel en obtenant dans l’entre-deux tours un soutien de poids : celui d’un autre ancien chef de gouvernement, Sidya Touré (1996-1999), qui a rassemblé en juin 13,62 % de voix. Il était très courtisé depuis lors par chacun des deux candidats restés en lice. Arithmétiquement donc, en additionnant les suffrages obtenus par les deux hommes, la majorité absolue requise pour être proclamé vainqueur du second tour est largement atteinte : 57,31 %.
Seulement, sur le terrain, les choses sont loin d’être aussi définitivement tranchées. Pour au moins deux raisons, explique un analyste politique guinéen : « Le scrutin démocratique libre et transparent est une grande première dans notre système politique. Il n’existe pas de traditions en matière de report des voix d’un candidat sur un autre qui permette de se faire une idée plus ou moins exacte de ce que pourrait être, dans les faits, le respect des consignes de vote en faveur de Diallo données par Sidya Touré. Secundo, il y a eu beaucoup d’indécis et de votes invalidés au premier tour. Ce qui donne, au second tour, une allure de premier tour, tant tout semble à refaire du côté de l’organisation pratique comme du point de vue de la mobilisation de l’électorat. »
En saisissant la Cour suprême au lendemain de la proclamation par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), le parti d’Alpha Condé s’attendait surtout à voir son score substantiellement revalorisé par une meilleure prise en compte des voix de ses partisans qu’il estimait détournées. Mais c’est une tout autre décision de la Cour qui a enchanté le leader du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) : l’institution judiciaire siégeant en qualité de juge électoral de dernier recours a, après avoir statué sur les différentes requêtes déposées par les partis en compétition, annulé pour irrégularités de nombreux votes. Ce qui s’est traduit, au-delà des ajustements de scores électoraux, par une chute drastique du taux de participation au premier tour, passé de 77 %, selon les résultats provisoires, à 52 %. « La Cour suprême, usant de son pouvoir souverain, décide que les suffrages exprimés à Matam, Ratoma [quartiers de la capitale Conakry], Kankan, Mandiana [en Haute-Guinée, réputé fief d’Alpha Condé] et Lola [Guinée forestière, bastion d’un rallié à Condé Papa Koly Kourouma, qui a récolté 5 % des voix] sont invalidés purement et simplement, et viendront en déduction du suffrage général valablement exprimé sur l’ensemble du territoire », a déclaré le président de la Cour.
Pour Alpha Condé et ses partisans, ce faible taux de participation est tout de suite apparu comme une bouée de sauvetage et même, pour certains, comme la preuve que rien n’est perdu. Chez eux aussi, on a fait de l’arithmétique en considérant comme acquises les voix invalidées ainsi qu’une bonne partie des suffrages des abstentionnistes du premier tour. On les agglomère aux scores de Condé (18, 25 %), de l’ex-premier ministre Lansana Kouyaté (7 %, membre comme le chef du RPG du groupe ethnique malinké), de Papa Koly Kourouma (5 %) et aux 5 % que pèserait la quinzaine d’autres petits candidats ayant noué alliance. Les limites de ce calcul se laissent tout de suite voir, et les adversaires de Condé ne manquent pas d’ironiser sur une « addition entre chiffres réels et chiffres virtuels ». Le virtuel s’entendant ici comme l’opération pour le moins osée consistant à dire par l’avance pour qui voteront les indécis du premier tour.
Le parti de Condé, qui a poursuivi un dirigeant de la Commission électorale devant les tribunaux, l’accusant d’avoir gardé par-devers lui des bulletins de vote favorables au RPG, estime, quant à lui, que la plupart des suffrages invalidés sont ceux de ses partisans.
Avec les différentes plaintes pour fraudes et manquements divers répertoriés après le premier tour, la Commission électorale, jurant de sa bonne foi, a entrepris de corriger les défaillances constatées, du moins celles qui peuvent encore l’être. La Ceni a ainsi reçu 10 000 urnes supplémentaires et décidé de créer 500 bureaux de vote de plus à travers le pays, dans le but de rapprocher les électeurs de leurs lieux de résidence et de diminuer ainsi les risques de pertes de bulletins lors de l’acheminement. Cette mesure devrait aussi inciter les citoyens qui n’avaient pas pu voter en juin, en raison de l’éloignement de certains bureaux, à se rendre plus nombreux aux urnes le 19 septembre.
Malgré cela, le premier ministre Jean-Marie Doré a réclamé une redéfinition des compétences de la Ceni et du ministère de l’Administration territoriale et des affaires politiques, ce qui a provoqué une levée de boucliers chez tous les partis en lice. En effet, cette décision pourrait signifier une obligatoire modification de la loi électorale et, par conséquent, de la Constitution, ce qui rendrait intenable la date du 19 septembre pour le second tour.
Ces dispositions pratiques aideront-elles à faire baisser la tension bien perceptible entre les deux camps ? Les Guinéens l’espèrent fortement, bien qu’ils redoutent des violences après la proclamation des résultats. Le premier tour et les tractations de l’entre-deux tours ont démontré à quel point la donne tribalo-ethnique était toujours centrale dans le pays.
Suspicion généralisée
Anticipant cette éventualité négative, l’Union africaine, par la voix de son président de Commission, a appelé les deux candidats à faire preuve de « modération, de retenue et de sens des responsabilités » et à contribuer à « la création de conditions propices au bon déroulement de la campagne électorale et du scrutin présidentiel ». Cet appel à la raison sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr : une vague de suspicion généralisée s’est emparée des différents états-majors politiques, chaque candidat accusant tel dirigeant de la transition ou tel responsable de la Commission électorale de rouler pour l’adversaire. L’idée selon laquelle Condé bénéficierait du soutien des autorités de la transition tandis que Dalein Diallo aurait ses inconditionnels à la Ceni continue de faire son chemin, reléguant en arrière-plan les débats autour des programmes proposés par les deux candidats. L’élection d’abord, la démocratie et l’économie plus tard, tel semble être le vrai slogan de cette campagne électorale biaisée censée sortir la Guinée d’un demi-siècle de léthargie.