Pas plus que les précédentes tentatives de sortie de crise, la Conférence nationale n’aura permis le consensus. Elle a pourtant été plébiscitée par les Malgaches qui souhaitent en finir avec le chaos actuel.
C’est bien là le paradoxe : alors qu’une partie de l’opposition et les mouvances incarnées par les trois ex-présidents Ratsiraka, Zafy et Ravalomanana ont boycotté l’événement, que le médiateur international, le Mozambicain Joaquim Chissano, s’en est dissocié, le peuple, lui, a plébiscité la Conférence nationale qui s’est tenue du 13 au 18 septembre à Antananarivo. Fatigué d’une crise politico-économique qui n’en finit pas de durer depuis que le président de la Haute Autorité de transition (HAT), Andry Rajoelina, faisant fonction de président de la République, a bouté hors du siège présidentiel Marc Ravalomanana le 17 mars 2009, lors d’un coup d’État qui ne dit pas son nom. La communauté internationale ne l’a pas reconnu, tandis que Ravalomanana, en exil en Afrique du Sud, réclame de rentrer à la maison pour y jouer sa partie (chose très fortement compromise depuis sa condamnation le 28 août dernier, voir encadré) et que les autres prétendants au trône manœuvrent pour être le mieux placé à la prochaine présidentielle… C’est tout l’enjeu de la sortie de la transition, synonyme de crise profonde, où chaque acteur s’est engagé dans un bras de fer pour tenter de rafler la plus grosse part du gâteau « pouvoir ». Quitte à faire durer la partie.
Aussi, quand la HAT a décidé d’organiser la Conférence nationale, prévue aux termes de l’accord conclu le 13 août dernier avec plus d’une centaine de partis politiques (mais sans les trois mouvances ni la médiation internationale, qui s’en tiennent aux accords de Maputo), les Malgaches s’y sont précipités. Quelque 4 700 participants venus de toute l’île, au lieu des 2000 à 2500 prévus, ont accouru pour débattre de la gestion de la transition. Avec, dans leurs mains, les propositions adoptées lors des préliminaires (dinika santatra), tenus du 29 au 31 juillet dans 119 districts couvrant tout le pays, et servant de base aux débats. Plus de 70 % en moyenne des 18 700 délégués d’associations, de partis ou de corps professionnels avaient répondu présents.
Neutralité douteuse
Il n’empêche : les soupçons restent de mise. Comme le craignaient les absents, les résolutions adoptées à main levée par environ 2 000 représentants à la Conférence ont conforté Rajoelina – qui n’a pas fait acte de présence, histoire de donner l’impression de sa « neutralité » – dans son rôle de chef de la transition. Même s’il lui est fait obligation de désigner un premier ministre de consensus, originaire d’une région autre que la sienne (les Hauts Plateaux). L’âge pour candidater à la présidentielle a été abaissé à 35 ans au lieu de 40. Ce qui permettrait à l’actuel homme fort du pays (il a aujourd’hui 36 ans) de se présenter, au cas où il reviendrait sur sa déclaration de ne pas faire la course en mai 2011, selon le calendrier adopté le 13 août. Lequel prévoit aussi un référendum constitutionnel en novembre. « Nous invitons la communauté internationale à prendre acte de ces résolutions », a conclu solennellement la Conférence.
Certes, en étant rejetée par une bonne part des acteurs en présence, celle-ci n’a fait qu’entériner les clivages existants. Il reste néanmoins indéniable qu’elle a été un succès populaire, soulignant la volonté des Malgaches de sortir du chaos coûte que coûte. Qu’importe, pour la majorité d’entre eux, si une lutte sourde pour l’organisation de la Conférence nationale a opposé la HAT à la Coordination nationale des organisations de la société civile (Cnosc, qui n’était pas présente), une structure créée fin juillet pour coaliser les trois représentations de la société civile concurrentes, avec la bienveillance de la médiation internationale. Chissano a reproché à la Conférence de n’être ni impartiale ni transparente en prenant entièrement en charge son financement, manipulant ainsi le processus en sa faveur. Il l’aurait souhaitée plus « inclusive », intégrant ceux qui n’ont pas accepté de s’y rendre – les mouvances Ratsiraka et Ravalomanana subordonnant toujours leur participation au dialogue au retour de leurs leaders dans le pays et à la dissolution des institutions de transition.
Le ministre des Affaires étrangères, Hyppolite Ramaroson Raharison, auquel étaient notamment adressées les réserves du médiateur, a eu beau jeu de rappeler qu’il était normal que l’État finance un événement d’importance majeure destiné à tous les Malgaches, sans exclusive, même si certains n’ont pas souhaité jouer le jeu. « Si le contribuable malgache ne finance pas une telle rencontre, quel autre contribuable de quel pays le fera ? », s’est-il interrogé, faussement ingénu. Une façon de court-circuiter les initiatives censées être consensuelles de la Cnosc et de se rendre bel et bien maître du jeu de la sortie de crise.
D’autant qu’on s’interroge : la Coordination est-elle prête à assumer le rôle de médiateur malgacho-malgache neutre et « unioniste » qu’on attend d’elle? Ses dirigeants sauront-ils déscotcher l’étiquette anti-Rajaolina qui leur colle à la peau ? Pas plus que le chef de la HAT n’a été élu par les Malgaches ils ne l’ont été par les organisations de la société civile qu’ils représentent. Surtout, la réunion qu’ils ont organisée, fin août, pour trouver avant la Conférence un accord consensuel avec les partis, associations et délégués des trois mouvances, s’est révélée un fiasco : ni ordre du jour, ni thèmes de discussion, ni propositions… Beaucoup se sont demandé ce qu’ils faisaient là. D’ailleurs, les délégués des trois mouvances, devant une telle impréparation, ne s’y sont pas rendus. « La Cnosc n’est là que pour faciliter cette rencontre et ce dialogue. L’initiative devrait venir des invités », s’est défendu José Rakotomavo, l’un de ses dirigeants.
Il n’empêche : insatisfaite avant la Conférence et encore plus après, assurée du soutien et des deniers de la communauté internationale, la Cnosc s’apprête à organiser une conférence nationale « souveraine ». Pas besoin d’être devin pour connaître la suite : le nouveau « consensus » presque déjà proclamé ne sera pas plus consensuel que l’actuel. Les Malgaches n’ont pas fini de souffrir.