Pour Guy Labertit, l’ex-Monsieur Afrique du Parti socialiste français, les signes de l’organisation prochaine de la présidentielle ivoirienne sont là.
Guy Labertit, auteur de Adieu, Abidjan-sur-Seine, un livre qui revient sur les origines de la crise ivoirienne, et plus récemment de Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix, a été le « Monsieur Afrique » du Parti socialiste français de 1993 à 2006. C’est surtout un ami personnel du président ivoirien qu’il connaît depuis 1982 et qu’il a hébergé pendant son long exil en France. Depuis la tentative de renversement de Laurent Gbagbo, Labertit n’a cessé de pourfendre le pouvoir français qu’il accuse sans ambages d’avoir trempé dans le complot.
Pourquoi le président Chirac en voulait-il tant à Laurent Gbagbo ?
Leurs destins se croisent en 1986. Dès qu’il est nommé premier ministre cette année dans le cadre de la cohabitation, Chirac rend visite au président Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro. Laurent Gbagbo, lui, est alors réfugié politique en France. Quelques semaines après le retour de Chirac, les services français, sous la directive de messieurs Pasqua et Pandraud, respectivement ministres de l’Intérieur et de la Sécurité, prennent contact avec Gbagbo. Pour lui dire – en ma présence – que Houphouët avait informé Chirac du désir de l’opposant de rentrer en Côte d’Ivoire. Ce qui était absolument faux. C’est pour vous dire qu’avant même son retour en Côte d’Ivoire, Laurent était dans le viseur de Jacques Chirac.
n Pourtant, la communauté internationale – les Anglo-Saxons en particulier – a repris à son compte la version française des événements…
rVous avez raison de souligner que la diplomatie française a eu l’habileté de faire endosser une politique à l’ensemble de la communauté internationale.
Dans mon premier livre, j’avance l’hypothèse que, à cette époque, Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies qui avait assisté à la conférence de Kléber (accords de Marcoussis), avait pour principal souci la question de l’Irak. J’ai eu l’impression qu’il y a eu comme un deal passé entre Chirac et Annan. Du genre : « On vous aide pour l’Irak, et vous nous aidez pour la Côte d’Ivoire».
Vous remarquerez que le moment où le président Gbagbo va renverser la vapeur en préparant la stratégie de l’Accord politique de Ouagadougou, fin de 2006, correspond à un timing : Chirac est sur le départ, Annan termine son mandat et l’hypothèse du procès de Charles Taylor met le président burkinabè dans une situation diplomatique délicate. Depuis lors, Compaoré est devenu médiateur.
Un rapport de l’Onu met l’accent sur la privatisation des ressources locales du nord de la Côte d’Ivoire par des responsables de la rébellion. Le contrôle d’Abidjan sur cette partie du pays n’est-il que symbolique ?
Pas seulement symbolique. Ceux que l’on avait présentés comme des combattants de la liberté ayant les mains propres face à un pouvoir présenté comme détestable ne font plus illusion aujourd’hui. Je salue le travail d’investigation des Nations unies en regrettant qu’il soit aussi tardif. Les autorités ivoiriennes sont parfaitement informées de la survivance de ces pillages. Mais le plus important aujourd’hui est la sortie de crise, ce qui nécessite un volontarisme politique pour aller aux élections. Lorsqu’elles auront lieu, il se produira ce processus caractéristique des périodes post-conflit : le délitement des rébellions après la relégitimation politique consécutive aux élections.
Après les remous provoqués par la dissolution de la Commission électorale indépendante et l’affaire Tagro, pensez-vous que la présidentielle se déroulera vraiment avant le 31 octobre ?
Sous la présidence de Youssouf Bakayoko, la CEI poursuit sereinement son travail, et toutes les listes électorales seront publiées en temps utile. Par ailleurs, un processus d’encasernement des combattants rebelles a été mené à terme sans rencontrer d’incidents majeurs. Autant de signes qui augurent de l’organisation prochaine des élections.
Le ministère de l’Intérieur Tagro a été disculpé par la justice. Je rappelle que c’est la CEI qui organise les élections, non son ministère. Et que les manipulations au niveau des listes électorales sont imputables à l’opposition – une première en Afrique – qui contrôle la CEI. Il est donc curieux que l’on reproche au président Gbagbo le retard dans le processus électoral.