Côte d’Ivoire Déjà huit ans de crise et une énième date – le 31 octobre – pour la présidentielle, sur laquelle le doute n’est pas totalement levé… Mais tout le monde fait semblant d’y croire, alors que les risques d’un simulacre de scrutin démocratique pointent à l’horizon.
«Si je tombe, vous tombez aussi. » Cet avertissement du président Laurent Gbagbo à la haute hiérarchie militaire du pays illustre bien l’état des lieux en Côte d’Ivoire, huit ans après la crise née du coup d’État manqué du 19 septembre 2002, et à quelques semaines d’une élection présidentielle attendue depuis cinq ans. Le pays, toujours coupé en deux malgré les proclamations contraires, vit au rythme d’une drôle de paix où les militaires tiennent plus que jamais les premiers rôles. Les soldats restés loyalistes garantissent la pérennité du régime controversé de Gbagbo au sud, tandis qu’au nord la rébellion armée, reconvertie en « Forces armées des Forces nouvelles », assure le pouvoir chancelant de leur leader politique, le premier ministre Guillaume Soro. Officiellement démobilisée, l’ex-rébellion n’a pas encore apporté la preuve irréfutable de son renoncement à la lutte armée.
Scepticisme ambiant
Des reports successifs de la présidentielle, censée permettre au pays de sortir de la crise, avaient fini par donner de la situation une allure de « crise sans solution ». Signe de la lassitude et du scepticisme ambiants : l’annonce le mois dernier par le premier ministre de la nouvelle date du scrutin, prévu cette fois le 31 octobre, n’avait reçu dans le pays qu’un accueil mitigé, à la mesure des multiples désillusions ayant déjà émaillé le processus. De partout, on s’interroge : les élections se tiendront-elles à cette date ? Le pays sera-t-il véritablement réunifié avant l’échéance ? La rébellion désarmera-t-elle effectivement et définitivement ? Le pouvoir organisera-t-il des élections pour les perdre ? Les problèmes qui ont conduit la rébellion à prendre les armes sont-ils aujourd’hui résolus ? Autant de questions que les Ivoiriens se posent toujours au moment de faire le bilan de huit années de crise et de prendre enfin le chemin des urnes.
Chronogramme serré
« Si on n’organise pas d’élection, ça fait quoi ? », avait déclaré Gbagbo dans une boutade devenue célèbre, synonyme, pour l’opposition ivoirienne, du peu d’empressement du régime à organiser l’élection présidentielle qui aurait dû se tenir en octobre 2005, à la fin du mandat constitutionnel de l’actuel président. « Si on organise des élections à notre façon, ça fait quoi ? » Tel semble être désormais le credo du pouvoir en place à Abidjan, que toute critique du pénible processus en cours indispose.
Après mille tergiversations, le recensement électoral le plus long de l’histoire de la Côte d’Ivoire a finalement abouti fin août 2010, à la publication de la liste électorale « blanche » ou « nettoyée », dont l’affichage prévu du 10 au 12 octobre, suivi de la distribution des cartes d’électeurs, conditionne la tenue à date de la présidentielle. Le chronogramme est de plus en plus serré et la moindre difficulté pourrait tout remettre en question, les susceptibilités étant toujours à fleur de peau.
À la Commission électorale indépendante, on rappelle sans cesse que l’issue positive du processus électoral dépend en grande partie du climat politique qui régnera dans le pays, notamment pendant la campagne électorale qui s’ouvre le 14 octobre.
À quelques jours de ce fameux scrutin présidentiel, la Côte d’Ivoire vit une drôle d’ambiance. Après avoir longtemps attendu l’élection, bon nombre d’Ivoiriens redoutent à présent un scrutin tronqué. Le cafouillage qui a entouré la fin des contentieux judiciaires relatifs à l’inscription sur les listes électorales en a édifié plus d’un : 70 000 réclamations, dont 30 000 suspectant des citoyens inscrits de fraude sur la nationalité, ont été enregistrées et expédiées à la hâte, parfois à l’insu des suspects alors que la procédure judiciaire était censée être contradictoire. Résultat, les radiés n’auront que peu de chances de se faire entendre.
Faire semblant de voter
Par ailleurs, personne n’est indifférent aux diverses nominations et avancements en grade opérés ces dernières semaines par Laurent Gbagbo dans le corps préfectoral – dont le rôle effectif dans le processus électoral va bien au-delà des dispositions textuelles – et dans l’armée et la police, redéployées en force dans certaines localités réputées être des bastions de l’opposition. Elles n’ont fait que conforter de nombreux Ivoiriens dans le sentiment qu’on s’acheminait vers des élections « façon-façon », c’est-à-dire, dans le jargon abidjanais, des élections au rabais où on fait semblant de voter alors que l’issue du vote est connue.
« Même les leaders les plus virulents de l’opposition semblent se résigner à cette tournure des événements », se désole un militant de l’ex-parti unique, qui pointe un doigt accusateur sur la communauté internationale, laquelle, selon lui, a « totalement baissé les bras ». Un chef de parti, Francis Wodié, a flairé le coup, appelant Gbagbo à démissionner avant la campagne électorale, afin que tous les candidats partent sur le même pied d’égalité. Une démarche restée solitaire, les autres candidats semblant se contenter du processus actuel, convaincus qu’ils pourraient tirer leur épingle du jeu. Par quel miracle ? « Le miracle serait déjà que l’élection, correcte ou pas, se tienne effectivement le 31 octobre, lâche un leader associatif. On n’y croyait plus. »