L’ancien président Laurent Gbagbo va comparaître devant les juges de la Cour pénale internationale à La Haye. Mais cette justice est-elle réellement indépendante ?
Des ressortissants de sept pays africains font aujourd’hui l’objet d’une procédure de la Cour pénale internationale (CPI). Depuis octobre, celle-ci se penche sur les crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en Côte d’Ivoire pendant la période qui a suivi les élections de décembre 2010 jusqu’en avril 2011. Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien, a été écroué à La Haye dans la nuit du 28 au 29 novembre et doit comparaître pour la première fois devant les juges de la CPI le 5 décembre. Cependant, Gbagbo n’est pas le seul dans le collimateur. Selon le procureur de la CPI, « il semble que des crimes ont été commis dans les deux camps. Si la Cour estime que des personnes proches du président Alassane Ouattara sont concernées, une procédure du même type sera mise en œuvre. » À bon entendeur salut !
En Libye, Seif al-Islam, fils de Mouammar Kadhafi, fait l’objet depuis le 27 juin d’un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes contre l’humanité. Arrêté le 19 novembre, il est toujours en Libye. Présenté comme un fou sanguinaire et successeur de son père, il y a peu, il est aujourd’hui considéré comme « un criminel inoffensif » selon Ibrahim Turki, responsable des affaires sanitaires pour le CNT, dans la ville de Zenten, dans l’ouest libyen, où il est tenu au secret pour ne pas l’exposer au sort subi par son père. Les Libyens ont l’intention de le juger à Tripoli et d’assurer un procès « équitable » exemplaire. Après une passe d’armes feutrée, la CPI a finalement déclaré que c’était une « possibilité » à condition que la Libye lui en fasse la demande.
Concernant le Kenya, le procureur de la CPI a annoncé, le 15 décembre 2010, les noms de six hauts dignitaires soupçonnés de crimes commis lors des violences postélectorales fin 2007 : William Samoei Ruto (ex-Ministre de l'éducation, de la science et des technologies, qui était député du Nord Eldoret), Henry Kiprono Kosgey (ex-Ministre de l'industrie, député de la province de Tinderet et président de l'ODM, considéré comme l'un des principaux responsables des crimes perpétrés contre des militants du PNU), Joshua Arap Sang (actuel chef des opérations de la radio KASS FM, qui était au moment des faits journaliste pour cette radio), Francis Kirimi Muthaura (alors chef du service public et Secrétaire de cabinet et Président du Comité du conseil de la sécurité nationale), Uhuru Muigai Kenyatta(actuel vice-Premier ministre et ministre des Finances), Mohamed Hussein Ali (Mohamed Hussein Ali, Commissaire de police au moment des affrontements, accusé d’avoir autorisé l'utilisation excessive de la force contre des militants de l'ODM).
En août 2011, la Chambre d'appel de la Cour pénale internationale (CPI) rejetait les appels du gouvernement du Kenya et confirmait les décisions de la Chambre préliminaire II du 30 mai 2011 quant à la recevabilité des affaires concernant les six hauts dignitaires. Selon le Procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, chargé de l'accusation, plus de 1.100 personnes ont été tuées, 3.500 autres blessées et plus de 600.000 déplacées lors de violences politico-ethniques ayant suivi la réélection contestée du Président Mwai Kibaki, le 27 décembre 2007, contre Raila Odinga, aujourd'hui Premier ministre d'un gouvernement de coalition. Les chefs d’accusation ont été confirmés en septembre et octobre.
Au Soudan, c’est le président Omar al-Bachir qui fait, depuis mars 2009, l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI. À charge, les crimes contre l’humanité et de guerre au Darfour dont la guerre civile depuis 2003 a fait plus de 300 000 morts selon l’ONU, 10 000 selon Khartoum. Les accusations de génocide ont été ajoutées en 2010. Al-Bachir a par ailleurs fait l’objet, le 28 novembre 2011, d’un mandat d’arrêt délivré par la justice kenyane sur requête de la Commission kenyane internationale des juristes (ICJ-Kenya), organisation indépendante dont l’objet est de mettre en conformité le droit national avec le droit international. Le Kenya ayant ratifié le traité fondateur de la CPI, il doit interpeller Omar al-Bachir si ce dernier met un pied sur le territoire, estime ICJ-Kenya. Immédiatement, Khartoum a rappelé son ambassadeur au Kenya. L’affaire n’est pas terminée car les autorités kenyanes, qui se sont toujours montrées modérées envers le président soudanais et qui ont abrité nombre de négociations pour mettre un terme d’abord à la guerre Nord-Sud, puis à celle du Darfour, ont décidé de contester leur propre justice en « utilisant le droit de faire appel ». « Nous allons soigneusement étudier l’arrêt dans l’objectif de demander au procureur général de lancer une procédure d’appel le plus rapidement possible », a déclaré le ministre kényan des Affaires étrangères, Moses Wetangula, dans un communiqué.
Pour ce qui concerne la RDC, l’ex-chef des milices, Thomas Lubanga, accusé de crimes de guerre pour l’enrôlement d’enfants soldats en 2002-2003, attend le verdict de son procès qui s’est terminé en août 2011. Également accusés de crimes de guerre et contre l’humanité, les chefs de milice congolais Germain Kantanga et Mathieu Ngudjolo Chui sont jugés depuis novembre 2009 pour avoir attaqué un village en 2003. Callixte Mbarushimana, dirigeant des rebelles rwandais Hutu, soupçonné de crimes dans le Kivu en 2009, est détenu à La Haye, tandis que l’ex-rebel Bosco Ntaganda, aujourd’hui général, fait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré en 2006 et toujours libre de faire carrière dans l’armée. Ce qui ne gêne pas outre mesure la CPI.
En Ouganda, la CPI a lancé, en 2005, des mandats d’arrêt contre Joseph Kony et des hauts gradés de l’Armée de résistance du seigneur (LRA) pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre présumés, particulièrement l’enrôlement d’enfants soldats et l’esclavage sexuel, entre 2002 et 2004, mais aussi des massacres de civils, des exactions, nombreuses destructions et pillages réalisés par ses « soldats » pour la plupart des enfants.
Dans un dossier lié à la Centrafrique, l’ancien vice-président de la RDC, Jean-Pierre Bemba, est détenu à La Haye depuis 2008 par la CPI, après avoir été arrêté à Bruxelles. Son procès s’est ouvert à La Haye le 22 novembre 2010, accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis par ses miliciens en Centrafrique en 2002 et 2003. Secrétaire général du Mouvement de Libération du Congo (MLC), Jean-Pierre Bemba s’était réfugié en Belgique en 2007 et avait été arrêté par les autorités belges le 24 mai 2008. Il s’agissait alors d’un mandat d’arrêt émis par la CPI saisie en 2004 par François Bozizé, au pouvoir en Centrafrique depuis 2003. Au pouvoir, certes, mais par un coup d’État, le 15 mars 2003, exécuté en l’absence du président Ange-Félix Patassé, alors en voyage au Niger. Celui-ci choisit alors l’exil d’abord au Cameroun, puis au Togo. Ce qui ne gêne pas, outre mesure, la CPI. Accusé par les procureurs de la CPI de n’avoir pas empêché ses hommes d’attaquer « systématiquement » de violer et de tuer de civils, alors qu’ils soutenaient militairement l’armée centrafricaine fidèle à Patassé contre Bozizé, Jean-Pierre Bemba a plaidé non coupable. ."Jean-Pierre Bemba a utilisé une armée entière comme un instrument pour violer, piller et tuer des civils en République centrafricaine", déclarait à la presse le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, sans respecter la présomption d’innocence. Dans un tel contexte, il est clair que le dossier Bemba a pris une tournure politique. C’est ce qu’a défendu un de ses avocats, Me Nkwebe Liriss, qui a qualifié l’enquête de « partiale et bâclée », Bemba ne pouvant avoir le contrôle de ses troupes en Centrafrique, si crimes il y a. Pour l’avocat, comme pour d’autres, nombreux, ce procès serait un moyen de se débarrasser d’un opposant gênant en utilisant la CPI, ce qui ne devait pas déplaire aux multinationales qui saignent à blanc le pays et ses ressources naturelles. Car gênant, Bemba l’est. Il est toujours populaire dans une certaine partie de la population, et actif. En RDC, dans un contexte de violence électorale, le week-end dernier, jours de scrutin, notamment, et alors que les résultats sont contestés avant même d’être connus, portant, une fois de plus, la RDC au bord de la guerre civile, Bemba a envoyé un message lu par une télévision pro-MLC par le secrétaire général du parti, Thomas Luhaka. Il y affirmait avoir rencontré « à plusieurs reprises » les dirigeants de l’opposition à Joseph Kabila, Étienne Tshisekedi, Vital Kamerhe et Léon Kengo et les avoir appelés à « s’organiser en front commun autour d’un seul candidat pour garantir l’alternance au régime ».
Pour nombre d’observateurs, l’affaire Bemba est certainement le dossier qui illustre le mieux l’instrumentalisation politique de la CPI et son orientation néocoloniale. Certes les victimes des massacres et les familles des disparus ont besoin que les coupables soient punis, mais cela, partout dans le monde, et pas par n’importe qui. Et c’est l’acharnement de la CPI sur l’Afrique qui pose aujourd’hui un sérieux problème de partialité et de justice internationale. Et par sa partialité réelle ou ressentie, la CPI ne peut qu’aggraver des situations déjà au bord de l’explosion. Il est certainement plus facile d’arrêter un Bemba, de le détenir et de le juger à La Haye, sans se préoccuper des conséquences que cela peut avoir dans le pays même, que de traiter de la même manière un George W. Bush, alors qu’il fait déjà l’objet de plaintes et qu’après les procédures en cours en Suisse et au Canada, il n’est plus aussi libre qu’il le voudrait de parcourir le monde. Lui comme tant d’autres, mais est-ce bien étonnant, bénéficie étrangement de la « clémence du jury ».