Pour son quatrième mandat, dénoncé par les opposants, Blaise Compaoré promettait un « Burkina émergent ». On en est loin, selon Me Stanislas Bénéwendé Sankara, leader de l’opposition, qui passe au crible les fragilités d’un pays plongé dans un profond désespoir.
Avocat de formation, Me Stanislas Bénéwendé Sankara, 52 ans, a pris part au Comité de défense de la Révolution (CDR) sous le régime de Thomas Sankara. Il fonde l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (Unir/MS) en 2000, dont il est l’actuel président. C’est sous les couleurs de ce parti qu’il sera député de 2002 à 2005. Candidat à la présidentielle de novembre 2010, Stanislas Bénéwendé Sankara est arrivé troisième, avec 6,34 % des suffrages.
Quelle est la situation globale du pays au lendemain des émeutes du début 2011 ?
On ne peut pas parler du pays actuellement sans rappeler deux temps forts de son histoire contemporaine : d’abord 1998, avec l’assassinat de Norbert Zongo. La réaction sociale entraînée par cette affaire aurait pu emporter Blaise Compaoré. Dix ans plus tard, en 2008, les émeutes de la faim ont fait déferler les populations en colère dans les grandes villes, notamment à Bobo Dioulasso. Il n’y avait pas, derrière ces mouvements, de partis politiques ni de manipulateurs mais une jeunesse qui criait son ras-le-bol de façon spontanée. Entre 2008 et 2010, le pouvoir s’est engagé dans un processus postélectoral de réformes qui a permis de donner un statut à l’opposition en créant des chefs de file, de revenir sur les quotas en donnant l’égalité des chances aux femmes et de prendre des décisions de lutte contre la vie chère. Enfin, un financement des partis politiques a été décidé.
Tout cela était destiné à préparer l’élection présidentielle de 2010 où le chef de l’État sortant a déclaré : « Je vous offre un Burkina émergent. » Mais, en réalité, le pays s’enlise dans l’extrême pauvreté. Blaise Compaoré a été élu avec près de 80 % des suffrages. Mais sait-on que, sur un corps électoral estimé à 8 millions de personnes, 2 millions à peine se sont inscrits pour ce vote ? Preuve que l’opération n’a suscité aucun engouement.
Faible participation, mais pas de fraudes trop manifestes ?
Mis à part le fait que la carte d’électeur était illégale ! On a décidé d’utiliser une nouvelle carte à un mois de l’élection, alors que le traité de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dit qu’on ne peut revoir la loi électorale dans les six mois qui précèdent le scrutin. Or, l’Assemblée nationale a été obligée de valider cette décision, une carte fabriquée par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) mais qui comportait des erreurs. Le chef de l’État a été élu sur cette base, malgré les recours engagés devant la Ceni pour qu’elle ne proclame pas de résultats frauduleux, ainsi que devant l’Union africaine et la Cedeao. Le Conseil constitutionnel, dont le président est un ancien ministre de Blaise Compaoré, a proclamé l’élection de ce dernier.
Quels étaient exactement les problèmes avec la carte d’électeur ?
La loi précise que cette carte doit comporter un certain nombre de mentions. La classe politique, majorité comme opposition, voulait une carte biométrique, comme au Sénégal, mais cela n’a pas été possible. C’était donc un simple document, avec l’état-civil du porteur mais sans son lieu de naissance ni le bureau où il devait voter. C’est illégal. Pourtant, tout le monde l’a utilisé. Nous avons introduit un recours devant les tribunaux administratifs, qui ont reconnu que toutes les cartes étaient illégales.
Cependant, cela n’a pas provoqué de réaction dans la population…
La crise que traverse actuellement le pays est la cerise sur le gâteau qui prolonge les problèmes nés au moment de cette élection. Il y a un ras-le-bol dans le pays depuis dix ans déjà ; nous ne sommes que dans la continuité. La bavure de Koudougou a mis le feu aux poudres.
Pourquoi les militaires ont-ils été les premiers à réagir ?
Ce n’était pas les militaires, mais plutôt les étudiants et les élèves. Le mouvement s’est étendu car tout le monde a profité du tapage. C’est aussi ce que font les syndicats aujourd’hui : ils ont des revendications différentes de celles des étudiants et profitent de l’agitation de la rue pour les exprimer. Les militaires ont exprimé leur frustration, mais aussi la Garde présidentielle et ceux stationnés au Soudan et en Sierra Leone au titre des Nations unies, qui sont exploités par leurs chefs. Le résultat est que l’armée est divisée et que Blaise Compaoré n’a plus confiance en ses soldats.
C’est pour cette raison qu’il s’est proclamé ministre de la Défense ?
Oui, bien sûr. C’est aussi le retour à un État plus musclé. Je ne dis pas à une dictature, mais on assiste à la volonté de rétablir l’autorité de l’État en même temps que se manifeste une grande méfiance à l’égard les structures existantes. Il y a eu un grand chamboulement administratif. Les chefs les plus anciens sont, semble-t-il, restés fidèles mais cela n’a pas empêché Blaise Compaoré de se promouvoir à la tête de la structure, de façon à plus facilement les tester et les contrôler. On dit aussi que l’armée française est au Palais pour le protéger.
Comment un chef d’État qui n’a plus confiance en ses corps habillés peut-il imaginer pouvoir gouverner encore cinq ans ?
Nous comprenons que les tentatives de réformes engagées à travers le Conseil consultatif des forces politiques (CCFP) sont une fenêtre aménagée pour la sortie de Blaise Compaoré. Beaucoup de Burkinabè pensent qu’il vaudrait mieux qu’il parte maintenant, mais il y a trop d’inconnues. L’opposition est-elle capable de gérer le pays ? Ne va-t-on pas vers une catastrophe ? Et la crise ivoirienne a des implications directes sur le Burkina. Tout cela aboutit à la conclusion que l’on n’est pas prêt, mais qu’il faut que ce soit le dernier mandat au cours duquel chacun va se préparer à l’élection présidentielle de 2015.
Est-ce que l’espace politique s’ouvre ?
Oui, le CCFP est chargé de faire des propositions de réformes. Il est censé être composé également de membres de l’opposition, mais notre parti n’en est pas membre parce que nous avions exigé des préalables qui n’ont pas été acceptés. Nous voulions que soit dit clairement que c’était le dernier mandat de Compaoré. Ensuite, il fallait que le cadre soit neutre, consensuel et que ses décisions soient exécutoires. Par décret, ont été placés dans cette structure la mouvance présidentielle, les partis politiques de l’opposition, notamment l’Union pour la démocratie et le développement (UNDD) de Hermann Yaméogo, d’autres petits partis faisant office de remplissage et une société dite civile qui ne représente pas grand-chose au Burkina. Nous n’étions pas satisfaits de ces choix et avons décidé de ne pas participer.
Qui sont les opposants à cette concertation ?
C’est nous. Nous avons publié une déclaration disant que puisque le CCFP est présidé par un ministre d’État qui est en même temps membre du bureau politique du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti de Blaise Compaoré), il est par conséquent une structure du CDP. On aurait dû d’abord discuter de la forme et des attributions à donner au CCFP. On voit d’ailleurs la « main » du CDP dans les propositions qui sont faites : accorder l’amnistie totale à Blaise Compaoré, proposer un Sénat…
Il n’y a donc pas vraiment un cadre de concertation rassemblant toutes les forces de la nation ?
Non. Le CCFP va d’ailleurs émettre un certain nombre de propositions qui seront remises au chef de l’État. Ce n’est pas ce que nous voulions. Nous pensons que le pays traverse une crise profonde et structurelle et qu’il faut une transition. Hermann Yaméogo est également du côté de Blaise Compaoré, raison pour laquelle nous avons dénoncé cette structure. Nous estimons qu’elle est composée du président et de ses amis qui travaillent à lui créer une porte de sortie.
Comment peut se penser la transition ?
Si la crise avait persévéré et si nous avions pu créer une conjonction de la société civile, de l’opposition et de la majorité, comme ce que nous avions fait en 1998 avec le collectif des organisations démocratiques et des partis politiques, nous aurions exigé le « scénario tunisien ». C’est-à-dire qu’on aille vers la rédaction d’une nouvelle Constitution, sans le présent pouvoir mais avec une plate-forme où la société civile aurait eu son mot à dire. Toutes les préoccupations auraient pu être discutées dans ce cadre de transition.
Et quelle structure auriez-vous placée à la tête de l’État ?
Une autorité de transition, comme lors de la Conférence nationale. Le CCFP a fait une proposition qui va dans ce sens, qui a été validée dans les régions paraît-il, mais on ne sait pas exactement par qui. À terme, il faut proposer des assises nationales pour discuter du rapport du CCFP. Mais nous entrevoyons une manœuvre à la marocaine où, à la fin, on va dire que le peuple est souverain et qu’il décidera. Or si Blaise se voit conforter d’une façon ou d’une autre, il restera au pouvoir alors même que, parmi ses partisans, nombreux sont ceux qui pensent qu’il doit partir.
Savez-vous ce que les Burkinabè ont le plus à cœur ?
La stabilité, la paix mais à cause de l’échec du régime, qui ne fait pas face aux vrais problèmes, tout le monde ressent de l’injustice. Il y a des riches dans ce pays, mais ce sont toujours les mêmes. Quatre-vingt-dix pour cent de la population est pauvre.
Blaise Compaoré prépare-t-il quelqu’un pour lui succéder ?
Il préparait ! On a parlé de François Compaoré mais, à moins que ce ne soit une stratégie, ce dernier fait « profil bas » depuis février dernier. Cela dit, la Constitution prévoit qu’en cas de vacance du pouvoir, c’est le président de l’Assemblée nationale qui assure l’intérim pour soixante jours et organise l’élection. Aujourd’hui, c’est Christian Kaboré qui est à la tête de l’Assemblée.
Peut-on s’attendre à une vague de protestation, en Afrique subsaharienne, comme il y a eu en Afrique du Nord ?
Ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour. Cela dit, les forces politiques en présence se rassemblent et tentent de se restructurer. Mais la société civile est prudente. Elle exige les mêmes choses que nous, mais avec davantage de timidité donc nous ne pouvons pas envisager une action concertée.
Est-il exact de dire que ce sont les militaires qui ont le plus de moyens de se faire entendre ?
Bien sûr, parce que chez eux, ça « crépite » ! Mais le scénario nigérien n’a que peu de chance de prendre au Burkina car l’armée est, malgré tout, acquise au pouvoir. En revanche, s’il y a un soulèvement au niveau civil et politique, l’armée pourrait se révéler neutre ou même pactiser avec les révoltés car elle y verrait une opportunité. À l’heure actuelle, les chefs militaires sont méfiants, car le chef de l’État n’hésite pas à user du limogeage.
Au niveau politique et social, quelle est la situation ?
J’ai entendu dire que le Burkina allait avoir près de 7 points de croissance en 2011. Je pense que c’est faux. Le Programme de croissance accélérée soutenu par l’Union européenne a remplacé le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté mais rien n’est encore effectif. En disant, en 2010, qu’il voulait un Burkina émergent, Blaise Compaoré pensait faire croître les chiffres. Par conséquent, on essaie de montrer de bons résultats sur le plan économique mais c’est à mon avis assez cosmétique.
Si vous aviez le pouvoir, quelles seraient vos priorités ?
Nous mettrions l’accent sur les secteurs sociaux de base : réforme agraire et production nationale, comme le disait Thomas Sankara en 1987. Il faudrait amener les paysans à changer de mentalité et à se regrouper pour utiliser des machines agricoles en commun. Les meilleures terres sont aujourd’hui données aux édiles et les paysans se retrouvent avec les moins bonnes. Une réforme viendrait remettre de l’ordre. Il faudrait revenir par exemple à la production de sorgho, une culture vivrière, plutôt que de blé destiné à l’exportation. Nous remettrions également à l’ordre du jour les questions d’éducation, de santé, d’emploi et d’infrastructures. L’avenir du Burkina est entre ses mains, nous devons nous en souvenir.