La Cosatu et le Parti communiste s’inquiètent de leur avenir en tant que forces politiques historiques si la tendance droitière de l’ANC sort victorieuse de la crise politique actuelle.
Les positions radicales de l’ANCYL (organisation de la jeunesse de l’ANC) exprimée par son président réélu, Julius Malema, sur les nationalisations des mines, des banques et de la terre sans compensation ont secoué le monde des affaires, d’une part, et continue de provoquer les réactions des alliés de l’ANC. « On assiste à une montée significative du sentiment d’incertitude qui peut ou non se traduire par un risque », a déclaré Iraj Abdedian, de la Pan Africa Investment and Research au quotidien Mail&Guardian. « Le risque survient quand l’approche politique ne répond pas aux questions sociales. C’est alors que l’alternative d’options plus radicales apparaît. » Allant plus loin dans sa définition du risque, il ajoute : « Le risque est d’un ordre différent d’amplitude. Il ne s’agit pas des nationalisations mais de la stabilité politique et de la transition. Toutes ces incertitudes sont maintenant plus tangibles et occultent les autres. » La dissidence de la puissante ANCYL soutenue par certaines personnalités de l’ANC dont les objectifs sont moins que clairs, et sa volonté affichée publiquement, désormais, de faire élire son ex-président, Fikile Mbalula à la place de l’actuel secrétaire général Gwede Mantashe au cours du prochain congrès de l’ANC qui se tiendra avant les élections générales, fait craindre, en effet, un affaiblissement et des divisions au sein de l’organisation « mère » au pouvoir.
Selon Araj Abedian, l’incertitude réduit, également, la confiance dans les investissements, notamment les décisions à long terme qui exige un engagement important de capitaux. Pour Neren Rau, présisdent de la Chambre sud-africaine de Commerce (SACCI), ces déclarations auraient déjà nui à certains investissements qui auraient été reportés en attente d’une clarification de la situation. Pour répondre aux exigences de l’ANCYL exprimées déjà il y a plusieurs mois, l’ANC a procédé à une étude sur 12 pays dont la Zambie. La nationalisation trop hâtive des mines zambiennes a été un échec, expliquait, récemment, Maxwell Mwale, ministre zambien des Mines. De son côté La Business Unity SA (BUSA), la plus importante association concernant les affaires et les professionnels en Afrique du Sud, a demandé à l’ANC de clarifier la question des nationalisations le plus rapidement possible. En effet, la nouvelle stratégie économique adoptée par l’ANC, ou New Growth Path, vise à créer des partenariats entre le monde des affaires et le gouvernement afin de stimuler l’économie et d’atteindre un objectif de cinq millions d’emplois nouveaux d’ici 2020. La SACCI et BUSA ont décidé d’œuvrer à une position commune. L’association des banques sud-africaines a exprimé son inquiétude quant aux discours de Julius Malema mais « nous continuerons à nous engager aux côtés de l ’ANC et du gouvernement, a-t-elle déclaré, ajoutant, « Nous nous concentrons sur les institutions qui sont responsables de la politique de ce pays. »
De son côté, le Parti communiste sud-africain, membre de la Triple alliance, (avec l’ANC et la COSATU) a exprimé sa position par la voix de son secrétaire général Blade Nzimande, également ministre de l’Enseignement supérieur et de la Formation, à la tribune du Comité central de la confédération syndicale COSATU. Il y a fustigé « ceux dont l’intention est de sauver les éléments BEE (les hommes d’affaires et industriels noirs qui ont bénéficié de la politique du Black Economic Empowerment) en crise au lieu de défendre les intérêts des travailleurs et des pauvres du pays. » Il a rappelé que les nationalisations pour les nationalisations ne sont pas forcément une politique efficace et que le régime d’apartheid avait, lui aussi, comme Hitler, procédé à des nationalisations. Il a également, dénoncé « l’avant garde démagogue » qui gouvernait sous la présidence de Thabo Mbeki et a « trouvé un nouveau souffle, des ressources et son arrogance » et a assuré l’actuel secrétaire général de l’ANC Gwede Mantashe de son soutien, face aux attaques de l’ANCYL. Quant à Zwelinzima Vavi, le patron de la COSATU, bien que critique sur la politique de l’ANC qui a engendré des frustrations et des contradictions en son sein, il a, également assuré Jacob Zuma et Gwede Mantashe, dans la perspective des élections de 2012, du soutien de son organisation qui, avec ses 33 unions syndicales professionnelles, représente deux millions de travailleurs. « Actuellement, ceux qui font campagne pour le retrait des deux (Zuma et Mantashe) sont des éléments de la nouvelle classe des « tenderpreneurs » (les corrompus du pouvoir qui utilisent leur position pour obtenir des appels d’offre, comme ce fut le cas à grande échelle dans le cadre des marchés du Mondial 2010). S’ils réussissent leur coup, l’ANC telle que nous l’avons connue ne sera plus que de l’Histoire. » Zwelinzima Vali a cependant été très clair sur les responsabilité de l’ANC dans cette évolution. « Certaines actions de la direction de l’ANC ont eu tendance à la discréditer et l’ont placée inutilement en opposition avec la COSATU ». Il a rappelé l’exigence de la Confédération et du Parti communiste de voir l’ Alliance tripartite être le véritable « centre politique stratégique » pour mener la révolution nationale et démocratique et a demandé, une nouvelle fois, une discussion interne sur cette question avec l’ANC qui se considère comme le seul centre de décision politique. En réalité, à travers toutes ces déclarations unilatérales ou communes, à travers les critiques exprimées et les soutiens réitérés, la COSATU et le Parti communiste expriment une seule et même inquiétude : leur avenir en tant que forces politiques historiques si la tendance démagogique de droite de l’ANC dont Julius Malema est le représentant le plus virulent, sortait victorieuse de cette crise sérieuse et dangereuse.