Elle a été de toutes les luttes, de toutes les clandestinités, de tous les combats. Même dans l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, elle avait continué à prendre des responsabilité. Le pays entier la pleure.
Nontsikelelo Albertina Sisulu est décédée à l’âge de 92 ans, le 2 juin, entourée de ses petits enfants avec lesquels elle regardait la télévision. Celle que l’on avait coutume d’appeler Ma’Sisulu était considérée comme la véritable « mère de la Nation » sud-africaine.
Née dans le Transkei, le 21 octobre 1918, devenue infirmière dans les années 1940, elle avait rencontré en 1941 Walter Sisulu, dont le père était un « Blanc », détail important au pays de l’apartheid. A partir de là, il est impossible de séparer les destins de Ta’Sisulu et Ma’Sisulu. Deux années plus tard, Walter Sisulu – prolétaire – et ses deux complices avocats, Nelson Mandela – dont il est le mentor politique – et Oliver Tambo, fondent la Ligue de la Jeunesse de l’ANC et commencent à transformer l’organisation pour en faire un mouvement de libération. Walter devient le secrétaire général de l’ANC en 1949. Alors que le Parti communiste, interdit en 1950, se reconstruit dans la clandestinité, Walter Sisulu y adhère en 1955 et devient membre du Comité central en 1956. On trouve rarement cette information dans les biographies de Ta’Sisulu, car elle a été gardée secrète très longtemps. Ni, pour les mêmes raisons, celle selon laquelle il fut un pilier central du lancement de la lutte armée, avec la création d’Umkhonto-we-Sizwe (la « lance de la Nation »).
Sisulu est un homme brillant, un maître organisateur. C’est aussi un maître ès-unité qui réussit à réunifier le mouvement tout en l’élargissant à toutes les catégories de la population. Il redonne du souffle à la vieille organisation, née en 1912. Il prépare et lance la « Campagne de défiance », en 1952. A partir de cette date, il sera arrêté et emprisonné à de multiples reprises, jusqu’à sa condamnation à vie avec Nelson Mandela et les autres dirigeants de l’ANC, le 12 juin 1964, qui les envoie au bagne de Robben Island, au large de Cape Town. Ils y resteront vingt ans avant de passer cinq ans supplémentaires dans une prison du continent.
C’est dire dans quel climat et dans quel contexte Ma’Sisulu qui, depuis son plus jeune âge, fait preuve d’une force de caractère peu ordinaire, a construit sa vie de femme et de femme militante. Seule, elle élève ses cinq enfants (dont Max, qui est aujourd’hui président de l’assemblée nationale et Lindiwe, ministre de la Défense). Elle rejoint les rangs de la Ligue des Femmes de l’ANC et se lance dans la campagne pour la Charte des Libertés, puis, en 1956, elle s’illustre en manifestant aux côtés d’Helen Joseph et Sophia Williams-De Bruyn, deux militantes « blanches », contre l’imposition d’un passeport intérieur pour les femmes « noires » en application de la loi raciste sur la circulation des personnes. Bien sûr, elle échoue en prison, pendant trois semaines. C’est Nelson Mandela qui sera son avocat. Ma’Sisulu est de tous les combats. C’est la première femme arrêtée en 1963, au nom de la General Laws Amendment Act (ou 90 days law) qui donne à la police tous pouvoirs pour garder un suspect pendant quatre-vingt dix jours sans acte d’accusation. Elle est, ensuite, détenue en isolement total pendant deux mois, et, les années suivantes, passe son temps à entrer et sortir de prison avant d’être bannie du pays pour de longues années.
Mais il en fallait plus à Ma’Sisulu pour se décourager. Elle résiste et devient un membre stratégique de l’United Democratic Front (UDF), substitut légal de l’ANC interdite, qui rassemble la majorité de la population sud-africaine opposée à l’apartheid jusqu’à la victoire en 1994. Reçue par Margaret Thatcher et George H. Bush (père) en 1989, lors d’une tournée à la tête d’une délégation de l’UDF, elle accueillera son mari, Walter, à sa sortie de prison, en octobre 1989. Huit dirigeants de l’ANC retrouvent alors leur liberté dans le cadre des négociations discrètes entamées entre le régime d’apartheid dirigé par Frederik De Klerk et l’ANC. Ma’Sisulu est à ses côtés lorsqu’il organise, immédiatement, le premier meeting public de l’ANC, à Soweto. L’apartheid est en train de vaciller sérieusement. Un an plus tard, son « élève » et camarade, Nelson Mandela, est à son tour libéré. Ta’Sisulu et Ma’Sisulu, comme les appellent les Sud-Africains pour qui ils ont toujours été, sont et resteront des « géants » de l’humanisme et de la liberté, sont là pour l’accueillir. Ils auraient pu profiter de leur âge avancé et de leurs retrouvailles pour apprécier la nouvelle vie que leur offrait la nouvelle Afrique du Sud, démocratique et non raciste. Mais ce ne fut pas le cas. Walter est élu vice-président de l’ANC dès 1991. Albertina, elle, siège à l’Assemblée nationale. Ils continuent le combat. Jusqu’à la mort de Walter, en 2003. « Mama Sisulu est restée l’humilité personnifiée. Elle a résisté à la tentation de devenir une célébrité en politique », écrivait le quotidien The Star, au lendemain de sa mort. « Nous mettons nos drapeaux en berne en hommage à la sage-femme de l’Afrique du Sud libérée, d’une vraie Mère de la Nation », ajoutait le journaliste, exprimant un sentiment totalement partagé par la population sud-africaine. C’est un fait qu’en Afrique du Sud, Albertina Sisulu a toujours été considérée comme une sorte de « trésor national », discrète, humaine, humble et terriblement efficace. Plus encore, « L’Afrique du Sud restera éternellement reconnaissante et débitrice envers ce pilier de la libération, une force centrale pour l’ensemble du mouvement de libération dont elle a élevé, conseillé, materné et éduqué la plupart des leaders », a déclaré Jacob Zuma, le président sud-africain. « Elle ne nous a pas seulement donné une direction politique, mais elle a également servi de figure maternelle à tous les militants », a ajouté l’ANC. « Colosse », « géant », « trésor », « merveille », « maman », « sage-femme de la Nation », oui, c’est bien d’Albertina Sisulu que nous parlons…..Bon voyage, Ma’.