L’institution n’était pas du tout préparée à la brusque disparition de son directeur général, alors même qu’il était possible qu’il démissionne avant la fin de son mandat, pour cause de campagne électorale en France.
Après la démission de son Managing Director, Dominique Strauss-Khan, empêtré dans une affaire de viol, le FMI se trouve en pleine tempête. Décapité à sa tête par l'homme qui a été à l'origine de son retour en force est parti préparer sa défense dans une affaire qui a laissé beaucoup sans voix, le FMI doit rapidement se trouver un nouveau patron car les prochaines semaines et les prochains mois s'annoncent décisifs. En effet la crise n'a pas dit son dernier mot avec l'aggravation de la crise des dettes souveraines en Grèce et ailleurs en Europe. Certes, beaucoup d'observateurs et d'hommes politiques ont souligné que le FMI est une grande institution internationale avec des fonctionnaires compétents et professionnels et qui ne souffrirait pas de l'absence de son numéro un. D'autres ont souligné que le pouvoir du Directeur général est finalement limité car, comme dans toutes les institutions, c'est le Conseil d'administration qui détient le véritable pouvoir au sein du FMI. N'empêche que ceux qui connaissent les institutions internationales savent le rôle important qu'occupent les premiers responsables et les patrons dans ces organismes. Certes, leur rôle dans la gestion quotidienne n'est pas fondamental. Leurs adjoints et collaborateurs assurent le fonctionnement efficace de ces institutions et leur rendent compte. Cependant, la présence de ses premiers responsables est essentielle dans la mesure où c'est eux qui élaborent les grandes visions et les grandes orientations de ces institutions et souvent lui insufflent le sang neuf dont elles ont besoin pour redéfinir leurs mandats et leur rôle dans le monde global.
Le FMI, une institution en perdition.
C'était le cas lors de l'arrivée de Dominique Strauss-Khan, l'ancien MD comme on dit à Washington pour parler du patron du Fonds. A son arrivée le 1er novembre 2007, le FMI était une institution exsangue et à bout de souffle. Tout d'abord, les différents pays avaient déserté le fonds et ses conditionnalités trouvant dans les marchés financiers des lieux moins exigeants pour répondre à leurs besoins de financement et trouver les capitaux nécessaires pour financer leurs projets d'investissements. Beaucoup de pays avaient remboursé par anticipation leurs prêts au FMI, provoquant un important manque à gagner pour les recettes du Fonds. Mais, plus globalement les pays en développement ne faisaient plus appel au Fonds mais se dirigeaient vers les marchés internationaux de capitaux pour trouver les capitaux nécessaires à leurs besoins. Du coup, le Fonds n'avait que 20 milliards de crédits en cours et l'exercice 2007 s'était terminé pour la première fois de son histoire de manière négative avec un déficit ayant atteint 220 millions de dollars.
Mais, plus que les difficultés financières, le FMI est devenu une institution discréditée dans le monde en développement après des années d'ajustement. Il faut rappeler que le FMI a été créé par les accords de Bretton Woods au lendemain de la seconde guerre mondiale et a eu pour objectif d'aider les pays à gérer leurs grands équilibres macroéconomiques et plus particulièrement leurs équilibres externes dans un contexte de fixité des taux de changes. Or, cette situation va totalement changer à partir du début des années 1970 avec l'abandon de la fixité des taux de changes et l'adoption de la flexibilité des taux de changes et la libre fluctuation des monnaies nationales. Par conséquent le fonds qui avait pour rôle de superviser les fluctuations des monnaies et d'aider les pays en crise se trouve marginalisé et commence à se chercher un nouveau mandat. Cette quête d'un nouveau rôle durera tout au long des années 1970 et le FMI sera une institution en pleine déperdition tout au long de la décennie.
Cette situation va globalement changer au début des années 1980 et le FMI va revenir au centre de la scène internationale. C'est au moment de la grande crise de la dette qui a commencé en 1982 avec le défaut de paiement du Mexique que le Fonds va retrouver un rôle et un nouveau mandat sur la scène internationale. Il faut dire que cette crise a failli emporter avec elle les grandes banques internationales qui étaient impliquées dans la dette des pays en développement. Les pays développés avaient alors mis en place une stratégie de gestion de la crise de la dette et avaient donné aux institutions sœurs de Washington, le FMI et la Banque Mondiale, la latitude de la gestion de cette crise. Ces institutions seront alors les gendarmes de la crise de la dette et vont définir ce qu'on a appelé dans les années 1980 et 1990 "le consensus de Washington" qui est un ensemble de recettes néo-libérales en matière de politique économique, dont l'objectif est de rétablir les grands équilibres macroéconomiques. Ce consensus théorique va se traduire de manière concrète dans des programmes de réformes économiques appelés les programmes d'ajustement structurel qui seront imposés par les institutions de Bretton Woods à la plupart des pays en développement et particulièrement ceux qui sont en train de renégocier leurs dettes ou de la rééchelonner. Ces réformes cherchent à réduire le rôle de l'Etat au profit du marché, à réduire ses dépenses sociales notamment en matière de subvention aux produits de base et d'une plus grande libéralisation des échanges extérieurs. Ces programmes vont avoir de faibles résultats économiques de l'avis même de ces institutions aujourd'hui. D'ailleurs, Dominique Strauss-Khan a déclaré quelques jours seulement avant ce scandale, le 4 avril 2011, devant les étudiants de l'Université de Washington que "le consensus de Washington est derrière nous". Mais surtout les préceptes du FMI ont été à l'origine d'une explosion sans précédent de la pauvreté dans les pays en développement et d'une grande contestation du rôle des deux institutions sœurs de Washington non seulement de la part des institutions de la société civile mais aussi d'un nombre de plus en plus croissant de gouvernements et de pays en développement.
En 2007, en arrivant à la tête du FMI, Dominique Strauss-Khan va trouver une institution en pleine crise et fortement décrédibilisée. Il va s'employer à revigorer cette institution et à lui donner un sang nouveau et une nouvelle orientation. L'opération sauvetage du FMI va alors commencer par la restructuration de ce paquebot ivre de 4000 fonctionnaires. Ainsi, il va préparer un plan social, à l'image de ceux que l'institution proposait aux pays en développement, pour un départ négocié pour 591 fonctionnaires. Il va aussi vendre de l'or pour renflouer les finances. Cependant, ces mesures ne parviennent qu'à stabiliser une institution exsangue et ne réussissent pas à la relancer définitivement.
La crise globale et le retour en force du FMI.
C'est la grande crise financière de 2008, comme celle de la dette en 1982, qui va relancer le FMI et lui donner un rôle majeur dans le sauvetage du système international. Le Sommet du G20 à Londres en avril 2009 va donner ce rôle au FMI et en fera le véritable organe de gestion de la crise en mettant à sa disposition 750 milliards de $ pour venir en aide aux pays en faillite. D'ailleurs, Dominique Strauss-Khan ne s'y trompe pas et annonce dès la fin de ce sommet que "the IMF is back" (le FMI est de retour). Mais, le rôle de Dominique Strauss-Khan sera surtout important en donnant au Fonds un tournant keynésien et en le libérant du carcan néo-libéral dans lequel il s'est enfermé depuis le tournant des années 1980. Dans cette œuvre, il fera appel à Olivier Blanchard, universitaire respecté, qui sera l'économiste en Chef de l'institution et qui l'aidera à opérer ce virage keynésien pour cette institution. Alors, les choix de politique économique vont totalement changer. Dans les nouvelles prescriptions, le Fonds appellera à un retour des politiques de relance alors qu'il y était opposé par le passé. Il défendra un desserrement des politiques monétaires et considèrera que l'inflation n'est pas le mal absolu comme il le disait par le passé. Le FMI n'hésitera pas aussi à dédramatiser les déficits budgétaires alors qu'il en faisant le cœur de ses politiques et de ses programmes d'ajustement structurel. Il n'est plus opposé au contrôle de l'entrée des capitaux alors qu'il exigeait des pays en développement à ouvrir leurs frontières par le passé en contrepartie de son appui financier. Dominique Strauss-Kahn appelait de toutes ses forces à une nouvelle régulation des marchés financiers alors que le FMI défendait par le passé la libéralisation des marchés. Il faut également souligner le rôle joué par Dominique Strauss-Khan pour changer la gouvernance du fonds et pour donner aux pays émergents une place plus importante. La Chine est désormais le pays le plus important dans le Conseil d'administration après les Etats-Unis. C'est une véritable révolution que le FMI a opéré sous la direction de son ancien Managing Director. C'est ce qui explique l'attachement de beaucoup de responsables et de fonctionnaires de cette institution à ce que beaucoup déjà appellent comme l'âge d'or du fonds.
Certes, certaines critiques persistent et beaucoup n'hésitent pas à dire que le FMI a continué à appliquer les mêmes politiques que par le passé et que l'ajustement structurel n'a jamais disparu. Ces critiques mettent l'accent sur les politiques recommandées par le FMI et l'UE dans les pays européens en pleine crise des dettes souveraines comme la Grèce, l'Irlande ou le Portugal. Mais, d'autres soulignent le rôle essentiel qu'il a pu jouer pour convaincre les pays réfractaires comme l'Allemagne pour venir en aide aux pays endettés et sauver ainsi la zone euro.
Quel FMI après DSK ?
Il est clair que le FMI occupe aujourd'hui une place importante. Pour ces raisons le choix du successeur de Dominique Strauss-Khan est une question politique majeure. La course à la nomination du prochain Directeur général du FMI est ouverte et l'Europe cherche déjà à se placer pour garder ce poste. Pour cela, l'Europe affute ses arguments et prépare des candidats de choix. D'abord, l'Europe souligne que ce poste lui revenait depuis les accords de Bretton Woods comme celui de la Banque mondiale revient aux Etats-Unis. Le second argument est que le centre de gravité de la crise actuelle est passé en Europe avec le renforcement des crises des dettes souveraines et que l'Europe sera le premier champ d'action de cette institution. Du coup, il faudrait avoir un européen de haut niveau et rompu aux enjeux et aux défis des pays européens. Par ailleurs, la familiarité du nouveau Directeur général du Fonds des arcanes de la diplomatie européenne et sa connaissance des principaux dirigeants européens ne pourrait que l'aider dans la négociation de cette phase difficile pour l'avenir de la zone euro. Et, les candidats européens ne manquent pas. De Gordon Brown, qui n'a pas le soutien du gouvernement Cameron, à Christine Lagarde, qui en dépit des risques de l'ouverture d'une enquête judiciaire dans l'affaire Tapie dispose de plus en plus du soutien des dirigeants européens, les candidats de valeur ne manquent pas.
Mais, les autres pays laisseraient-ils ce rôle à l'Europe et seraient-ils d'accord avec la reconduction de cette vieille règle non écrite héritée de Bretton Woods. Pour l'instant, les Etats-Unis qui étaient les premiers à appeler par la voix de leur Secrétaire au trésor, Timothy Geithner, à trouver un remplaçant à Dominique Strauss-Kahn n'ont pas exprimé une hostilité particulière à cette idée et seraient prêts à appuyer un candidat européen. Cette position s'explique d'autant plus que les américains souhaitent avoir l'appui des européens lors du choix du prochain président de la Banque Mondiale et qu'ils espèrent qu'il soit américain en conformité avec la règle de Bretton Woods.
Or, ce semblant de consensus est rejeté de manière énergique par les pays émergents. D'abord, ces pays estiment qu'il est temps de rompre avec ces accords hérités du passé et qui ne reflètent plus les réalités de l'économie globale d'aujourd'hui. En effet, s'il était compréhensible, que les Etats-Unis et l'Europe se partagent à la sortie de la seconde guerre mondiale la présidence des grandes institutions internationales, cet accord n'est plus pertinent au vu de l'évolution des rapports de force et de la place forte qu'occupent aujourd'hui les pays émergents. Les pays émergents estiment que la présidence des institutions de Bretton Woods doit obéir à la règle de quotat géographique comme c'est le cas pour toutes les autres institutions internationales, notamment les Nations Unies, et ne doit plus revenir de droit à un ressortissant européen ou américain. Pour les pays émergents, la question de la présidence des institutions de Bretton Woods doit être plus ouverte et revenir à des personnalités compétentes indépendamment de leurs origines géographiques. Cette question est significative de la volonté des pays développés à opérer une véritable réforme de la gouvernance globale et de son ouverture aux pays émergents.
Par ailleurs, les pays émergents réfutent l'argument utilisé par les européens et qui soulignent que comme l'agenda du FMI dans les prochains mois et les prochaines années sera dominé par les questions européennes, sa présidence doit revenir à un européen. Pour les pays émergents, la crise asiatique dans les années 1990 comme la crise de la dette des pays africains dans les années 1980 n'ont pas été à l'origine de l'avènement à la tête du FMI de responsables asiatiques ou africains qui connaissent mieux les réalités spécifiques de ces régions. Par ailleurs, les pays émergents avancent un autre argument et considèrent, contrairement aux européens, que l'importance des crises européennes dans l'agenda du FMI doit justifier la nomination d'un non-européen qui aurait moins de pressions et une plus grande neutralité à gérer les problèmes d'une région dont il n'est pas originaire. Et, là les candidats de choix ne manquent pas du Sud-africain Trévor Manuel au singapourien Tharman Shanmugratnam et bien d'autres candidats de valeur, les pays émergents ont montré qu'ils disposent de personnalités de premier plan capables de gérer cette institution internationale.
Le Conseil d'administration du FMI vient de fixer la procédure ainsi que les délais pour la désignation du prochain Directeur général. D'après ce calendrier, le FMI sera fixé sur le nom de son prochain parton au plus tard le 30 juin 2011. D'ici là c'est une bataille de grande envergure qui va opposer les européens aux pays émergents pour le choix du prochain Directeur général. Le résultat de cette bataille nous montrera si nous sommes rentrés dans une ère post-Bretton Woods en matière de gouvernance globale, ou si cet accord continue à gérer notre monde! A moins que l'on s'oriente vers une solution de compromis et plusieurs noms commencent à circuler dans ce sens. Mais, aussi et au-delà du choix du prochain parton, son profil et ses orientations économiques sont aussi importants car ils nous renseigneront également sur le prochain consensus qui va guider l'action du FMI dans les prochaines années. Maintien du consensus keynésien, certes mou, mais pragmatique en vigueur pour consolider le retour de la croissance, comme l'a fait la Réserve Fédérale aux Etats-Unis, ou retour au monétarisme pour lutter contre le retour de l'inflation, comme l'indique les choix récents de la Banque Centrale européenne qui pourrait enfoncer l'économie mondiale dans la déflation? Le choix du prochain directeur général du FMI n'est pas seulement une guerre de personnes mais c'est aussi le choix d'une vision pour sortir de la crise actuelle.
Hakimbenhammouda.typepad.org