Alors que cinq millions de personnes parlent l’arabe en France, son apprentissage à l’école reste peu développé, notamment dans le secondaire, au grand dam des spécialistes qui craignent que ce déficit ne profite à des enseignements plus communautaires ou religieux. A l’honneur du salon Expolanguesà Paris, l’arabe est, après le français, la deuxième langue usuelle en France où « la tradition d’enseignement de l’arabe date de Colbert », selon Luc Deheuvels, vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Aujourd’hui, vingt-deux universités et la quasi-totalité des grandes écoles l’enseignent, indique-t-il. Mais c’est plus tôt que le bât blesse. Si chaque année 5 000 candidats choisissent l’arabe au bac, seulement 6 178 élèves l’apprenaient dans le secondaire en 2009, soit 1% des effectifs, selon le ministère. Dans le primaire, l’apprentissage est pris en charge depuis 1980 par l’Enseignement de langue et culture d’origine (Elco), qui propose des cours par des professeurs algériens, marocains et tunisiens, payés par leur pays. Quelque 40 000 enfants profitent de ce dispositif, critiqué par ailleurs pour ses méthodes pédagogiques souvent décalées et son caractère communautaire.
Dans le secondaire « on a une carence de l’institution », affirme Bruno Levallois, inspecteur général de l’Éducation nationale. Seulement 217 établissements proposaient un enseignement d’arabe en 2010-2011, avec seulement 218 professeurs, alors que le Capes d’arabe a été supprimé en 2011. Le ministère justifie ce choix par le sous-emploi de certains enseignants. « Les rectorats refusent depuis plusieurs années toute ouverture de postes budgétaires en arabe », selon M. Levallois. Les chefs d’établissement ferment des sections en évoquant un nombre d’élèves insuffisant, regrette Moktar Elgourari, membre de l’Association des professeurs de langues vivantes (APLV). Selon lui, « l’argument économique prime sur l’argument culturel. On applique à l’arabe les mêmes règles comptables que pour l’anglais ou l’espagnol ». « L’arabe se trouve bousculé par le développement massif de l’anglais », mais pâtit aussi de « l’image brouillée » qu’il véhicule « entre barbus et femmes voilées », ajoute M. Deheuvels.
Autre handicap, « le passif de la colonisation », notamment dans les académies du sud de la France, estime M. Levallois. Pour Smail Chafaï, de l’Institut du monde arabe (IMA), « il y a une résistance des chefs d’établissement alors même que la demande existe, y compris chez les non arabisants ». Au final, tous dénoncent « l’absence de politique volontaire » du gouvernement, avec pour conséquence de renvoyer une partie des élèves potentiels vers le secteur associatif ou les mosquées. Selon plusieurs sources, environ 60 000 personnes sont concernées. Le 2 février, le ministre français de l’Éducation, Luc Chatel, a annoncé l’ouverture de nouvelles sections internationales et de langues orientales en arabe à la rentrée, pour que cet enseignement ne soit pas « cantonné (…) aux élèves issus de l’immigration ».
Une initiative saluée par Afifa Zayadi, représentante de l’Alecso (Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences) en France : « Il ne faut pas encourager les gens à se tourner vers les associations et les mosquées où l’on ne peut pas contrôler l’apprentissage », dit-elle. « Il vaut mieux apprendre l’arabe dans un cadre laïc et institutionnel, que de laisser cet enseignement aux mains de gens que l’on ne maîtrise pas », insiste M. Elgourari, le professeur d’arabe qui, comme les autres, voit dans les mouvements de contestation qui secouent actuellement le monde arabe une source d’intérêt pour l’apprentissage de la langue.