Décembre 2009. Google, Adobe et quelques autres acteurs majeurs du web sont la cible d’une attaque informatique. Ni l’origine de cette cyber-attaque ni les cyber-pirates ne sont clairement identifiés.
Les cibles visées, toutefois, sont éloquentes : les boîtes mails de militants des droits de l’homme chinois. Les soupçons se portent naturellement vers les services de renseignement chinois. À la surprise générale, le leader mondial Google monte l’affaire en épingle. Le 12 janvier 2010, la firme californienne annonce que, dans de telles conditions, elle ne peut plus travailler en Chine. Pavé dans la cyber-mare chinoise, Google s’apprêterait à ne plus censurer son moteur de recherche. Or la loi chinoise du web bannit non seulement la pornographie, mais elle expurge surtout la Toile de tout ce qui peut nuire à « l’harmonie sociale » promise par Beijing. Ainsi, l’internaute chinois qui fait des recherches sur la répression de Tiananmen ne tombe que sur des cartes postales de la place, où toute mention des événements de 1989 a disparu.
Beijing n’a pas tardé à répondre à l’offensive de Google : « L’accusation selon laquelle le gouvernement chinois a participé à une cyber-attaque, de manière directe ou indirecte, est sans fondement et n’est destinée qu’à dénigrer la Chine. » Rappelant que toute entreprise désirant exercer en Chine doit se conformer à la loi. La réaction de Beijing était évidemment des plus prévisibles. À tel point qu’on se demande, dans cette « guerre froide » version 2.0, quelle mouche a piqué Google… Car l’enjeu financier pour la compagnie américaine est important : son moteur de recherche réalise 30 % des requêtes chinoises et a un chiffre d’affaires estimé entre 300 et 600 millions de dollars en Chine. Lors de son implantation dans ce pays en 2006, Google s’était engagé à respecter les lois chinoises, à autocensurer son moteur de recherche. Le géant mondial est coutumier de ce genre d’arrangements locaux. En France et en Allemagne, les sites néonazis sont interdits, en Thaïlande les sites jugés offensants à l’égard de la monarchie bloqués.
Alors pourquoi son coup de sang en Chine ? Une explication publicitaire est possible. Cette action ne serait pas tant destinée à défendre la liberté d’information en Chine qu’à montrer une image diamétralement opposée à celle qui entache la firme, celle d’un Google « big brother » enregistrant et conservant toutes les données sur la Toile. La firme américaine a dû se souvenir de la mauvaise réputation qu’avait traînée Yahoo, qui avait livré en 2006, sur ordre express de la police, les coordonnées d’un dissident chinois.
Le 22 mars, le clash entre le leader mondial et Beijing est devenu effectif. L’adresse google. cn n’a plus été censurée mais automatiquement redirigée vers google. com. hk. En effet, en vertu du principe « d’un pays, deux systèmes », Hong Kong n’est pas soumise à la censure. Mais le gain obtenu par Google pour cette posture n’est pas évident. Avec 400 millions d’internautes, la Chine est déjà le premier marché mondial du web et les perspectives commerciales sont alléchantes. Si bien que, à la veille du renouvellement de sa licence le 1er juillet, le géant du web a fait volte-face. Google. cn ne redirige plus automatiquement les internautes vers son site de Hong Kong et se contente de suggérer un lien vers google. com. hk. Satisfaite, Beijing a renouvelé la licence le 9 juillet.
Moralité : Google a beau détenir les deux tiers du marché mondial des recherches sur la Toile et avoir réalisé un chiffre d’affaires de 23,65 milliards de dollars en 2009, le géant de l’informatique n’est pas en mesure d’ébrécher sérieusement la grande muraille numérique.