Il est des signes qui ne trompent pas : avec l’élection de Barack Obama à la tête de ce que Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères français, avait qualifié d’« hyper puissance », l’Empire américain vacille. Ce déclin, il faut bien l’admettre, ne date pas de cette élection.
Il avait été entamé bien avant. Paradoxalement, c’est au plus fort moment de la manifestation de cet unilatéralisme aveugle et improductif que la super puissance laissait deviner son… impuissance. Enivrés par l’effondrement de l’Union soviétique, qu’ils ont considéré à tort comme « leur » victoire mais qui était, en réalité, dû principalement à des facteurs endogènes, les États-Unis se sont crus le seul gendarme du monde et se sont comportés comme tel. Ils ont réussi, depuis l’opération « Tempête du désert » contre l’Irak (1991), à transformer le système onusien en annexe au Département d’État. Le Conseil de sécurité de l’Onu était devenu une simple chambre d’enregistrement des desiderata américains.
Le réveil fut dur avec le 11-Septembre. Blessée dans son orgueil, instrumentalisée par une bande de néo-conservateurs, l’« hyper puissance » et, à sa tête, G. W. Bush, le président le plus mal élu de son histoire, s’engage dans une folle fuite en avant. Avec l’invasion de l’Afghanistan, suivie par celle de l’Irak, ils se voient attirés dans un piège meurtrier et de surcroît très coûteux, estimé par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz à 3 000 milliards de dollars ! À l’impuissance stratégique, s’est s’ajoutée une déconfiture financière et économique en gestation.
Pendant que l’administration Bush se débattait dans les bourbiers afghan et irakien, jouait au pompier pyromane en Palestine, au Liban et en Syrie, menaçait le régime des ayatollahs iraniens en même temps qu’il leur offrait l’Irak, un pays séculier, sur un plateau, elle n’a pas vu la montée en puissance, sur la scène internationale, de nouveaux groupes contestant leur unilatéralisme injustifié et injustifiable. Tel est le cas du très discret mais néanmoins puissant groupe de Shanghai, né en 2001 et composé de la Russie, de la Chine, du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan.
C’est également le cas des quatre pays à forte croissance désignés sous le diminutif de Bric, correspondant aux initiales du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine.
Récemment encore, un autre regroupement a fait parler de lui : le G15, dont le 14e sommet a eu lieu le 14 mai dernier à Téhéran (Iran). Créé en 1989 à Belgrade, lors du 9e sommet du Mouvement des non-alignés, le G15 regroupait à l’origine quinze pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique – aujourd’hui dix-huit. Son 13e sommet s’est déroulé à La Havane, la capitale cubaine. Son ambition est de s’opposer à l’unilatéralisme. La preuve : en marge du 14e sommet, deux pays émergents, le Brésil et la Turquie, soutenus par l’Algérie, ont contrarié le jeu des puissances occidentales en s’interposant comme de sérieux acteurs sur le dossier brûlant du nucléaire iranien.
En Afrique aussi, les ingérences occidentales sont de plus en plus contrées par les pays africains eux-mêmes. On comprend pourquoi l’arrivée de la Chine et de l’Inde sur le continent, malgré son côté mercantile, est de nature, à terme, à modifier la stratégie des anciennes puissances coloniales.
Tenant compte de cette évolution irréversible, Barack Obama en a pris acte dans son discours à l’Onu, en septembre 2009 : « Ceux qui ont l’habitude de réprimander l’Amérique pour son action solitaire dans le monde ne peuvent aujourd’hui rester de côté et attendre que l’Amérique résolve seule tous les problèmes du monde. Il est désormais temps pour chacun d’entre nous de prendre sa part de responsabilité dans la réponse globale aux défis mondiaux. »
C’est sans doute faire de nécessité vertu. En abandonnant l’unilatéralisme, le président américain fait le constat de son échec. Non seulement cette politique a jeté le discrédit sur la démocratie américaine, mais elle en a aussi cultivé une image repoussante.
Obama réussira-t-il à corriger le tir et à apprendre sincèrement le jeu du multipartisme ? Ses déclarations d’intention seront-elles traduites dans les faits ? La réponse est sans doute à chercher dans ses prochaines actions dans les mois à venir en Palestine, Irak, Iran, Afghanistan, mais aussi au Soudan et en Somalie. En attendant, l’unilatéralisme américain a certes perdu de son mordant, mais n’est pas encore mort. Il dépend des acteurs montants du Sud, de leur pugnacité et de leur autonomie d’action d’en hâter le dépérissement.