Si la procédure pour la nomination d’un présidentiable à la Maison-Blanche débute officiellement avec le caucus d’Iowa de février, la course à la candidature a bel et bien commencé. Les tensions actuelles chez les républicains rappellent les débats houleux de la Chambre des représentants après les élections de mi-mandat de novembre 2010. Les conservateurs voient notamment d’un mauvais œil la popularité croissante de leurs concurrents populistes et extrémistes du Tea Party.
L’ancien gouverneur du Massachusetts, Mitt Romney, candidat malheureux à l’investiture de 2008, a été logiquement – et brièvement – considéré comme le favori du parti. Né dans une famille patricienne du Michigan où son père était lui-même gouverneur, ce mormon (1) n’est pas apprécié par les radicaux du Tea Party et autres évangélistes qui lui reprochent d’être né avec une cuillère en argent dans la bouche et … d’avoir installé dans son État un système d’assurance santé relativement proche de la réforme défendue par Barack Obama. À 64 ans, ce conservateur estime au contraire que sa « pondération », susceptible de séduire les modérés et les indépendants, pourrait être un avantage contre le président. Sur les questions économiques, Romney se montre bien moins tempéré, comme en témoigne cette déclaration tonitruante : « Ce siècle doit être un siècle américain où l’Amérique dirige le monde libre et le monde libre dirige le monde entier. » À chacun ses fantasmes…
Changement de décor. Le 13 août dernier, le gouverneur du Texas Rick Perry, 61 ans, extrémiste notoire, est entré dans la course, à la grande satisfaction des Tea Partiers. Son manifeste, Fed Up !, publié en 2010, donne à voir sa conception du pays. Perry entend abroger le 16e amendement de la Constitution qui a installé l’impôt fédéral (une horreur, selon lui) et redistribué les richesses du pays. Il s’en prend également au 17e amendement qui a institué l’élection directe des sénateurs, ainsi qu’au New Deal de Franklin Roosevelt, reprochant à ceux-ci de nuire à l’influence des États sur le gouvernement fédéral. Il désapprouve la Sécurité sociale qu’il compare à un « Ponzi scheme » – le système d’escroquerie utilisé par Bernard Madoff – et le Medicare (assurance maladie des plus de 65 ans), affirmant que ces deux programmes, pourtant très populaires, sont anticonstitutionnels. Il est un fervent défenseur de la peine de mort : depuis qu’il est gouverneur, 235 détenus ont été exécutés au Texas, un record dans le pays. L’homme nie toute idée d’évolution (il est créationniste) et ne croit pas au réchauffement climatique, « une théorie non prouvée scientifiquement ». En avril dernier, alors que le Texas connaissait une grande sécheresse, il a organisé trois jours de prière pour que la pluie tombe. Début août, des millions de personnes ont répondu à une autre invitation de ce type, afin que Dieu aide les politiciens à régler les problèmes du pays. Ses inepties sont telles que nombre de citoyens ont promis de quitter le pays si cet homme passait un jour la porte de la Maison-Blanche.
La grande fierté de Rick Perry tient à ce qu’il appelle, en toute modestie, le « miracle texan ». Alors que le pays souffre cruellement du chômage, il soutient que le Texas a créé 1,2 million d’emplois pendant les dix ans de son administration. Un vrai créationniste ! En vérité, ces emplois sont des jobs précaires, à mi-temps ou partiels. Les salaires sont au Smic, sans assurance santé. Il n’y a pas de sécurité de l’emploi ni de véritables droits syndicaux. Au cours de ces dix ans, le Texas a enregistré plus de smicards que n’importe où ailleurs. En matière d’emplois, il se situe à la 26e place, après New York, le Massachusetts et d’autres États dont le gouverneur aime se moquer. Pire, le Texas n’embauche pas assez pour sa population croissante : il lui faudrait inventer 629 000 nouveaux postes pour arriver au strict nécessaire ! Cette région si riche en ressources naturelles égale désormais le Mississippi en termes de pourcentage d’ouvriers réduits à la pauvreté. Le plus haut du pays. Bravo, Rick !
La position de Perry sur l’immigration mexicaine, jugée ouverte, l’a mis en porte à faux avec ses fans du Tea Party, mais le gouverneur les a rapidement « rassurés » : s’il s’est pris d’« affection » pour cette population sous-entend-il, c’est parce qu’elle est connue pour travailler pour presque rien ! Autre « affaire » qui a défrayé la chronique : le Washington Post a publié en une un article rappelant que le camp de chasse de la famille Perry avait été surnommé « Niggerhead » (« Tête de nègre »), inscrit tel quel sur une pierre à l’entrée. Le gouverneur a répondu que cette épithète avait été effacée depuis des années.
En dépit de toutes ces insanités, Rick Perry est devenu le favori des républicains, laissant loin derrière Mitt Romney, ou même Michele Bachmann, ancienne coqueluche des néoconservateurs. Nombre de politiciens pensent réellement qu’il peut gagner l’investiture… et même la présidence. Ses meilleurs supporters ? Ceux qui rejettent les deux partis même si le gouverneur, considéré comme le meilleur collecteur de fonds du parti, profite allègrement des donations en millions de dollars de l’establishment républicain. Le sous-titre de son livre Fed Up ! est :Our Fight to Save America from Washington (« Notre combat pour sauver l'Amérique de Washington »). Ceux qui le lisent devraient à l’évidence le réécrire sous cette forme : Saving America from Rick Perry !
Pour l’heure, sa position de favori le force à affronter les adversaires de son propre camp. Or, l’histoire a déjà démontré que les leaders ne sont jamais à l’abri d’un retournement de situation, surtout en période de campagne présidentielle. Lors d’un débat avec Romney, son « miracle texan » a été ridiculisé. D’autres chambardements sont à prévoir. Après une longue attente, Sarah Palin, ancienne candidate à la vice-présidence avec McCain en 2008 et égérie des Tea Partiers, a finalement annoncé qu’elle ne sera pas candidate. Hors concours également, Chris Christie, gouverneur du New Jersey, qui a suggéré du même coup qu’il fallait fermer la porte à toute nouvelle candidature.
Enfin, rebondissement de taille, l’entrée en scène de Herman Cain, directeur de la chaîne Godfather’s Pizza, et seul candidat africain-américain républicain. Cain, qui n’a pas apprécié les relents racistes de « l’ami » Perry, ne cesse de le critiquer pendant ses conférences et ses shows télévisés. Cet homme d’affaires qui oscille entre populisme enflammé et propositions plus concrètes (tel son « plan 9-9-9 » pour réformer la fiscalité) a de plus en plus d’influence. Sa victoire lors d’un récent vote blanc en Floride a donné la mesure de sa capacité à attirer les foules. Son livre paru récemment, This is Herman Cain !, est rapidement devenu un best-seller.
Si les républicains veulent un évangéliste à leur tête, le choix est déjà multiple. Mais, d’ici à novembre 2012, ils auront tout le temps de chercher à quel saint se vouer.
(1)Deux des candidats républicains sont mormons, Mitt Romney et Jon Huntsman. Pour beaucoup de chrétiens américains, en particulier la frange évangéliste – qui représente près de la moitié des électeurs lors des primaires républicaines –, le mormonisme n’est pas une religion, mais un « culte ». Un commentateur influent a eu ce bon mot : « Votez pour Romney, c’est comme voter pour Satan ! »