« Ils n’en ont pas parlé. » Incrédule je demande des précisions à Srey Poeuv. « Non, ni le tsunami, ni les problèmes de la centrale nucléaire de Fukushima n’ont été mentionnés aux informations. » Trois jours après le plus grave tremblement de terre que le Japon ait connu, les médias cambodgiens ont tout simplement ignoré la nouvelle. Si ce n’est la peur de la peur, rien n’explique l’escamotage de cette catastrophe par Phnom Penh. Alors que l’Asie s’oriente résolument vers l’énergie nucléaire, ce désastre remet en cause les projets de centrales à travers la région.
Cent treize réacteurs nucléaires sont actuellement en service en Asie, trente-sept sont en construction, quatre-vingt-quatre sont planifiés et plus de quatre-vingts sont en cours d’études. Japon, Chine et Inde se taillent la part du lion suivi de pays émergents comme le Vietnam. Quelques jours après l’accident de la centrale de Fukushima, le ministère de la Protection de l’environnement chinois s’est montré ferme : « La détermination et les plans de la Chine dans le développement de l’énergie nucléaire ne changeront pas. » Récente, l’option nucléaire chinoise n’en est pas moins ambitieuse. Depuis la mise en service de sa première centrale nucléaire en 1991, ses petites sœurs poussent comme des champignons : treize centrales sont actuellement en service, vingt-sept autres sont en construction, sans compter les dizaines de projets encore dans les cartons. Publiquement, le gouvernement ne s’interroge pas sur la sécurité de son programme nucléaire ; péremptoire, il affirme que toutes les précautions ont été prises. Un incident du type de Fukushima est impossible ! Cette vieille centrale des années 1970 est technologiquement obsolète… évidemment ce n’est pas le cas des centrales chinoises aux technologies dernier cri qui permettent de parer à toutes éventualités. Une langue de bois sertie d’arguments imparables, telle la construction par l’Américain Westinghouse de centrales de troisième génération qui n’existent actuellement que sur le papier. Ce discours lénifiant n’a pourtant pas étouffé toutes les craintes de la population. Suite à une rumeur folle selon laquelle les pastilles d’iodes (elles limitent l’absorption des radiations par la thyroïde) peuvent être remplacées par la consommation de sel iodé, les étals des supermarchés des mégalopoles chinoises ont été vidés en quelques heures.
Plus circonspecte, l’Inde s’interroge sur le bien-fondé de ses ambitions nucléaires renouvelées – un programme de 175 milliards de dollars – depuis la signature d’un accord d’échanges de technologies nucléaires entre New Delhi et Washington en 2008. À la différence de son rival chinois, les vingt centrales du parc nucléaire indien sont anciennes. Les premières datent des années 1960. L’accident de Fukushima avive les craintes d’une tragédie similaire. Par ailleurs, certains s’interrogent : l’Inde connue pour sa corruption endémique et l’incurie de son administration est-elle capable de faire face à une telle catastrophe ? Prudent, le premier ministre Manmohan Singh a annoncé que la sécurité de tous les réacteurs nucléaires du pays serait vérifiée. En Thaïlande, un projet de centrale nucléaire végète depuis des décennies. Ce projet a été relancé en 2006 par la junte au pouvoir et doit aboutir vers 2020. Quelques jours après l’accident de Fukushima, Bangkok a annoncé que son programme atomique sera réétudié. Corruption et malversation étant le lot quotidien du royaume ce gel nucléaire peut s’avérer salutaire. Réaction opposée au Vietnam où les deux premières centrales du pays sont en cours de construction. Hanoi assure que la catastrophe de Fukushima est riche en enseignements… Les erreurs qui y furent commises ont été analysées, elles ne seront pas répétées. Huit centrales seront opérationnelles en 2030. L’avenir nous dira si Beijing et Hanoi ont eu raison d’aller résolument de l’avant ou si New Delhi et Bangkok ont eu le bon sens de revoir leurs ambitions nucléaires.