Alger a fait savoir de façon très diplomatique à son hôte à quel point sa politique en Libye était contraire aux intérêts du monde arabe.
Si les relations bilatérales algéro-qataries sont excellentes, ou « au beau fixe » comme l’a dit très diplomatiquement l’APS, l’agence d’information officielle algérienne, ce n’est pas le cas concernant l’activisme de la politique qatarie dans la région du Maghreb en général et vis-à-vis de la Libye en particulier. Alger a en effet très mal pris l’implication du Qatar dans le conflit libyen et son alignement sur la stratégie franco-britannique. Il y a donc lieu de s’interroger sur les raisons de cette brève « visite de travail et de fraternité » entreprise par l’Emir du Qatar, Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani à Alger. Selon le communiqué d’El Mouradia, siège de la Présidence algérienne, cette visite se veut une occasion pour « passer en revue les questions régionales et internationales d'intérêt commun et d'examiner les derniers développements de la situation dans la région arabe. » Dans les faits, le principal sujet débattu aura été le conflit libyen et ses répercussions désastreuses sur l’ensemble de la région. En associant à ces entretiens qui se sont déroulés à la résidence d'Etat de Zéralda, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, le ministre d'Etat, représentant personnel du Président de la République, Abdelaziz Belkhadem, le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, et le ministre délégué chargé des Affaires africaines et maghrébines, Abdelkader Messahel, le chef de l’Etat algérien a voulu conférer à ces entretiens un caractère très officiel et transmettre à l’Emir du Qatar, au delà des formules de courtoisie, un message très clair : l’Algérie considère l’engagement politique, militaire, financier et médiatique (à travers Al-Jazeera) du Qatar auprès d’une des parties en conflit, à savoir le Conseil national de transition à Benghazi, non seulement comme inamical, mais dangereux pour la stabilité du Maghreb et du Sahel. La partie algérienne a fait comprendre à l’Emir du Qatar que le bombardement de la Libye, notamment par des avions qataris, son refus de toute solution politique négociée entre les deux parties, comme le préconise l’Union africaine, a déjà eu des effets désastreux non seulement pour l’Algérie, où l’on a observé une recrudescence des actes terroristes provoquant la mort de quelques dizaines de militaires algériens en Algérie même, mais aussi en Tunisie où l’AQMI, profitant de l’effondrement de l’appareil sécuritaire libyen et tunisien, a pu commettre plusieurs attentats contre l’armée tunisienne dont le dernier au moment où l’Emir se trouvait encore à Alger.
Un autre sujet de divergence : la Syrie. Alger refuse en effet de déstabiliser ce pays « frère » et « allié », contrairement au Qatar qui mobilise toute sa diplomatie et sa chaîne Al Jazeera dans une campagne internationale visant à renverser le régime de Bachar al-Assad. Alger aurait proposé sa médiation pour faire cesser la guerre des médias entre Damas et Doha, très proches alliés il y a encore deux mois.
Selon certains observateurs, cette diplomatie offensive qatarie a eu un effet inattendu pour l’Emir et son Premier ministre : le consensus entre les diverses factions de la famille régnantes au Qatar est sur le point de voler en éclats. En moins de six mois, deux tentatives de coups d’Etat ont été déjoués à Doha. De plus en plus de voix s’élèvent pour contester les choix dangereux de l’Emir, à la fois sur le plan politique ou financier.