Les fonds de la Méditerranée orientale renferment d’importants champs gaziers et pétroliers. Ils sont localisés sous la plaine abyssale d’Hérodote, au fond des eaux territoriales de Chypre, d’Israël et du Liban.
Le dernier gisement de gaz naturel découvert en juin 2010 s’étend de part et d’autre de la frontière entre les eaux territoriales d’Israël et du Liban (Fig. 1). Mais pourquoi sous le « signe du Léviathan » ? Lors de sa découverte, vu sa profondeur et sa vaste étendue présumée, les Israéliens l’ont nommé Léviathan (en l’hébreu, liwjatan), en référence au monstre menaçant des abysses cité dans la Torah.Dans la même thématique religieuse, ils ont nommé Léviathan un de leurs trois sous-marins d’attaque mis en service en 2000 et soupçonnés d’être porteurs d’ogives nucléaires tactiques (Fig. 2).
L’or noir sous une plaine abyssale
La mer ou bassin du Levant, borde les côtes du Liban, d’Israël et de Chypre, et s’étend sur une zone d’environ 400 000 km2. Elle recouvre un plateau abyssal dit « plaine d’Hérodote », d’une profondeur moyenne de 1500 m (Fig. 1). Sous son plancher, les premières nappes de gaz ont été localisées. Plus profondément au-delà de strates géologiques, des forages ont révélé l’existence de nappes de pétrole.
En 2002, la société britannique Spectrum Energy mène une étude sismologique selon laquelle il y avait de fortes probabilités de trouver des gisements de pétrole et de gaz naturel dans les eaux libanaises, face à la côte nord du Liban. Son étude souligne l’existence d’indicateurs géologiques en 2D qui indiquent la présence potentielle d’hydrocarbures.
En 2006, les résultats acquis au large des côtes du Liban par la société norvégienne Petroleum Geo-Services (PGS), en 3D, combinés avec les précédentes (en 2D), ont identifié de nombreux indicateurs associés à la présence d’hydrocarbures.
Parallèlement, en mai 2006, Chypre et l’Égypte ont signé un accord de coopération sur l’exploration de gisements de pétrole et de gaz naturel. À terme, Chypre recevrait les trois quarts des revenus issus du forage.
En 2009, la compagnie texane Noble Energy découvre à 90 kilomètres au large de Haïfa, les champs gaziers de Tamar et de Dalit. Les réserves sont importantes : 160 milliards de m3 avec lesquels les besoins des Israéliens peuvent être satisfaits pendant deux décennies. Le début de leur exploitation était prévu pour fin 2010, et les premières exportations pour 2012. Noble Energy a d’ailleurs revu ses estimations à la hausse, de 33 %, en ce qui concerne le potentiel des deux gisements.
Un gisement nommé Léviathan
En avril 2010, un rapport publié par l’US Geological Survey (l’USGS, le service géologique étasunien) annonce la présence d’un important gisement exploitable de gaz et de pétrole dans le bassin du Levant. L’annonce fut plutôt discrète et pour cause !
En juin 2010, en effet le casus belli pourrait venir de la découverte par la compagnie américaine Nobel Energy d’un énorme gisement de 453 milliards de m3 de gaz. NomméLéviathan, semblable au monstre biblique, annonciateur de catastrophes, il dort au fond de la mer, par 2 000 mètres de fond. Même si les prospections ont été réalisées dans les eaux israéliennes, au large du port de Haïfa, il n’a pas encore été possible de déterminer avec exactitude l’étendue de cette nappe, qui représente une source colossale de revenus. Pour les experts de l’USGS, elle se répartirait entre les eaux israéliennes, libanaises et chypriotes. Dans la foulée, Israël prospecte activement la mer du Levant au grand dam d’un Liban absent dans la zone et paralysé par son ingouvernance. Le Petroléum Council israélien qui accorde les licences d’exploitation pour l’exploitation de pétrole et de gaz a donné l’autorisation pour 22 licences à Delek et à Noble Energy. Les licences de Delek couvrent un territoire de 7750 km2 et celles de Noble Energy de 6100 km2. Récemment Howard Jonas, grand philanthrope américain, commentait : « Nous croyons qu’Israël a plus de pétrole que l’Arabie Saoudite. Il pourrait y avoir 500 milliards de barils dans le sol israélien contre 260 milliards pour les Saoudiens ». Cette annonce a suscité de vives craintes de déstabilisation dans la région.
Le 18 août 2010, le Parlement libanais a adopté uneloi autorisant l’exploitation offshore des réserves de pétrole et de gaz. Dans la foulée, le Hezbollah a immédiatement saisi la balle au bond pour ajouter le nouveau contentieux gazier à sa rhétorique guerrière contre Sion.
Le 17 décembre 2010, Chypre et Israël ont en revanche signé un accord de délimitation de leurs zones maritimes exclusives, afin que les prospections sous-marines d’hydrocarbures puissent continuer sans crainte de conflits d’exploitation.
Le 22 décembre 2010, de son côté, le ministre Uzi Landau a déclaré que « Israël est déterminé à défendre avec toute la force nécessaire, face au Liban ou à tout autre pays, les champs gaziers découverts en Méditerranée qui pourraient assurer son indépendance énergétique pour la première fois de son histoire ».
Le Léviathan : sentinelle d’Israël
Mais face à la doctrine et la pratique de « toute la force nécessaire »d’Israël, que nous dit le droit international ?Le droit de la mer est ancien et essentiellement coutumier. Il a été redéfini et complété par la Convention de Montego Bay en 1982. Elle redéfinit les zones de l’espace maritime et détermine leurs usages militaires et civils. La mer est divisée en zones sur lesquelles différentes souverainetés s’appliquent. Le Liban et Chypre ont ratifié la Convention, pas Israël qui se trouve lié par la plupart des dispositions émanant de la Convention dans la mesure où le texte a repris des règles relevant du droit coutumier et ayant valeur universelle. En cas de litige, Israël pourrait donc se voir « contraint » à respecter le droit maritime international auquel, comme de coutume, elle opposera son « droit à se défendre » pour mieux attaquer.
Dans le domaine de la défense, bien avant les découvertes des champs gaziers en mer du Levant, Israël s’est équipé d’une flotte de submersibles, la Shayetet 7, une unité stratégique chargée de la protection de ses côtes et de ses eaux territoriales. Elle a été consolidée en vue de frappes éventuelles sur les sites nucléaires de la République islamique d’Iran. La Shayetet 7 est constituée de trois sous-marins d’attaque de classe Dolphin INS et bientôt de deux autres de classe 212, à propulsion anaérobie ou AIP, donc furtifs. Cette flotte de fabrication allemande leur a été livrée, dotée d’équipements sophistiqués de détection mer-mer.
Influencé par un sionisme religieux montant, l’état-major de la marine a baptisé « Le Léviathan » un de ces submersibles à capacité nucléaire, soulignant ainsi la menace apocalyptique qu’il fait peser sur une région qui doit lui être totalement soumise. Au-delà de leur mission stratégique, ces submersibles sont bien adaptés à la protection des eaux territoriales israéliennes. Ils sont aptes à s’inscrire discrètement dans le dispositif de surveillance associé à l’embargo de la bande de Gaza.
Évoluant furtivement dans les eaux profondes de la plaine abyssale Hérodote, les Dolphins INS et 212 constituent le meilleur rempart pour les futures stations d’exploitation offshore, contre d’éventuelles attaques et tentatives de sabotage. Ces sous-marins sont aménagés pour embarquer un commando de forces spéciales afin de reprendre éventuellement le contrôle d’une plate-forme de forage tombée entre les mains de l’ennemi. Ceci n’est nullement de la fiction, dans la mesure où plusieurs attaques, par des groupes de combattants lourdement armés,se sont déjà produites contre des stations offshore en Afrique occidentale. La dernière en date et d’importanceayant eu lieu le 29 juin 2009, dans une zone pétrolifère du Nigeria. Tsahal est d’autant plus sur ses gardes que localement il pourrait être confronté à des unités spéciales de combattants formées par la composante maritime des pasdarans, ses pires ennemis avec les miliciens du Hezbollah. Des essaims de vedettes rapides pourraient s’en prendre aux navires de commerce. Elles opèreraient en meutes d’une dizaine d’embarcations attaquant les installations offshores israéliennes de toutes parts.
Le gisement de gaz que les Israéliens viennent de mettre à jour au large de leurs côtes sème déjà la zizanie. Il est proche de la frontière maritime avec le Liban (Fig. 1). La traverse-t-il ? Vraisemblablement, et c’est tout le problème, car il n’existe pas de tracé précis des eaux territoriales. En effet, les deux pays, toujours techniquement en guerre, n’ont jamais signé d’accord frontalier. L’énorme champ gazier aiguise les appétits coloniaux d’Israël et les éternelles frustrations du Liban toujours en attente de gouvernance et focalisé sur le TSL. À la problématique des enjeux et du contrôle de l’or bleu viennent désormais s’ajouter ceux et celui de l’or noir qui dans ce cas mérite bien le nom menaçant de Léviathan.