L’infiltration de la société par le Mossad est aussi vieille que la création de l’État d’Israël. Mais la volonté conjuguée des Forces de sécurité intérieure, des Renseignements militaires libanais et du Hezbollah est en train de changer la donne.
La réputation de Beyrouth d’être l’un des grands centres mondiaux de l’espionnage n’est pas usurpée. Depuis 2009, l’arrestation de près de 150 agents recrutés par les trois services secrets israéliens a pulvérisé tous les records. Et ce n’est pas fini, malgré les tentatives d’étouffement visant dernièrement la branche renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) qui a démantelé plusieurs réseaux israéliens.
« Alliés périphériques »
Lors de la création d’Israël et jusqu’à aujourd’hui dans les cercles sionistes extrémistes, il est toujours question d’un Israël du Nil à l’Euphrate. Mais, sait-on qu’au nord, l’État juif devrait comprendre selon eux le Liban et une partie de la Syrie jusqu’à Alep ? Pour David Ben Gourion, président-fondateur d’Israël, politicien pragmatique, une des priorités était de semer la discorde dans les pays arabes en excitant leurs minorités religieuses et ethniques et, au Liban, de s’emparer des sources du fleuve Litani. Son ami Reuven « Shiloah » Zoslanski, premier directeur du Mossad, avec qui il avait conçu le concept d’« alliés périphériques », devait infiltrer les communautés maronite et druze et leur faire miroiter la constitution d’un État indépendant. Pendant quatorze ans, une espionne nommée Shulamit Cohen-Kishik parvint, grâce à ses ta-lents de péripatéticienne, à gangrener une partie de l’intelligentsia libanaise (voir encadré).
Dans les années 1970, le maître espion David Kimche fut l’artisan de l’alliance israélienne avec des clans maronites qui facilita l’invasion du Liban en 1982. Eliezer Tsafrir, chef de station du Mossad à Beyrouth en 1983, après avoir sévi au Kurdistan irakien lors de la la présidence des frères Aref, sait ce qu’infiltrer veut dire. Aujourd’hui en retraite, il estime qu’une opération comme l’assassinat à Damas, le 12 février 2008, d’Imad Mughniyeh, chef de la sécurité du Hezbollah, a demandé des années de travail minutieux impliquant des dizaines de personnes ayant chacune un rôle précis et ignorant tout des autres intervenants. On peut en dire autant de l’assassinat du premier mi-nistre Rafic Hariri.
On s’interroge encore pour savoir qui a livré les matériels d’écoute sophistiqués permettant aux FSI de traquer les réseaux israéliens. Selon Georges Malbrunot, journaliste au quotidien français le Figaro, leurs succès seraient dus aux systèmes d’interception et de localisation français et aux logiciels américains d’exploitation de données, fournis au général Ashraf Rifi, patron des FSI, pour démasquer les assassins de Hariri ! Pour Israël, tout le mal viendrait du FSB russe – ex-KGB – qui aurait mis à la disposition du Hezbollah des experts en télécommunication et le matériel sensible allant avec. Le sentiment d’invulnérabilité et la gloriole du Mossad ont fait le reste : après l’arrestation, en avril 2009, du général retraité Adib al-Alam, recruté en 1974, il suffisait aux FSI d’attendre que les Israéliens, un temps silencieux, reprennent contact avec leurs agents pour que des nids d’espions tombent un à un.
Partage des tâches
Parmi les agents arrêtés, Adib al-Alam avait créé une agence fournissant des domestiques asiatiques qu’il débriefait après chaque intervention. Le colonel Chahid Toumieh livrait des documents militaires « top secret » ; le colonel Mansour Diab, directeur de l’École des commandos de marine, exfiltrait les agents et réceptionnait les matériels envoyés par Israël ; Philopos Hanna Sader surveillait la maison du président Michel Sleiman ; enfin, le général Fayez Karam, ancien responsable de la lutte anti-terroriste et du contre-espionnage, se servait du général Michel Aoun pour approcher la direction du Hezbollah… Leurs interrogatoires donnent une idée des objectifs visés par Israël : les lieux de résidence des personna-lités politiques libanaises, en particulier celui de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, dans la clandestinité depuis la guerre de 2006 ; le repérage des sites de lancement de missiles ; les caches d’armes de la résistance ; l’aéroport de Beyrouth ; les services des passeports, des douanes ; les sociétés de télécommunication Alpha et Ogero, et bien sûr, les camps et les bureaux palestiniens, etc.
Lors de sa vidéoconférence du 9 août 2010, Hassan Nasrallah a désigné un certain Ghassan al-Jid, recruté par le Mossad en 1990, comme un des protagonistes de l’assassinat de Rafic Hariri. L’agent israélien serait réfugié en France où on s’interroge sur le jeu de Nicolas Sarkozy. Quand il était ministre de l’Intérieur, ses services ont aidé Zouheir Siddiq, faux témoin accusant le président Bachar al-Assad d’avoir ordonné le meurtre de Rafic Hariri, à s’enfuir en lui remettant un faux passeport tchèque, alors que le Liban réclamait son extradition.