Soutiens indéfectibles du président Saleh depuis son arrivée au pouvoir il y a trente-deux ans, les tribus semblent désormais se dissocier de lui.
Le régime du président général Ali Abdallah Saleh, qui tirait une grande partie de sa force et de sa légitimité, et aussi de sa longévité (32 ans), des tribus et principalement de la puissante confédération tribale des Hached dont il est issu, fait face aujourd'hui à des défections notables au sein de ces tribus (les Hached et les Bakil).
Si ces deux confédérations tribales, qui se composent de milliers de tribus, représentent pratiquement une partie majoritaire de la population au Yémen du Nord, ce n'est pas le cas dans le sud où les bases du système tribal avaient été fragilisées d'abord par la colonisation britannique, ensuite par le système pseudo-marxiste qui avait dirigé cette partie depuis l'indépendance en 1968 jusqu'à la réunification avec le nord en 1990. Le principal pilier du régime d’Ali Abdallah Saleh a été jusqu'ici les confédérations des Hached et des Bakils qui noyautent, avec le clan familial, l'armée, les services et l'administration. Avec la révolte des Houthistes dans le Nord, l'insurrection ouverte dans le Sud, dont la population se sent de plus en plus lésée par la politique de marginalisation et d'exclusion menée par le pouvoir central à Sanaa à son égard, ces défections pourraient annoncer le début de la fin du régime, jadis allié de Saddam, aujourd'hui allié stratégique des États-Unis dans leur lutte contre Al-Qaïda.
Lors d'un rassemblement de dizaines de milliers de membres de tribus personnes dont la majorité portaient des armes à Amran, au nord de Sanaa, des chefs de deux des plus importantes tribus du pays où la structure clanique est très importante, les Hached et les Bakil, se sont dissociés de M. Saleh. L'un des chefs des Hached, cheikh Hussein ben Abdallah Al-Ahmar, a annoncé sa "démission du Congrès populaire général de M. Saleh pour protester contre la répression des manifestants pacifiques à Sanaa, Taëz et Aden", selon des sources tribales. L'annonce de cheikh Hussein a été saluée par une foule nombreuse de membres de tribus, dont des chefs des Bakil, la deuxième en importance et la plus nombreuse, selon les mêmes sources. Les représentants de nombreuses tribus étaient présents au rassemblement.
L'Assemblée a annoncé qu'elle soutenait le mouvement de contestation contre le président qui a commencé le 27 janvier et s'est amplifiée à partir du 13 février, en scandant "le peuple veut la chute du régime". Ce ralliement intervient au lendemain d'une journée de forte mobilisation à travers le pays où des dizaines de milliers de personnes ont participé à des prières collectives et des marches exigeant "la chute du régime".
À Aden, la grande ville du Sud à la pointe de la contestation, a vécu dans la nuit "de véritables scènes de guerre menées par des éléments de la garde républicaine (corps d'élite de l'armée) qui ont pris pour cible des jeunes innocents voulant manifester pacifiquement", selon un habitant. L'intervention musclée des forces de sécurité a eu lieu en dépit d'un ordre donné jeudi par M. Saleh de protéger les manifestants pacifiques. Mais le ministère de la Défense a démenti, en citant une source de sécurité à Aden, des tirs des forces de l'ordre sur des manifestants, affirmant que les violences sont le fait de séparatistes sudistes militant pour l'indépendance du Sud-Yémen, qui était un État indépendant avant 1990.
Sentant le danger, le président yéménite s'accroche en affirmant son intention de défendre le "régime républicain" jusqu'à la "dernière goutte de (son) sang". "Notre nation passe depuis quatre ans par des difficultés énormes (…) et nous essayons d'y faire face par des moyens démocratiques et par le dialogue avec tous les leaders politiques, mais en vain", a déclaré le président samedi soir devant les chefs des forces armées et des unités de sécurité. "Il y a un complot contre l'unité et l'intégrité territoriale de la république yéménite et nous, au sein des forces armées, nous avons prêté serment de préserver le régime républicain, l'unité et l'intégrité territoriale du Yémen jusqu'à la dernière goutte de notre sang", a-t-il ajouté. "Ce serment est toujours valable et il le restera", a encore affirmé M. Saleh qui a su jouer à l'équilibriste entre les intérêts antagonistes de ce pays instable pour se maintenir au pouvoir pendant 32 ans. Son combat désespéré n’est pas sans rappeler celui que mène ces jours-ci son homologue libyen Mouammar Kadhafi, le doyen des dictateurs arabes.