Une transition rapide, ou lente ? Avec ou sans Moubarak ? Les chancelleries étrangères hésitent sur la politique à adopter et la rue égyptienne bouillonne toujours. Pour elle, la question est simple : Moubarak doit partir.
Fermeté de la rue, fébrilité du pouvoir, cacophonie diplomatique. La situation n’est pas plus claire en Egypte dimanche, qu’elle ne l’était samedi. Les jeunes représentants des réseaux sociaux du « Mouvement du 6 avril », installés à demeure depuis treize jours Place Tahrir, appellent à un nouveau vendredi de protestation, le « vendredi de la fermeté » avec comme leitmotiv le départ du pouvoir du président Hosni Moubarak, 82 ans, à la tête de son pays depuis 23 ans. Il représente pour eux toutes les tares d’un système verrouillé, rétif aux libertés publiques, marqué par le développement au galop de la corruption et la croissance des inégalités. 40% des Egyptiens vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, malgré un taux de croissance honorable de l’économie de l’ordre de 5 % en moyenne sur les cinq dernières années. Une croissance pauvre en emplois pour résorber le nombre toujours croissant de diplômés voués au chômage dès leur sortie de l’université. Les richesses générées sont par ailleurs très mal réparties.
Face à cette fermeté, le pouvoir montre des signes de fébrilité de plus en plus évidents. Il compte sur la lassitude de la population gênée par la fermeture des banques, la pénurie de carburant, les difficultés d’approvisionnement en produits alimentaires, la fermeture forcée des établissements scolaires et des universités. Sans parler de la peur des classes moyennes face aux risques de débordement de la violence entre anti et pro-Moubarak. Après plusieurs jours d’atermoiements, le président décrié s’est décidé à donner un nouveau gage de sa volonté de décrocher du pouvoir en désignant un nouveau bureau exécutif du Parti National Démocrate (PND – au pouvoir). Mais s'il a éliminé son fils, Gamal, de la diection du parti, il en a gardé lui-même la présidence. Les rêves présidentiels de Gamal sont ainsi définitivement enterrés et la « Maison Moubarak » — l'autre fils, Alaa, est sous le coup de diverses accusations de corruption — bien mal en point. Les Etats-Unis ont apprécié ce nouveau pas en avant vers la transition … en demandant d’autres « pas plus significatifs ». En même temps, le vice-président Omar Suleiman, désigné par ses pairs de l’armée pour conduire la manœuvre, a accepté d’ouvrir un dialogue avec l’opposition légale et, pour la première fois depuis un demi siècle, avec les Frères Musulmans. Ces derniers posent comme condition pour se rendre à l’invitation, le départ de Moubarak, la réforme de la constitution, la dissolution des deux chambres du Parlement et la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale chargé d’organiser des élections présidentielle et législatives « honnêtes et transparentes ». Remarque d’un observateur : « si les conditions des Frères Musulmans sont acceptées, il n’y aura plus rien à négocier ».
Sur le front diplomatique, c’est la cacophonie. Américains et Européens sont certes d’accord pour demander que s’ouvre une transition le plus tôt possible. Mais avec ou sans Moubarak ? Telle est la question. Paris et Berlin sont la même ligne : transition, oui, mais sans chaos. Ils divergent cependant sur les délais de passation de pouvoir. Pour Nicolas Sarkozy, relayé par plusieurs journaux français, le plus tôt serait le mieux. Angela Merkel, s’inspirant de sa longue expérience des transitions en Europe de l’est, veut de son côté donner « du temps au temps ». Même tempo lent pour Berlusconi. De Washington, on entend tout et son contraire. Formellement, Barak Obama serait – sans le dire explicitement — pour le départ immédiat de Moubarak. Sa Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a répété samedi qu’il fallait craindre « une grosse tempête » dans la région, suggérant une sortie de crise prudente. Elle a pris ainsi le contrepied de son vice-président Joe Biden, qui demande des « mesures immédiates ». Et lorsque l’ancien ambassadeur américain au Caire, Weisner, envoyé spécial d’Obama, s’est risqué à suggérer que la transition « doit être conduite par Moubarak », il s’est fait immédiatement recadrer par tout le monde. Moubarak n’est plus en odeur de sainteté dans le premier cercle du pouvoir à Washington.