« Notre priorité est de trouver une solution syrienne qui puisse nous aider à empêcher toute effusion de sang supplémentaire »
Nous vous proposons la traduction d’un entretien accordé (en arabe) par une des figures majeures de l’opposition – légaliste – syrienne, Louay Hussein, au spécialiste américain des questions arabes Camille Otrakji et à son site Syria Comment. On ne présente plus ici Camille Otrakji, et l’on a déjà présenté Louay Hussein : rappelons néanmoins que cet écrivain opposant à Hafez al-Assad, un opposant assez farouche pour avoir été emprisonné sept ans ans entre 1984 et 1991, a décidé de prendre Bachar au mot, et de participer concrètement à la nouvelle donne politique proposée cet été par ce dernier. Après avoir participé à la conférence de l’opposition – la première du genre à être autorisée en Syrie – à l’hôtel Sheraton de Damas en juin dernier, Louay Hussein a lancé avec d’autres personnalité un nouveau parti d’opposition, le Courant pour l’Edification de l’Etat syrien (voir notre article « L’opposition légale continue de se structurer », mis en ligne le 14 septembre).
L’intérêt de cet entretien réside peut-être d’avantage dans les questions de Camille Otrakji que dans les réponses de Louay Hussein. Opposant « agréé » mais résolu, celui-ci peut-être honnête ou tout simplement lucide quand il dénonce l’appui exclusif apporté par les puissances occidentales au CNS, le flou des propositions de celui-ci et l’irresponsabilité de son radicalisme, ou le niveau croissant de violence des groupes armés, mais il est nettement moins convaincant quand il nie l’implication de l’Amérique, de l’Europe ou de certains pays arabes dans la crise syrienne. De même, il nous semble injuste et partisan quand il dit que Bachar al-Asad avait toutes les cartes en mains pour réformer le pays : l’actuel président syrien a hérité d’un pouvoir – qu’il n’avait pas recherché – quelque peu rigidifié par trente années de tensions internes et extérieures, et des pratiques de type « soviétiques ». Il y a eu, quoiqu’en dise Hussein, une modernisation certaine et une certaine libéralisation de la Syrie, en dix années de présidence bachariste. Et Camille Otrakji a raison de demander à son interlocuteur comment le président syrien pourrait aller plus vite en matière de réformes que les actuels gouvernements tunisien, libyen ou égyptien, issus d’un « printemps arabe » qui peine à passer à l’heure d’été..
On portera au crédit de Louay Hussein d’essayer de construire une alternative au régime dans le cadre légal et selon un mode pacifique qui tend à être abandonné par les gens du CNS et leurs correspondants locaux. De dénoncer la « militarisation » croissante du soulèvement. Et de refuser fermement toute intervention, militaire ou politique, étrangère. Mais il ne nous convainc pas de la capacité de « son » opposition à éviter le chaos et l’abaissement du pays.
Un entretien avec le militant d’opposition Louay Hussein, par Camille Otrakji
-Camille Otrakji : Vous venez de lancer le Courant pour l’Edification de l’Etat syrien et avez annoncé la tenue d’une conférence des cadres du parti au début du mois prochain. Quels sont vos objectifs et priorités pour l’avenir immédiat ?
-Louay Hussein : Notre priorité est de trouver une solution syrienne qui puisse nous aider à empêcher toute effusion de sang supplémentaire et planifier le départ du régime oppressif d’une manière pacifique. Nous pensons que cet objectif peut être atteint par la constitution d’une large coalition des forces d’opposition, d’accord pour adopter le programme de travail que nous avons proposé parmi d’autres documents. Si nous réussissons à former une telle coalition, il nous serait possible ensuite d’amener l’opinion publique syrienne sur nos objectifs face au régime.
-C.O. : Quelle est votre opinion sur le « Comité de coordination » ( essentiellement composé de figures de l’opposition intérieure – au sein duquel oeuvrent Louay Hussein et ses amis) et le « Conseil national syrien » (CNS, opposition extérieure) ? Comment interprétez-vous les difficultés qui ont empêché le Comité de coordination de tenir une conférence à Paris voici quelques jours ? Y a-t-il eu un parti pris du gouvernement français en faveur du CNS et au détriment du Comité de coordination ? Si oui, pourquoi ? Soupçonnez-vous le gouvernement français d’avoir agi sur la demande du CNS qui voudrait réduire au silence le CC ?
-L.O. : Notre mouvement considère favorablement tous les partis ou coalitions qui existent déjà ou sont en train de se créer, dans la mesure où ils cherchent à maintenir l’unité nationale, rejettent toute intervention militaire extérieure ainsi que la militarisation du soulèvement. Et ça inclut le Comité de coordination. Je n’ai pas d’informations particulières qui puissent expliquer l’annulation de la conférence parisienne du CC, mais je suis enclin à suspecter une tentative de certains secteurs étrangers influents d’imposer un unique courant d’opposition syrien, le CNS en l’occurrence. Unifier l’opposition à tout prix est une stratégie occidentale. On doit s’attendre à un soutien de l’Occident au CNS par tous les moyens possibles, surtout après ses débuts laborieux.
-C.O. : Beaucoup d’observateurs pensent qu’au bout de sept mois on peut dire que les manifestations vont continuer et que le régime n’est pas près de tomber. Quels sont vos attentes pour l’année à venir ? Si vous vous attendez à de nouvelles effusions de sang, que peut espérer le peuple syrien, à la fois du régime et de l’opposition, si tous deux s’efforcent de faire en sorte que le sang cesse de couler ? Pensez-vous que les dirigeants du régime et de l’opposition vont continuer à refuser tout compromis et à s’accuser mutuellement d’être responsables de la violence ?
-L.O. : Je crois qu’il y a deux raisons qui font que les manifestations vont diminuer significativement d’ampleur ; d’abord, la violente répression des autorités, et ensuite le nombre croissant d’opérations violentes montées par des groupes hostiles au régime comme l’ « Armée syrienne libre». Voilà pourquoi je m’attends à plus de sang versé en Syrie. En outre, je crains que si nous ne parvenons à obtenir très rapidement un accord « syrien », nous allons très clairement voir se développer une guerre civile dans un proche avenir. En se confrontant à cette réalité, et en revenant sur les sept derniers mois, j’ai bien peur que tant le régime que les chefs de l’opposition n’aient pas été à la hauteur de leurs responsabilités au niveau national. Et c’est pourquoi chacun d’entre eux jette la pierre à l’autre, et tous s’avèrent incapables de prendre des initiatives sérieuses et réalistes. Ça me déçoit. Prenez par exemple ce slogan : « A bas le régime ! » : il a été adopté par certains chefs de l’opposition comme s’il s’agissait d’une plate-forme politique cohérente. Nous les avons entendus le répéter jour et nuit, mais sans qu’ils nous disent comment ils mettraient à bas le régime, quel est le mécanisme pour l’abattre ni comment ils se débrouilleraient avec les organismes de sécurité et de l’armée du régime, ou avec ses partisans. Surtout après que les événements ont démontré que renverser le régime par la seule force populaire n’est pas une chose facile, voire même impossible, dans le cadre du rapport de forces existant.
-C.O. : Les partisans du régime ont vite souligné que les plus enthousiastes avocats du changement sont les ennemis traditionnels de la Syrie, Israël et les Etats-Unis, en plus de certains des moins démocratiques et des plus sectaires, d’un point de vue religieux, des pays arabes. Croyez-vous que ces puissances sont sincèrement préoccupées par le sort du peuple syrien, ou qu’en fait elles sont bien plus intéressées par la perspective d’une Syrie affaiblie, telle qu’elles s’attendent à la trouver après toutes cette contestation ?
-L.O. : Chaque pays préfère affaiblir les autres de façon à avoir plus de puissance à tous les niveaux. Cette hypothèse que vous soulevez ne se trouve pas à l’origine du conflit syrien. Tous les pays que vous avez mentionnés ont besoin de la stabilité en Syrie. C’est la raison pour laquelle ils tentent de trouver des alternatives au régime au cas où la rue entreprendrait de secouer ce régime jusqu’à ce qu’il se disloque et s’effondre. Ces pays craignent qu’alors un chaos qui menace leurs intérêts nationaux.
-C.O. : Les réformes dans les pays du « Printemps arabe » (Tunisie, Egypte et même Libye) prennent plus de temps à être appliquées qu’on ne le pensait. Pourquoi pensez-vous alors que le président Bachar al-Assad pourrait faire mieux et plus vite en matière de réformes que les pays du Printemps arabe ?
-L.O. : Le cas de la Syrie est beaucoup plus simple. Le président al-Assad n’a pas dirigé le pays depuis trop longtemps, et il n’était pas rejeté par son peuple. Il aurait donc pu réussir à initier des réformes qui auraient satisfait tout le monde, avec facilité. Les réformes auraient pu être appliquées assez vite parce que la Syrie était stable et l’opposition qui existait alors n’avait pas envie d’affronter le pouvoir. Elle était plus intéressée à faire pression sur lui pour son incapacité à mettre en oeuvre ces réformes.
Entretien publié le 21 octobre.
Source : InfoSyrie