Voyage au cœur des Comités de coordination de la révolution syrienne (Tansiqiyat) dans les zones rurales à l’ouest de la capitale Damas
En route vers les quelques villes et villages de la campagne ouest de Damas, que les médias décrivent comme étant à feu et à sang, la surprise est de taille : la présence des forces de sécurité et des militaires y est quasi nulle. Le seul barrage de contrôle militaire se trouvait à l’entrée de la région de Zabadani, un point de passage utilisé par les différents contrebandiers. Les les membres du check point ont vérifié nos cartes pers, près de la frontière libanaise. Après avoir vérifiés nos papiers d’identité, les agents de contrôle nous laisser poursuivre notre chemin sans nous avoir posé aucune question.
Pourtant c’est dans certains des villages de cette région que les manifestations hostiles au gouvernement syrien avait démarré, conjointement avec les manifestations de Deraa (à la frontière avec la Jordanie), le 15 mars. Les localités situées à l’Est de Damas (Douma, Harasta, Arbeen..) sont par contre le théâtre d’agitation intense et de confrontation permanentes qui se sont soldées par des morts à la fois parmi les manifestants et les services de sécurité.
Ce n’est pas le cas des autres localités situées à l’ouest de la capitale Damas, notamment Zabadani, Madhaya ou Bloudan où un calme relatif y règne, les confrontations avec les forces d’ordre ayant rarement duré plus que deux jours. Il faut dire également que toutes ces localités de l’ouest de la capitale ne sont pas à loger à la même enseigne. Alors la ville hautement touristique de Bloudan n’a connu aucune manifestation et aucune confrontation avec les forces de l’ordre, la ville de Zabadani, 60.000 habitants, la localité la plus importante de la région ouest, a été, elle, le théâtre, tout au long des sept derniers mois, d’une série de manifestations et de confrontations d’inégale importance. L’incident le plus notable a eu lieu la dernière semaine quand un habitant de la ville, décrit comme le leader des Salafistes et de la «révolution», a trouvé la mort. Ce salafiste, aux initiales S.R, a été accusé par certains habitants d’avoir liquidé plusieurs personnes de Zabadani identifiés par certains comme des pro régime ou comme des indics qui auraient fourni des informations aux forces de sécurité sur l’identité des meneurs des manifestations.
Selon l’un des leaders des manifestations dans la région, un membre éminent des comités de coordination qui a requis l’anonymat, le mode opératoire de la liquidation de ce leader salafiste laisse penser qu’il s’agit d’une vendetta, selon les coutumes de cette région. Une embuscade lui aurait été tendue sur l’une des routes sinueuses de la région à son passage sur sa moto. Une fois tombé dans cette embuscade, il a été abattu de deux balles par ses tueurs embusqués qui ont par la suite disparu dans la nature.
Pour le leader des Tansiquiyate de la région (comités de coordination de la révolution), un opposant qui ne cache pas son aversion du salafisme, les forces de sécurité n'existent pas dans cette région au relief très accidenté, surtout la nuit. Car une fois tombé de sa moto, les forces de sécurité n’avaient qu’à le cueillir vivant pour ensuite l’interroger.
En ce qui concerne les manifestations, le chef de la Tansiquiyat de Zabadani, nous souligne qu’elles ont trois à quatre fois par semaine, la plus importante numériquement étant celle qui a lieu après la prière du vendredi. Les manifestations ont été énormes au début de la crise alignant plusieurs milliers de manifestants. et ont été plus que quelques milliers. Actuellement, dit-il, elles ont perdu, mais dans la phase actuelle les manifestations ont perdu beaucoup de leur élan. C’est dû probablement à l’action vigoureuse des services de l’ordre et à la peur qui s’est emparée de certains manifestants potentiels.
Y a-t-il des éléments armés dans cette ville ? Le meneur d’al-Tansiquiyat refuse d’en parler car, dit-il, « il n’est pas autorisé à infirmer ou confirmer quoi que ce soit sur ce sujet tabou ».
La situation de la localité de Madhaya, proche de Zabadani et de la frontière libanaise, connu pour être un bastion des groupes de contrebandiers spécialisés dans le trafic en tout genre du Liban vers la Syrie, est moins tendue, et l’agitation y est moins importante. A en croire notre guide, un notable de la région, très respecté, les manifestants, dont le nombre dépasse rarement les centaines quelques, battent le pavé d’une façon intermittente, obéissant ainsi aux mots d’ordre donnés par les tansiquiyat.
Nous y avons rencontré certaines personnes qui se sont présentées à nous comme des leaders actifs dans le mouvement de contestation. Leurs propos étaient emprunts d’une une extrême prudence, voire de suspicion à notre égard, particulièrement quand il s’agit d’évoquer la question tabou des armes, du financement du mouvement et des questions de sécurité.
Un de ces leaders, qui semble être le plus écouté parmi eux et qui nous a demandé de l’appeler familièrement « Abou Mohammad », a été le plus prolixe. « Il y a un niveau élevé de coordination entre les manifestants. Nous sommes équipés, nous dit-il, d’appareils de liaison sans fil émettant sur des ondes courtes. Leur nombre n’a cessé d’augmenter jusqu’à atteindre environ 3000 appareils, rien qu’à Madhaya » ! Un chiffre qui paraît crédible au vu du grand nombre de personnes qui en sont désormais équipées, particulièrement dans les villages environnants. « Ce mode de communication, moins cher que les téléphones cellulaires et moins détectable par les services connaît, nous dit Abou Mohammad, un véritable engouement, même parmi ceux qui ne sont pas actifs dans les manifestations. » A cela il convient de signaler, nous dit-il, « la présence de certaines personnes chargées de filmer les manifestations et de transmettre les images captées et les vidéo clips à certaines chaînes satellitaires. »
Abou Mohammad poursuit: « Il y a au moins une personne a un téléphone satellitaire Thuraya qui nous permet de communiquer via les satellites utilisés pour transmettre aux chaînes satellitaires des témoignages sur la situation dans la région sans être repéré par les services de sécurité ».
Mais qui finance l’achat de tout ce matériel de communication ? Abou Mohammad est assez laconique sur cette question. « Ce sont les personnes fortunées dans la région qui soutiennent la révolution qui nous financent ».
Quant aux confrontations avec les services de sécurité et l’armée, elles sont quasi inexistantes. «C’est arrivé une seule fois au tout début du soulèvement et nous n’avions eu à déplorer que quatre blessés ». Cela s’explique, nous dit-il, par notre système de pré-alerte. « Nous avons mis en place un dispositif de contrôle composé de plusieurs personnes qui observent tous les accès aux lieux où se déroulent les manifestations. A l’approche des forces de sécurité, nous sommes immédiatement informés et nous donnons en temps réel les instructions pour la dispersion volontaires des manifestations ». Et de poursuivre : «Nous ne cherchons pas l'affrontement avec les militaires et les services de renseignement (Moukhabarat), parce que nous serons les perdants dans cette confrontation armée inégale. » Vous-est-il arrivé d’abattre un agent de l’ordre ? A cette question, on sentait la tension monter d’un cran. L’une des personnes présentes fait irruption et nous ordonne d’éteindre l’enregistreur et d’interrompre l’entretien. Mais Abou Mohammad n’obtempère pas et poursuit imperturbable : « Il y a effectivement un groupe de dissidents de l'armée originaires de cette localité mais ils ne sont ni armés ni organisés. Il y a aussi un groupe de manifestants bien organisés qui avaient mené des actions armées contre les forces de l’ordre, mais nous ne soutenons pas ce type d'action. »
Evoquant le rôle historique de cette région comme pivot de la contrebande d'armes depuis le Liban, notre interlocuteur nous a confirmé qu'il y a certaines personnes connues depuis bien longtemps dans ce commerce très lucratif de trafic d’armes. Mais actuellement les contrebandiers broient du noir en raison de l’impressionnant renforcement des mesures de surveillance des frontières avec le Liban ce qui a pratiquement mis une fin conjoncturelle à ce commerce. Cela ne signifie pas que la circulation et la possession des armes n’existent plus. Il est en effet reconnu que tous les habitants possèdent leurs propres armes personnelles mais souvent de petits calibres. Ces armes sont cependant à usage défensif et personnel et ne font pas le poids face à l’impressionnant arsenal de l’armée syrienne.
« Quelles les sont les revendications des contestataires » ? Pour Abou Mohammed, « la première de leurs revendications c’est de renverser le régime avec toutes ses composantes », peu importe qui va le remplacer.
Quant à leur perception et de leurs relations avec l’opposition basée à l’étranger, la réponse est sans appel. « Nous n'avons aucune confiance en ces gens-là. Ces pseudos opposants qui passent leur temps à palabrer sur les écrans des chaînes satellitaires, qui ont vécu des décennies loin du pays, qui fréquentent actuellement les grands palaces européens, reçoivent de de l'argent de l'Amérique, parlent aujourd'hui de la paix avec Israël et appellent à l'ingérence étrangère et à une intervention militaire contre la Syrie, ne sont pas habilités à parler au nom du peuple syrien. »
Et de poursuivre la rage au cœur : « ces exilés ne nous représentent pas, ne représentent pas les jeunes qui n’ont cessé de manifester ces sept derniers mois au péril de leurs vies. Nous n’avons confiance qu’aux hommes de religion et à leurs fidèles. Ces opposants ne servent pas notre cause. Par leurs mensonges grossiers, leurs fanfaronnades médiatiques, ils nous discréditent. Ils jettent aussi de l’huile sur le feu en poussant certains simples d’esprit à recourir aux armes, ce qui est suicidaire dans l’état actuel des choses, étant donné l’asymétrie flagrante dans le rapport des forces entre le pouvoir et les contestataires ».
Le collègue de Abou Muhammad enchaîne en acquiescant. « J’avais l’habitude de ne manquer aucune manifestation. Mais depuis quelque temps j’ai déserté la bitume en raison de la dérive que j’ai constatée dans le comportement de certains manifestants qui font de la figuration dans le but de prendre des images furtives et de les monnayer à des chaînes satellitaires qui en raffolent. »
« Certains meneurs des manifestations, reconnaît-il, se sont transformés, au fil du temps, en véritables imprésarios, organisant des attroupement furtifs dans le seul but de faire des images monnayables, communiquer avec des médias étrangers en dramatisant la situation, exagérant le nombre des manifestants, parlant de morts et de blessés imaginaires ».
Ces pratiques mercantiles et déloyales, si elles le choquent et l’indignent, ne le dissuadent pas pour autant à continuer à réclamer la chute du régime sans toutefois participer à des manifestations aussi furtives qu’inutiles. Il n’est plus par ailleurs sûr de la capacité de l'opposition à renverser le régime en Syrie.??« Je reste opposant mais sans faire de la figuration », nous confie-t-il, un peu blasé !
Malgré cette persévérance dans la lutte pour renverser le régime, la plupart des opposants avec qui nous avions discuté admettent qu’une bonne partie de la population continue à soutenir le régime, même s’ils croient que la majorité de la population est derrière l'opposition, qu’elle appelle à renverser le régime, sans toutefois l’exprimer ouvertement en participant aux manifestations.?
Ce jugement est loin d’être partagé par tous. L’un des habitants de Zabadani, qui se présente comme un partisan du régime, mais refuse de dévoiler son identité de crainte d’être livré à la vindicte des opposants, parce qu'il y aurait eu plusieurs personnes qui ont été liquidées dans cette ville ces derniers temps en raison de leur soutien affiché au régime, nous a confié qu’en « ville, une bonne partie de la population soutient le régime, mais n’osent plus s’afficher car ils craignent pour leur vie. Exprimer publiquement sa loyauté envers le régime est devenu un crime aux yeux des certains manifestants qui n’hésitent plus à les liquider ».
Ceux qui sèment la peur dans la ville et terrorisent la population ce sont surtout les quelques centaines de salafistes qui menacent quiconque s’opposerait à leur mainmise militaire de la pire vengeance.
Quel regard jette-t-il sur ce qui se déroule dans sa région ?
«Nous vivons ici au rythme des manifestations intermittentes. Nous les observons de loin. Leurs slogans manquent cruellement d’originalité. C’est un condensé d’obscénités et de propos injurieux à l’adresse des hommes du régime. Les manifestants sont composés de jeunes désœuvrés sans aucune conscience politique, des repris de justice ou des déserteurs, des trafiquants en chômage forcés en raison de l’impressionnant déploiement des services de sécurités aux frontières et des salafistes. »
Autre dimension de cette contestation selon les dires de notre interlocuteur « loyaliste » : la présence de près d’un millier d’hommes armés dans la région. Certains d'entre eux ont reçu une formation militaire dans des bases au Liban. Ils ne s’en cachent pas et s’en vantent publiquement. Ils relatent avec force détails et avec beaucoup de fierté leurs faits d’armes : attaque d’un point de contrôle militaire il y a de cela plus d’un mois, embuscade contre un convoi de voitures des forces de sécurité dans laquelle trois agents de la sécurité furent tués.
Et d’ajouter : « Une bonne partie du financement de ce mouvement de contestation proviendrait des contrebandiers qui sont en relation avec les contrebandiers libanais sur l’autre versant de la montagne. Les manifestants, enchaîne-t-il, sont mobilisés autour de mots d’ordre sectaires et confessionnels.Ils sont sous l’influence des groupes salafistes radicaux, de la Confrérie des Frères musulmans, qui semble renaître de ses cendres après avoir été écrasés dans les années quatre-vingt. D’autres sont sous l’influence de certaines chaînes satellitaires arabes qui souffle sur la braise et mène un campagne d’intoxication puissante.
Autre « information » : ces manifestations sont alimentées également par un financement occulte dont il dit ignorer l’origine. « Certains chômeurs et désoeuvrés (lumpenprolétariat) reçoivent en effet régulièrement, en contrepartie de leur participation à des attroupements ou des manifestations, une modeste rétribution financière ».
Cela ne l’empêche pas d’avancer certaines hypothèses. Pour lui, les financiers de la contestation sont multiples : les agents du Qatar, la filière saoudienne qui passe par l’ancien président du Conseil Saad Hariri qui dirige le « Courant du Futur », des associations islamistes salafistes sunnites qui se trouvent dans la plaine libanaise de la Békaa, près de la frontière avec la Syrie.
Notre interlocuteur, qui se présente comme « loyaliste » et « pro-régime », évoque la détérioration de la situation socio-économique dans la région, due essentiellement aux troubles et aux manifestations qui avaient fait fuir les touristes du Golfe, généralement attirés par le climat, la beauté et les infrastructures touristiques de cette région. L’agriculture, elle aussi, en a pâti. Mais les leaders de la contestation n’en avaient cure et continuent à terroriser la population.
Mais que font les forces de sécurité et l'armée pour rétablir l’ordre ?
Selon notre interlocuteur, les forces de sécurité et de l’armée ont des consignes strictes : ne pas investir les villes qu’en cas de débordement grave, se contentant de se cantonner dans des positions aux environs des villes. Elles veulent à tout prix éviter d’entrer en contact avec ces meneurs pour retirer le tapis sous leurs pieds. Il n’est pas rare de voir, surtout après la prière du vendredi, des petites manifestations se faire et se défaire pacifiquement sans que les forces de ‘ordre aient à réagir.
Ainsi, le vendredi, 14 octobre, quelques centaines de personnes avaient manifesté à Madaya sans heurts avec la police.
Dans la même période, un grave accrochage a eu lieu, la nuit, entre des attaquants armés venus du Liban et les patrouilles de l’armée. Ils seront repoussés au bout de deux heures d’accrochage.
Quoiqu’il en soit, et malgré la multiplication de certaines confrontations, force est de constater que la contestation faiblit jour après jour. Est-ce le fruit de la reprise en main de la situation par les services d’ordre ou est-ce en raison de l’essoufflement de ce mouvement qui, depuis des semaines, fait du surplace ?